La tendance date d’une douzaine d’années, on la doit à François Hollande. A la nomination du premier gouvernement Ayrault, les intitulés de certains ministères créent la surprise. Arnaud Montebourg se charge du Redressement productif, George Pau-Langevin de la Réussite éducative. Dépassée la description des missions, il s’agit de formuler une promesse.
A ce titre, le gouvernement Barnier fait très fort. On y trouve un ministre de la Simplification, engagement devenu classique mais jamais mené à bien, ou, plus original, du Partenariat avec les territoires, – vive la République girondine -, de la Souveraineté alimentaire, rencontre de Jean-Pierre Chevènement et de Jean-Pierre Coffe, et de la Réussite scolaire, réminiscence donc de l’époque George Pau-Langevin.
Encore plus inattendu, Nicolas Daragon est nommé ministre délégué de la Sécurité du quotidien. Kézako ? L’installation d’un couple complémentaire à Beauvau rappelle des souvenirs. En 1986, Charles Pasqua devient ministre de l’Intérieur. Au secours, la droite des coups tordus revient !, se récrie la gauche. Jacques Chirac lui adjoint un coéquipier chevronné : Robert Pandraud, énarque, ancien directeur de la police nationale et ancien directeur de cabinet du Corrézien, est nommé ministre délégué à la Sécurité. Une pierre, trois coups, se dit alors Matignon : un proche pour accompagner le très opaque Pasqua, un technicien pour rassurer les sceptiques, et un adjoint à la sécurité pour marquer la priorité du gouvernement.
Plus près de nous, le gouvernement d’Edouard Philippe reproduit la formule, avec l’attelage Christophe Castaner-Laurent Nunez, ce dernier, directeur en chef de la DGSI, le renseignement intérieur, est nommé secrétaire d’Etat à l’Intérieur. Un professionnel de la sécurité, ça rassure.
“Narcotrafic débridé”
Nicolas Daragon, lui, n’est pas policier ni préfet. Il est maire de Valence, dans la Drôme, une ville en proie à un important trafic de drogue. “Valence, vitrine des villes moyennes victimes d’un narcotrafic débridé”, écrivait le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France, en mai 2024. “Les familles de narcotrafiquants sont déjà bien implantées et identifiées, des phénomènes de communautarisme se développent et certains quartiers se dégradent. L’usage des armes à feu crée un effet de terreur sur la population”, décrit le sénateur Etienne Blanc, chargé du rapport. Le phénomène traduit une des priorités d’Emmanuel Macron : lutter contre la dégradation du cadre de vie dans certains quartiers, perçus comme de futurs terreaux à un vote Rassemblement national.
Il s’agit aussi d’un legs de Gérald Darmanin, très en phase avec le président de la République sur le sujet. Lorsque Le Parisien lui demandait, en septembre 2020, quelle serait sa première priorité à Beauvau, il répondait : “Indéniablement la lutte contre les stupéfiants. Cela doit être l’alpha et l’oméga de toutes nos interventions.” Il notait déjà “un lien avec la lutte contre l’insécurité du quotidien”. Et d’ajouter : “Quand on voit qu’aujourd’hui un gamin de 14 ans peut gagner plus que son père en faisant le “chouf” [le guet], il ne faut pas s’étonner qu’il y ait une crise d’autorité dans notre pays.” C’est déjà dans cet état d’esprit que l’organisation de la police nationale a été réformée en 2022-2023, afin que les enquêteurs de la légendaire police judiciaire passent plus de temps sur des affaires liées au deal ou à la criminalité sur la voie publique. Pour un peu, Nicolas Daragon aurait pu être nommé ministre de la lutte contre les dealers.
Les exemples passés montrent que le volontarisme de l’intitulé n’emporte pas nécessairement de big-bang dans l’action publique. L’existence d’un ministère du Redressement productif n’a aucunement endigué les suppressions d’emplois dans l’industrie manufacturière entre 2012 et 2014. Et la présence d’un ministère de la Réussite éducative n’a pas eu l’effet magique de faire progresser la France dans les classements Pisa. Pour améliorer la sécurité du quotidien des Français, il faudra une stratégie claire et des moyens. C’est souvent là que le bât blesse, dans un pays où la dette publique atteint déjà vertigineusement plus de 3100 milliards d’euros.
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