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Peggy Sastre secoue le néoféminisme condescendant, par Abnousse Shalmani


Il existe des livres qui vous transpercent le cœur, vous ravivent les neurones, d’autres qui sont relus au gré de la vie qui passe. Il existe aussi des livres qui touchent au del. Le del est un mot persan qui dit et le ventre et la maison de l’âme – le centre névralgique de la vérité de tout Homme. Le del est niché dans le ventre et réagit aux nerfs et au cœur. Quand on a simplement mal au ventre, on a mal au del, mais on a aussi le del en lambeaux après un chagrin d’amour. Ce que je veux sauver, de Peggy Sastre, est un livre qui cause directement au del.

Cher, lecteur, je ne vais pas te mentir : Peggy Sastre est aussi indispensable à mon équilibre émotionnel qu’à mon hygiène mentale. Sastre est une chasseuse de confort intellectuel, une chienne de garde des vicissitudes tribales, une non-conformiste salutaire. Alors quand Peggy Sastre se trouve nez à nez avec les pogroms du 7 octobre et dévisse, l’heure est grave : “Depuis le 7 octobre, toutes ces briques de mon identité intellectuelle, ce que je suis tout court, me donnent l’impression de croiser la piste d’atterrissage d’une enclume. Je ne sais pas quel terrain d’entente, même en creusant d’un côté de la planète à l’autre, je pourrais trouver avec un type qui appelle ses parents pour leur dire d’être fiers de lui car il vient de tuer dix juifs à mains nus.”

Peggy Sastre veut sauver le libéralisme né des Lumières

Après le 7 octobre, doit-on accepter que “le tribalisme est effectivement le mode de fonctionnement de l’humanité” ? Justement, non. Peggy Sastre veut sauver le libéralisme né des Lumières, autrement dit “le compromis, le débat cheminant vers une vérité, une réalité commune, un progrès”, elle veut remonter la pente. Et ce qui lui fait horreur, ce sont les meutes qui pensent que la fin justifie tous les moyens. Elle cherche alors à reconstruire les digues qui nous empêcheront, à l’avenir, d’en arriver là – au goût du sang, à ce qui invariablement finit en charnier. Et de nous rappeler que “la haine n’a pas comme contraire l’amour, mais l’indifférence. La tolérance, pour employer un mot plus poli”. Et de rappeler Diderot qui écrivait en 1745 : “Du fanatisme à la barbarie, il n’y a qu’un pas.”

Et de décrire minutieusement ce pas dangereuxquand il s’agit de néoféminisme qui oublie les fondamentaux – l’égalité en droit pour les hommes et les femmes – pour devenir un combat revanchard, un désir suprémaciste qui cache difficilement une lutte pour le pouvoir, une négation biologique, un puritanisme enfantin qui finit par vouloir “accorder aux femmes les seuls droits et avantages de la liberté en voulant les protéger de ses risques et de ses responsabilités – surtout quand il s’agit de liberté sexuelle”. Les femmes finissent par être considérées comme des êtres d’une fragilité exceptionnelle : “Vous voulez pourrir la vie de quelqu’un qui, de facto, ne dérange pas le moins du monde la vôtre ? Dites que vous le faites pour son bien et, si la pilule ne passe toujours pas, dites que c’est pour celui de la société.”

Sastre réfléchit à la liberté d’expression totale

On en est là avec le néoféminisme condescendant. Elle nous secoue, Sastre, quand elle réfléchit à la liberté d’expression totale. Oui, je sais, c’est contre-intuitif, mais les études sont là (il n’existe pas la moindre corrélation entre les lois restrictives contre la liberté d’expression et une diminution des comportements discriminatoires), l’Histoire est là (avant l’arrivée de Hitler au pouvoir, la législation allemande sanctionnait sévèrement les discours de haine, notamment antisémites). En somme, elle nous rappelle que la raison et l’esprit critique, tout ce pragmatisme politique est “une entreprise difficile, autant de fragiles édifices, qu’une bande de lettrés européens s’étaient mis dans l’idée de construire pour permettre au monde entier de vivre mieux”.

Et elle trouve encore le moyen de nous faire toucher son intimité, ses doutes, ses boyaux qui se tordent devant les massacres islamistes, son cœur broyé devant l’injustice des chasses à l’homme, ses endives, sa famille, son avortement, comme son viol, sans un instant tomber dans la protection victimaire. En refermant Ce que je veux sauver, nous sommes rassurés et armés : tout n’est pas foutu et il y a encore des gens qui pensent que, pour résister à l’obscurantisme, le chemin le plus juste est toujours celui des Lumières férocement humanistes. Férocement.




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