En tenue de treillis, fusil d’assaut à l’épaule, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Herzi Halevi, rend visite à ses troupes stationnées à proximité de la frontière nord, ce 25 septembre. Depuis plusieurs jours, l’aviation de Tsahal pilonne sans relâche les positions des forces du Hezbollah, au Liban voisin. “Vous pouvez entendre les avions ici, nous attaquons toute la journée, à la fois pour préparer la zone à la possibilité de votre entrée, mais aussi pour continuer à frapper le Hezbollah”, lance le général, aux soldats d’une unité de blindés rassemblés devant lui.
A l’heure où le Hezbollah a confirmé la mort du chef de la milice libanaise, Hassan Nasrallah, dans une frappe survenue le 27 septembre sur le QG du mouvement islamiste, et où les forces israéliennes amassent des troupes le long de leur frontière nord, le scénario d’une guerre ouverte entre les deux adversaires n’a jamais semblé aussi proche. “On se trouve aujourd’hui clairement sur cette trajectoire, jauge Hugh Lovatt, spécialiste du Moyen-Orient au European Council on Foreign Relations. La question est maintenant de savoir si l’on se dirige vers une offensive terrestre israélienne.” La poursuite de l’escalade et le rejet des appels au cessez-le-feu par l’Etat hébreu ne laissent guère place à l’optimisme.
Si elle se confirmait, cette offensive représenterait un défi nettement plus périlleux pour l’armée israélienne que celle conduite depuis onze mois à Gaza. Car l’adversaire est d’un tout autre calibre. En 2006, Tsahal et le Hezbollah s’étaient déjà affrontés lors de la guerre de 34 jours – elle s’était achevée sans réel vainqueur, mais le Parti de Dieu l’avait revendiquée comme un succès stratégique. Lors de ces féroces combats, qui avaient ravagé le sud du Liban et tué 121 soldats israéliens et plus de 600 combattants du Hezbollah, les forces de Tsahal s’étaient enfoncées jusqu’au fleuve Litani, à une vingtaine de kilomètres de la frontière, avant de se retirer à la suite de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Un immense arsenal de roquettes
Au cours des 18 ans la séparant de ce dernier conflit, la milice islamiste s’est considérablement renforcée. Considérée comme le groupe para-étatique le plus lourdement armé au monde, elle dispose désormais d’une immense capacité de frappe. Selon les estimations, son arsenal compterait entre 120 000 et 200 000 roquettes, drones et autres missiles, capables, pour certains, d’atteindre des cibles jusqu’à 500 kilomètres – soit l’ensemble du territoire israélien. “Même si le Hezbollah n’a pas la capacité de vaincre Israël au sens conventionnel du terme, ses missiles guidés et roquettes lourdes peuvent infliger de lourds dégâts aux villes et infrastructures israéliennes”, souligne Michael Koplow, directeur de recherche au Israel Forum Policy, à New York. En dépit de ses excellentes performances, la défense antimissile israélienne pourrait voir son étanchéité mise à rude épreuve sous le poids du nombre.
Au fil des années, les combattants du Hezbollah se sont aussi professionnalisés. “Que ce soit en matière d’armement, d’effectifs ou d’expérience au combat, le Hezbollah est bien plus coriace que le Hamas, pointe Hugh Lovatt. Après avoir combattu en Syrie aux côtés des forces de Bachar al-Assad, le mouvement a commencé à se structurer davantage comme une armée traditionnelle.” Dans ses rangs, le Hezbollah compterait aujourd’hui environ 50 000 combattants, bien que son chef, Hassan Nasrallah, en revendique le double.
A l’inverse des hommes du Hamas, enclavés dans la bande de Gaza et coupés du soutien de leurs alliés, ceux du Hezbollah peuvent également compter sur l’appui logistique de l’Iran, dont les voies d’approvisionnement passant par l’Irak et la Syrie, lui permettent d’acheminer missiles et munitions au plus près du front. “Téhéran pourrait faciliter le transfert de combattants des milices chiites irakiennes ou syriennes, note Fabian Hinz, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Une intervention directe de l’Iran semble en revanche plus improbable à ce stade.” L’absence de représailles après l’assassinat du leader du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran en août, avait montré la réticence iranienne à s’impliquer directement dans un conflit avec l’Etat Hébreu. Le statu quo pourrait toutefois être difficile à tenir à terme en cas de menace pour la survie du Hezbollah.
Risque de guérilla
Reste qu’avec son budget de 27,5 milliards de dollars en 2023, l’armée israélienne dépasse de loin les capacités de la milice libanaise, et même celles de l’Iran, l’Irak, la Jordanie et le Liban réunis. Ses forces peuvent s’appuyer sur 1300 chars Merkava et près de 1200 véhicules blindés de transport de troupes, auxquels s’ajoutent 43 hélicoptères d’attaque et 345 avions de chasse, dont 36 F-35 de dernière génération. “L’une des grandes forces d’Israël serait sa suprématie aérienne, reprend Fabian Hinz. Les frappes d’Israël contre plusieurs commandants de haut rang ainsi que des sites de missiles montrent également la qualité indéniable de leurs services de renseignement.” Ce que l’attaque aux bipeurs et talkies-walkies mi-septembre, qui a fait plus de 2900 blessés et 37 morts dans les rangs du Hezbollah, a récemment prouvé de manière spectaculaire.
En dépit de cette débauche de moyens, la question des objectifs militaires d’Israël reste posée. Les autorités ont affirmé vouloir repousser le Hezbollah loin de leur frontière, pour permettre le retour des 60 000 civils israéliens ayant évacué leur foyer à cause des roquettes tirées par la milice chiite. “Si une invasion terrestre israélienne venait à se transformer en occupation à long terme, nous assisterions probablement à une guérilla meurtrière de la part du Hezbollah, note Fabian Hinz, de l’IISS. Cela se transformerait alors en guerre d’usure avec, in fine, la question de savoir qui des deux belligérants est le plus disposé à subir des pertes dans la durée.” L’asymétrie des forces conduirait sans doute le Hezbollah à préférer, comme en 2006, une stratégie de harcèlement à celle du choc frontal. Sa connaissance de ce terrain montagneux propice aux embuscades, et les nombreux tunnels creusés ces dernières années – dont le réseau pourrait dépasser, selon certaines analyses, ceux du Hamas à Gaza – le lui permettraient, plaçant Israël face au risque d’un enlisement durable.
Au-delà des pertes militaires, la menace porte aussi sur les habitants, des deux côtés de la frontière. Dès le mois de juin, le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant avait averti que Tsahal serait capable de ramener le Liban à “l’âge de pierre” en cas de guerre. “Dans toute campagne terrestre prolongée, il y a généralement de nombreuses victimes civiles, redoute Michael Koplow, du Israel Forum Policy. En particulier compte tenu de la manière dont le Hezbollah s’est implanté dans les villages du sud du Liban.” Comme à Gaza, la population pourrait payer le plus lourd tribut.
Source