La France est-elle plus à gauche ou plus à droite ? A l’ombre des joutes politiques d’automne se déroule une controverse plus feutrée mais non moins structurante : au-delà des votes exprimés lors des dernières élections, de quel côté notre société penche-t-elle ? Incarné par le sociologue Vincent Tiberj, auteur de l’essai La Droitisation française. Mythe et réalités et le politologue Jérôme Fourquet, auteur de L’Archipel français, ce différend intellectuel donne à voir la vitesse et la richesse des transformations opérées ces dernières décennies dans notre pays.
S’il fallait tenter une synthèse de leurs analyses, il apparaîtrait qu’une forte demande d’autorité et de sécurité en matière régalienne n’a rien d’incompatible avec un puissant attachement à la redistribution, à l’intervention de la puissance publique ainsi qu’aux services publics en matière économique. Sur le plan sociétal, l’observation du temps long révèle une France – à force de mobilisations contre les comportements et préjugés sexistes, racistes ou homophobes – progressivement plus ouverte, tolérante et attentive aux différences.
Pour moi, l’intérêt de ce débat n’est pas de savoir si la France se droitise ou se gauchise. Il offre surtout l’occasion de considérer les évolutions profondes de notre société, et ce faisant de nos entreprises. Et très concrètement, se pose la question de l’exercice adéquat du pouvoir dans le monde moderne. Quel équilibre atteindre entre verticalité et horizontalité lorsque de tels changements et une telle diversité d’attentes coexistent ?
Tout en ayant parfaitement conscience des nuances selon les tailles, secteurs ou localisations des entreprises, nous pouvons déjà tous constater la profondeur des mutations à l’œuvre. Pour ma part, lorsque j’ai pris la direction de mon entreprise, tous les comex (comité de direction) et conseils d’administration de France et de Navarre étaient presque exclusivement masculins. La diversité dans le recrutement ne préoccupait que peu de patrons et des comportements ou remarques, aujourd’hui considérés comme inacceptables, semblaient anodins. La cravate et la présence systématique au bureau étaient obligatoires, l’attachement au rang hiérarchique très puissant, le culte de la compétition évident. Enfin, la priorité donnée à la vie professionnelle sur la vie personnelle n’était – pour les hommes surtout – pas même une question.
Une attente de considération et de leadership
Tout cela a bien changé. L’épanouissement des salariés, la diversité des profils, l’équilibre des temps de vies, la collégialité des prises de décision, même s’ils sont encore loin d’être toujours respectés dans les faits, commencent à s’imposer comme nouveau référentiel. Dans le même temps, la demande d’autorité n’a pas disparu, mais elle se traduit bien davantage par une attente de cap clair et stimulant, que par une quelconque déférence au chef. Enfin, l’économie de marché et ses mécanismes sont largement intégrés, mais ils n’exemptent pas d’une demande de régulation lorsque le partage de la valeur se déforme trop ou les externalités négatives s’accumulent.
Ignorer ces aspirations lorsqu’on est un dirigeant est sans avenir. Plus la distance entre la société moderne et les modes de management est grande, plus le mal-être au travail s’aggrave et plus la motivation, l’engagement, la performance s’amenuisent. Si nous voulons préserver la valeur travail, il faut lui donner de la valeur. Comment ? En accordant la même attention aux enjeux horizontaux que verticaux. En abscisse, en s’attachant à recruter et à inclure toute la diversité contemporaine dans son entreprise, en garantissant des rapports humains fondés sur la confiance et la considération, mais aussi en apportant la plus grande autonomie dans l’exercice de son métier et en n’ignorant pas les nécessaires partages de la valeur et du pouvoir.
En ordonnée, en partageant une vision de long terme porteuse de sens, en assumant de prendre, en transparence, des décisions difficiles et en étant capable, lorsque la situation l’exige, de faire respecter des règles du jeu qui soient claires. Pour résumer, l’entreprise en 2024 est à l’image de la France : une communauté de femmes et d’hommes libres, en attente de considération, mais aussi de leadership.
* Pascal Demurger est directeur général du groupe Maif et coprésident du Mouvement Impact France.
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