Janvier 2024. A peine a-t-elle déballé ses cartons rue de Valois, que Rachida Dati annonce conserver son écharpe de maire du VIIe arrondissement de la capitale. Quelques jours plus tard, la nouvelle ministre de la Culture dévoile même son ambition de briguer pour la seconde fois la mairie de Paris en 2026. A vif, d’aucuns étrillent l’inélégance de la sortie. D’autres, au contraire, saluent la liberté de ton de la nouvelle star de l’équipe remaniée. Reste qu’au sein du gouvernement Attal, l’ancienne garde des Sceaux est la seule à s’être octroyée le privilège de cumuler fonction ministérielle et mandat exécutif local.
Neuf mois et une dissolution de l’Assemblée plus tard, les voilà désormais trois. Peut-être même quatre. Et pour cause, Gil Avérous, qui souhaitait initialement se mettre en retrait, pourrait in fine rester maire de Châteauroux en parallèle de sa nouvelle vie de ministre des Sports. Pour des raisons personnelles, sa première adjointe, à qui il a demandé d’assurer l’intérim, tarde à accepter l’offre. “Si elle refuse, il restera maire afin de ne pas perturber sa majorité”, explique l’entourage du successeur d’Amélie Oudéa-Castera. Qu’il se soumette ou se démette, qu’importe : son indemnité municipale sera suspendue. De même que celle de ses nouveaux collègues, qui ont pour certains, déjà tranché sur l’avenir de leur mandat local.
Nommé au ministère de la Sécurité du quotidien le 21 septembre dernier, le maire de Valence, Nicolas Daragon, n’a quant à lui pas tergiversé longtemps. Aussitôt son entrée dans l’équipe de Michel Barnier annoncée qu’il promet sur X : “Je continuerai de m’engager au service de Valence et de tous les Valentinois.” Façon de faire comprendre qu’il restera premier magistrat de la préfecture de la Drôme. Son homologue au ministère de la Mer, Fabrice Loher, veille au grain : pas question que l’on retire de sa biographie X les titres de “Maire de Lorient” et de “Président de Lorient Agglomération”. Même parade du côté de son collègue chargé des Transports François Durovray, qui continuera à présider le Conseil départemental de l’Essonne.
Le mandat local, une solution de repli
Mais alors, pourquoi s’accrocher à un mandat d’élu local lorsqu’on se retrouve propulsé au prestigieux et médiatique rang de ministre ? S’agit-il peut-être d’une façon de bénéficier de l’étiquette “tendance” d’homme de terrain, proche du quotidien des Français. “Pas sûr. Mieux vaut dire qu’on l’a été plutôt que de le rester et de se placer dans une situation de cumul”, fait valoir Florent Gougou, enseignant-chercheur en sciences politiques à Sciences Po Grenoble. Les raisons de cette incongruité se trouvent donc ailleurs, loin des opérations de communication, nichées au cœur d’un contexte politico-institutionnel inédit, qui fait de l’équipe Barnier le gouvernement le plus fragile de la Ve République.
Car après avoir sauté dans le vide au dernier jour de l’été, comment ne pas craindre d’égratigner, ne serait-ce qu’un peu, sa carrière ? “Lâcher les rênes d’une mairie, d’un département ou d’une région pour un contrat à durée très déterminée n’a rien de rationnel du point de vue stratégique, car le jour où le gouvernement tombe – et celui-ci à toutes les chances de tomber assez rapidement – les ministres qui le composent se retrouvent sans rien”, pointe Benjamin Morel, maître de conférences de droit public à l’université Paris Panthéon-Assas. Dès lors, dans un climat politique aussi incertain, le mandat local incarnerait une forme d’assurance-vie.
Ainsi comprend-on mieux pourquoi le nombre de ministres à la double casquette a été multiplié par quatre par rapport à l’ancien gouvernement. Mais là n’est pas la seule explication. “Les gouvernements macronistes ont toujours été composés en majorité par une petite élite issue de 2017 et 2022 qui n’est jamais parvenue à s’implanter dans les collectivités territoriales. Ce qui n’est pas le cas des LR, très bien ancrés territorialement”, souligne Benjamin Morel. Tandis qu’ils n’étaient que sept au sein du gouvernement Attal à exercer un mandat exécutif local, ils sont aujourd’hui 17 sous la tutelle de Michel Barnier. Les chances pour qu’un dilemme entre fonction ministérielle et mandat local se pose augmentent ainsi naturellement. D’autant que le cumul des deux n’a rien d’illégal ni d’inconstitutionnel.
Elu et nommé, pas la même affaire
Si la loi de 2014 adoptée sous l’impulsion de François Hollande interdit bien le cumul des mandats, celle-ci ne s’applique qu’aux parlementaires français et européens. Seuls les députés, sénateurs et eurodéputés sont donc tenus de quitter leurs maroquins locaux. Raison pour laquelle Laurent Wauquiez, élu en Haute-Loire à l’issue des législatives anticipées, a été contraint de démissionner de son mandat de président de la région Auvergne-Rhône-Alpes cet été. Titre que le chef de file de la Droite républicaine aurait en revanche pu garder s’il était entré au gouvernement – à condition de renoncer en amont à son siège au Palais Bourbon.
A ce jour, aucun texte n’interdit donc à un élu local nommé ministre de rester maire, président d’agglomération, de département, ou même de région. Une souplesse qui tient à une nuance : “Un ministre n’est pas élu, mais est nommé”, rappelle le politologue Florent Gougou. De fait, il n’y a donc à proprement parler pas de cumul des mandats. Seulement un télescopage de plusieurs fonctions. “De la même façon qu’un maire peut diriger un organe de coopération intercommunale il peut également être à la tête d’un ministère”, relève par exemple le constitutionnaliste Benjamin Morel.
Une question reste toutefois en suspens : un bon ministre a-t-il le temps d’être un bon maire ? “Les thuriféraires du cumul diront que Jacques Chaban-Delmas Premier ministre n’a pas cessé d’être l’excellent maire de Bordeaux qu’il était avant d’être nommé à Matignon”, sourit Florent Gougou. A noter également que le poids du maire dans le fonctionnement de sa commune varie. “Paradoxalement, être maire d’une petite commune est beaucoup plus prenant qu’être maire d’une grande ville où les services de la mairie sont très bien organisés”, assure Benjamin Morel.
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