Le fatalisme, un travers bien de chez nous : un Français sur trois considère le déclin du pays comme irréversible, selon l’étude Fractures françaises de la fondation Jean-Jaurès publiée en octobre 2023. Quoi de surprenant dans une société où le président de la République en personne, à l’époque François Mitterrand, prétendait en juillet 1993 que “dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé” ? L’idée que la politique ne peut peser sur le réel a continué à se diffuser, comme un venin paralysant l’action publique. Et pourtant, à quelques kilomètres de chez nous, des peuples d’irréductibles réformateurs résistent encore et toujours à l’impuissance.
L’effort suppose d’abord un diagnostic clair, à long terme : en Italie, en Suède ou au Canada, c’est au bord du gouffre que les gouvernants ont élaboré des réformes d’ampleur, appelées à faire passer leur pays de malade à modèle. Surtout, il implique une volonté politique sans faille, outre la bureaucratie, les lobbys et ceux qui pensent que tout changement des pratiques est impossible. A l’heure où le nouveau gouvernement dirigé par Michel Barnier met en avant, jusque dans les intitulés de ses ministres, la “simplification”, le “partenariat avec les territoires”, la “souveraineté alimentaire” ou la “réussite scolaire”, comme autant de promesses, on ne peut que leur conseiller d’aller jeter un œil à ce qui marche ailleurs.
Le Danemark – 5,8 millions d’âmes – déploie depuis vingt ans une politique d’immigration qui se distingue par une réduction drastique des flux migratoires en provenance du monde arabo-musulman. Cette politique lancée par la droite et approuvée par les sociaux-démocrates à partir de 2015 a permis de circonscrire la progression du Parti du peuple danois (extrême droite). “Ce qui a présidé à ce changement de paradigme, c’est la tradition nationale du consensus dans un système électoral fortement proportionnel, explique Pierre Collignon, expert du sujet et rédacteur en chef (d’origine française) du Berlingske, l’équivalent danois du Figaro. Au Danemark, une dizaine de partis sont susceptibles de participer à des gouvernements de coalition. Ils ont donc l’habitude de s’asseoir autour d’une table pour trouver des solutions pratiques à des problèmes concrets.” S’ajoute à cela une tradition de débats transparents et sans tabou sur tous les sujets. “Que l’on parle d’immigration ou de réforme des retraites [NDLR : indexé sur l’espérance de vie, l’âge de la retraite est fixé à 67 ans et à 68 à partir de 2030], on regarde la réalité en face”, ajoute Pierre Collignon.
L’année 2001 marque une forte évolution au Danemark. Deux mois après l’attaque contre les tours jumelles à New York, le Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti, DF) se hisse à la troisième place aux législatives et devient faiseur de roi. “Dès lors, pour gouverner, le Premier ministre, qui veut diminuer les impôts, doit se mettre d’accord avec le DF, qui veut réduire l’immigration”, poursuit Collignon. Tous les ans, au moment du budget, chacun fait un pas vers l’autre pour trouver un compromis. Depuis, les lois d’immigration ont constamment été renforcées. Et cela, avec le soutien de la population éprouvée par la crise des caricatures de Mahomet en 2005 et les attentats islamistes de Copenhague en 2015 (2 morts, 5 blessés).
Les recettes du Danemark
Ainsi, aucun regroupement familial n’est possible avant l’âge de 24 ans afin de cibler les mariages arrangés de très jeunes femmes. Le conjoint résidant au Danemark doit prouver qu’il peut subsister au besoin d’une famille et que son appartement dispose au moins de 20 mètres carrés par personne (hors cuisine, salle de bains et entrée). Il ne doit pas avoir bénéficié d’allocations depuis trois ans. La naturalisation, elle, s’obtient après sept années de résidence minimum, avec un test de langue de niveau 2 (il existe trois niveaux) à la clé et “l’épreuve” de la poignée de main visant à vérifier que le demandeur ne refuse pas de saluer une femme.
“Avoir commis une infraction a un impact sur la possibilité de candidater à la nationalité danoise, précise le politologue Dominique Reynié dans un récent rapport de la Fondapol. Recevoir une amende de 400 euros entraîne une inéligibilité d’une durée de quatre ans et six mois.” Les conditions du droit asile sont également devenues drastiques. Et, globalement, les aides sociales ont été réduites. Enfin, le gouvernement a lancé en 2019 une loi anti-ghetto qui passe par la destruction et la reconstruction des quartiers concernées, un renforcement de la police et une meilleure formation des enfants et des jeunes afin de leur assurer un bon départ dans la vie. Ces dernières années, les flux migratoires vers le pays de la Petite Sirène ont considérablement chuté.
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