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Patrick Hetzel, un ministre de la Recherche fâché avec la science


Erreur de casting, ou nouvelle preuve de l’inculture scientifique d’une bonne partie du personnel politique ? La nomination de Patrick Hetzel comme ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche suscite en tout cas l’inquiétude parmi les chercheurs. Que ce soit sur l’hydroxychloroquine, sur les vaccins anti-Covid, sur la protection des patients face aux charlatans, ou encore sur le déremboursement de l’homéopathie, l’élu alsacien s’est distingué par le passé par des positions peu conformes aux données de la science. Allant dans un certain nombre de cas jusqu’à défendre des thèses en vogue dans les milieux complotistes…

C’est pendant la crise sanitaire que l’ancien député a commencé à se faire remarquer, d’abord pour sa défense du traitement promu par le professeur Raoult. En avril 2020, Patrick Hetzel envoie un courrier au président de la République Emmanuel Macron, pour lui demander de laisser les médecins généralistes prescrire de l’hydroxychloroquine à leurs patients. A ce moment-là, une large part de la communauté scientifique avait pourtant déjà fait part de ses inquiétudes à propos du manque de preuves de l’efficacité de ce médicament contre le nouveau virus. En réaction, Olivier Véran, le ministre de la Santé de l’époque, avait d’ailleurs décidé d’en encadrer très strictement l’utilisation, en attendant le résultat des essais cliniques en cours.

Patrick Hetzel, lui, choisit de s’élever contre ce “préalable d’un gold standard du niveau de preuve”, qui lui paraît alors “incompatible avec la déferlante” de l’épidémie (le nombre de cas doublait alors tous les trois jours). Il indique aussi que la molécule a fait “la preuve empirique de son efficacité” – prouvant surtout son manque de connaissance de la méthode scientifique et des différents niveaux de preuve permettant de démontrer (ou non) le bénéfice d’un traitement. Depuis, l’inefficacité, et même la dangerosité du remède du Pr Raoult, ont été largement prouvées. A l’époque, comme vient de le rappeler sur X (ex-Twitter) Alexander Samuel, un docteur en biologie moléculaire passionné par la lutte contre la désinformation scientifique, Patrick Hetzel avait pourtant aussi apporté son soutien à la pétition en faveur de l’hydroxychloroquine initiée par Philippe Douste-Blazy, et cosignée entre autres par les médecins complotistes Christian Perronne et Martine Wonner. Un bien étrange compagnonnage pour un futur ministre de la Recherche…

Arguments antivax

Peut-être s’agissait-il là d’un simple emportement, dans le contexte compliqué d’une crise sanitaire alors à son paroxysme dans notre pays ? Le nouveau ministre de la Recherche n’a pas donné suite aux demandes de l’Express qui souhaitait savoir s’il regrettait son soutien aux thèses de Didier Raoult. Interrogé par Le Parisien, son entourage a toutefois invité à “ne pas lui faire de procès en sorcellerie, en prenant des lunettes de 2024 pour juger ce qui a été dit en 2020”. Toujours est-il que cet ancien professeur d’université, spécialisé en gestion, a également tenu par la suite des positions étonnantes à propos des vaccins anti-Covid. Reprenant à son compte les discours antivax de l’époque, il a par exemple interpellé Olivier Véran à deux reprises en juillet 2021, pour dénoncer le choix du gouvernement de rendre obligatoire, à travers le pass vaccinal, des vaccins “encore en phase III” selon lui. Il s’était alors vertement fait reprendre par le ministre de la Santé, et pour cause : à ce moment-là, l’innocuité et l’efficacité des injections anti-Covid avaient déjà été largement démontrées.

Si l’élu du Bas-Rhin avait demandé que la qualité de l’air dans les classes soit mesuré afin de favoriser l’aération et la lutte contre la diffusion du virus, une mesure défendue par de nombreux scientifiques, il s’était a contrario ému de l’obligation du port du masque à l’école. “Les conséquences à long terme inquiètent de nombreux parents, enseignants et professionnels de santé, qui constatent des effets négatifs sur le développement et l’apprentissage des enfants ainsi que des effets psychologiques lourds”, a-t-il par exemple écrit dans une question au gouvernement, en dehors de toutes preuves scientifiques.

Ce n’est pas tout. En fouillant dans les diverses interventions parlementaires, questions au gouvernement, amendements, ou pages de blogs de l’ex-député, plusieurs observateurs ont découvert que Patrick Hetzel a en réalité défendu des positions contraires à la science, mais aussi à l’intérêt des patients, sur de nombreux sujets, et ce bien au-delà de la seule crise sanitaire… En novembre 2020, il a ainsi cosigné une proposition de loi visant à instaurer un moratoire de deux ans sur le taux de remboursement de l’homéopathie à 15 %, au lieu du déremboursement total qui devait intervenir le 1er janvier 2021. Une “décision de bon sens”, justifiée selon ces parlementaires par un déremboursement “brutal” et par le fait que les laboratoires producteurs n’auraient pas eu suffisamment de temps pour se réorganiser, du fait notamment de la crise sanitaire. Dans leur argumentaire, ces élus évoquent un autre argument étonnant : les “deux ans de dénigrement” dont l’homéopathie aurait été victime. Une formulation problématique, alors que l’inefficacité de l’homéopathie, largement démontrée, ne faisait alors plus débat dans la communauté scientifique. La proposition n’aboutira pas.

Lyme chronique

En 2020 toujours, Patrick Hetzel cosigne aussi une proposition de résolution pour un plan national visant à mieux prendre en charge la maladie de Lyme chronique dans notre pays. Problème, si l’infection aiguë par la borréliose de Lyme est bien une affection reconnue et qui doit être traitée, l’existence de sa version chronique reste controversée – elle serait l’invention de “lyme doctors” qui prescrivent des traitements non démontrés, alors que de nombreuses études pointent que la plupart des patients souffrent en réalité d’autres troubles…

Le soutien de l’élu alsacien aux pseudo-thérapies semble donc relever de convictions bien ancrées. A la même période, il se distingue encore en cosignant un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 visant à “créer un organisme spécifiquement dédié à l’évaluation des médecines complémentaires et alternatives dont l’homéopathie, ainsi qu’à la fixation d’un taux de remboursement”. A cette période, cela fait déjà plusieurs mois que différents lobbys s’organisent pour obtenir la création d’un tel organisme, visant à légitimer des pratiques thérapeutiques n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité. Pour les signataires de cet amendement “ces traitements plus ou moins récents occupent une place qui doit être reconnue par l’assurance maladie”.

Opposé à la loi contre les dérives sectaires

En “insérant les médecines complémentaires et plus spécifiquement les médicaments non-conventionnels au sein des nomenclatures de l’assurance maladie”, il s’agirait donc de “mieux orienter les patients”. Faut-il le rappeler ? La diffusion des thérapies alternatives est dénoncée par une large part du corps médical, mais aussi par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui ne cessent d’alerter sur les dangers de ces pratiques : dérives thérapeutiques, perte de chances en cas de pathologie avérée, risque de mise sous emprise, dépenses inutiles et souvent conséquentes…

Dans ces conditions, il n’était guère étonnant de retrouver en 2023 le futur ministre dans les rangs des parlementaires qui se sont opposés à la loi contre les dérives sectaires, et notamment à son article 4 qui visait justement à protéger les patients des dérives thérapeutiques et des charlatans. Là encore, l’ancien fonctionnaire du ministère de l’Education nationale n’hésite pas à reprendre des arguments courants dans les milieux complotistes et les sphères pro-Raoult. “Les avancées scientifiques […] sont le fait d’individus minoritaires au sein de la communauté scientifique, donc faisons attention à vouloir développer le dogme d’une science officielle qui serait extrêmement dangereux”, déclare-t-il devant l’Assemblée nationale. Une citation qu’il mettra même en avant sur son site, oubliant au passage que ces chercheurs “en marge” mais à l’origine de véritables ruptures, respectent la méthode scientifique, et que ce ne sont pas eux qui étaient visés par le texte…

Tout aussi inquiétant, on découvre sur le fil X du nouveau ministre de la Recherche qu’il a abondamment relayé durant les débats sur la fin de vie les prises de position du site genethique.org. Or ce site a été fondé par Jean-Marie Le Méné, le président de la Fondation Jérôme-Lejeune. Une fondation qui vient en aide aux personnes atteintes de trisomie 21 et qui finance la recherche sur cette anomalie génétique. Mais qui a aussi pour particularité d’attaquer en justice les projets de recherche déposés par des scientifiques visant à travailler sur des embryons ou des cellules souches embryonnaires, contribuant ainsi très largement à freiner la recherche dans ce domaine dans notre pays.

“Les différentes prises de position du nouveau ministre montrent encore une fois à quel point il est difficile d’articuler le scientifique et le politique dans notre pays”, déplore le sénateur (PS) Bernard Jomier, qui avait été rapporteur de la commission d’enquête pour “l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion”. A l’issue de ce travail, il avait notamment été proposé de créer une commission indépendante chargée d’éclairer les politiques sur les grandes questions scientifiques. “Malheureusement, nous n’en disposons toujours pas”, soupire le sénateur. Le nouveau ministre se saisira-t-il de cette question ?





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