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Taylor Swift : le meilleur atout narratif de Kamala Harris


Le 10 septembre, après le débat télévisé entre Donald Trump à Kamala Harris, la chanteuse Taylor Swift a déclaré sur Instagram soutenir la candidate démocrate. Le message, qui a été liké par 11 millions de personnes, a été traité comme une information politique majeure et relayé par la presse mondiale. Certes, la chanteuse est une star et elle est suivie par près de 300 millions d’abonnés sur ce réseau, mais est-il bien raisonnable d’imaginer que le résultat de l’élection pourrait être influencé par le soutien d’une personnalité du show-business, aussi talentueuse soit-elle ? Il y a quelque chose de heurtant à imaginer cette possibilité pour un démocrate sincère. Tentons de mettre un instant nos a priori de côté pour approcher la question analytiquement.

Il faut rappeler quelques chiffres pour avoir en tête que Taylor Swift est un phénomène sans commune mesure : 200 millions d’albums vendus à ce jour, un effet économique identifié à chacune de ses tournées par le patron de la Fed de New York… et même un tremblement de terre d’une magnitude de 2,3 provoqué par l’enthousiasme de ses fans lors d’un concert de Seattle ! Cela peut-il se transmuer en pouvoir politique ? Cette question est difficile à trancher mais notons que son soutien a multiplié par dix le nombre de visites sur le site gouvernemental dédié aux inscriptions électorales. Ce n’est pas rien, mais cela ne signifie pas non plus que cette mobilisation se transformera en votes.

Le “biais de popularité”

Nous n’aimons guère l’admettre, mais le fait est qu’un certain nombre d’idées que nous défendons peuvent être influencées par les points de vue qui nous paraissent les plus partagés. Ce n’est d’ailleurs pas insensé : nous sommes une espèce profondément sociale et il n’est pas déraisonnable que nous soyons inspirés en partie par les cercles que nous fréquentons. La recherche montre que le crédit accordé à une information est corrélé à sa puissance d’exposition. C’est ce que l’on nomme le “biais de popularité”. A un certain niveau de visibilité, la diffusion d’un article, par exemple, ne cessera de s’amplifier : plus une personne est exposée à une idée, plus les chances seront grandes qu’elle la fasse sienne et finisse par la diffuser à son tour. C’est pourquoi l’influence de personnes qui bénéficient d’un fort “capital de visibilité” n’est pas juste un prêt-à-penser. C’est un fait qui a beaucoup été étudié et exploité dans le domaine publicitaire. Plusieurs études ont montré que la célébrité était le meilleur atout pour s’assurer qu’une réclame serait mieux mémorisée et son message mieux accepté.

Si ces personnalités sont utilisées comme agent d’influence, c’est aussi parce qu’elles peuvent servir de support à des récits promotionnels. Tel acteur va incarner un esprit de rébellion, telle sportive l’idée de mérite… On pourrait le déplorer mais une narration bien menée a plus d’impact sur notre esprit que des statistiques. Il est mesuré que les effets prescriptifs d’une campagne commerciale sont améliorés lorsqu’elle est fondée sur une intrigue plutôt que sur des faits. Et c’est aussi sur ce point que le soutien politique de Taylor Swift mérite de retenir notre attention. En effet, sa popularité est aussi soutenue par la narration qu’elle a faite de sa vie. Considérée comme une célébrité “post-media”, elle s’adresse directement, et depuis longtemps, à sa communauté via les réseaux sociaux : chaque album, chaque petite misère de la vie, chaque victoire… tout cela est éditorialisé et compose une mythologie dans laquelle des millions de personnes se reconnaissent et s’identifient. C’est un sentiment que les sociologues nomment “parasocial” : une impression illusoire de proximité, qui est la meilleure arme d’influence de la star.

L’effet Taylor Swift ne doit donc pas être sous-estimé, d’autant qu’il se pourrait que l’élection américaine puisse se jouer à peu de choses dans des Etats clefs comme la Géorgie ou la Pennsylvanie. Il sera sans impact pour ceux qui ont une opinion politique très arrêtée, mais qui peut dire, à l’heure où le monde paraît ouvert à toutes les aventures, si une chanteuse pop ne sera pas le battement d’ailes du papillon pour certains indécis ?

Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.




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