* . * . * .

Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur qui se croyait encore en majorité absolue


Ne parlez pas de “recadrage.” Plutôt de “réunion de travail”. Une rhétorique autoritaire serait malvenue, moins d’une semaine après la formation du gouvernement. Ce jeudi 26 septembre, Michel Barnier reçoit à l’heure du petit-déjeuner Bruno Retailleau et Didier Migaud à Matignon. Les ministres de l’Intérieur et de la Justice ferraillent par médias interposés depuis leur nomination. Le locataire de Beauvau raille un “droit à l’inexécution des peines”, quand le garde des Sceaux défend “l’indépendance de la justice”. Du classique entre ces deux maisons. Michel Barnier veut calmer le jeu et préparer avec eux sa Déclaration de politique générale (DPG). Dans ce huis clos, Bruno Retailleau évoque une évolution de notre architecture pénale, son obsession. Pourquoi diable un ministre de l’Intérieur s’interdirait-il de parler de justice ? Comment continuer à demander à des policiers et à des gendarmes de prendre des risques chaque jour plus grands si la sanction qui succède l’arrestation est incertaine ? La chaîne pénale est indivisible ! L’homme sort satisfait de l’entretien, convaincu de sa prestation.

Il est un trait de personnalité unanimement reconnu à Bruno Retailleau. Il ne transige pas sur ses convictions. La droite loue cette rigidité, la gauche la redoute. Elle a en tête sa dénonciation d’une “régression vers les origines ethniques” de certains Français lors des émeutes urbaines. Le camp présidentiel n’a, lui, pas oublié la raideur du Vendéen lors de l’examen du projet de loi immigration. Le patron des sénateurs LR s’était même brouillé avec Eric Ciotti, coupable de trop céder au gouvernement en Commission mixte paritaire (CMP). Non, Beauvau ne sera pas son cimetière idéologique.

“Une forme d’évidence dans son comportement”

Longtemps Bruno Retailleau a observé d’un œil méfiant cette Assemblée émiettée. “On ne pourra rien faire dans cet exécutif, il n’y a pas de majorité”, glisse-t-il au cours de l’été à un élu LR. L’impuissance ne sied pas au théoricien, éternel pourfendeur du gouvernement des juges. La nomination de Michel Barnier lui a ouvert l’appétit.

Il est entré à Beauvau avec un mélange de gravité et d’euphorie. Auprès d’un de ses prédécesseurs, il évoque une “tâche rude” et une “mission périlleuse”. Mais allons-y. La droite exerce le pouvoir par miracle, Bruno Retailleau souhaite utiliser cette fenêtre de tir pour déployer tout son corpus d’idées. “Il a passé sa vie à dire ce qu’il pensait. Il veut faire ce qu’il a dit, note un proche. Il y a une forme d’évidence dans son comportement.” Et puis, le pouvoir arrive si tard. Pourquoi tirer le frein à main à 63 ans ? Ainsi, son discours de passation de pouvoir le 23 septembre prend des airs de meeting électoral. D’un ton martial et sans notes, Bruno Retailleau se pose en “serviteur” des policiers et érige “l’ordre” en boussole politique.

Le macroniste est une espèce susceptible. Quand le ministre promet de “rétablir l’ordre”, il entend que Gérald Darmanin a causé le désordre. Elisabeth Borne éreinte cette formule maladroite en réunion de groupe des députés Ensemble pour la République (EPR). Cet inventaire d’un représentant d’un parti habitué aux défaites électorales est décidément déplacé. Et que dire de ce bon mot de Bruno Retailleau, promettant avec malice d’être à la hauteur de son “prédécesseur… Georges Clemenceau” lors d’une réunion à Matignon ? La répartie n’excuse pas tout !

Qu’importe l’exégèse macroniste. Bruno Retailleau fonce, décidé à enivrer la France d’un parfum d’alternance. Au Figaro, il délivre un discours ferme et assure qu’un “policier n’est pas une assistante sociale”. Tel Nicolas Sarkozy, étrillant en 2003 la police de proximité et ses “matchs de rugby”. L’ancien président y a-t-il vu un hommage ? Il a en tout cas félicité Bruno Retailleau pour ses débuts au ministère de l’Intérieur. Les deux partageront un déjeuner le 1er octobre. Nul doute que l’ancien candidat à la présidence de LR ne réitérera pas les critiques féroces formulées envers l’ex-chef de l’Etat lors de sa campagne interne. Il faut parfois être souple.

“Comptable de futurs faits divers”

Ce jour-là, Michel Barnier prononcera sa DPG à l’Assemblée nationale. Bruno Retailleau ne l’a pas attendu pour présenter sa feuille de route. Elle est du genre musclé. Ici, la piste d’une réforme de l’Aide médicale d’Etat (AME) ou d’un rétablissement du délit de séjour irrégulier pour réduire l’immigration. Là, l’appel à une “rupture” en matière pénale et à la création de nouvelles places de prison. Après le meurtre de la jeune Philippine, il réclame une évolution de “notre arsenal juridique”. Evoque enfin les possibilités offertes par le pouvoir réglementaire et ne “s’interdit pas” une nouvelle loi sur l’immigration. Un cadre EPR s’amuse de cette latitude idéologique. “Il se comporte comme un ministre de l’Intérieur de majorité absolue après l’élection présidentielle.” Matignon aimerait surtout qu’il ne soit pas un ministre de l’Intérieur de plus. Fonçant comme les autres, au risque de décevoir autant.

Il y a un hic. Seuls 47 députés LR ont survécu aux dernières législatives. Bruno Retailleau est soutenu par une coalition allant de la droite au bloc central, guère en phase avec son positionnement droitier. L’ex-majorité goute peu cet opposant pétri de certitudes, désormais soumis aux contraintes de “l’exercice du pouvoir”, et “comptable de futurs faits divers”.

Le ministre devrait être auditionné par la Commission des lois après la DPG de Michel Barnier. Certains élus EPR ont même songé à le convoquer avant ce discours, avant de renoncer à ce coup politique. “S’il enjambe le Parlement, il le prendra de face”, prévient un député. Bruno Retailleau a appelé le patron du groupe EPR Gabriel Attal au lendemain de sa nomination. L’ancien Premier ministre, qu’il connaît peu, a apprécié le geste, l’entretien s’est bien passé. Mais il ne sera pas un allié de poids dans cet attelage. “Si un projet de loi immigration reprenant les mesures censurées par le Conseil constitutionnel est présenté, il ne passera pas”, a assuré Gabriel Attal à Michel Barnier.

L’opinion publique à témoin

Voilà Bruno Retailleau prévenu. Lui juge avoir un atout maître : l’opinion publique. Il s’élève en dépositaire de la volonté populaire dans ses nouvelles fonctions. Se pose en ventriloque des Français, avides de fermeté régalienne. “Il faut entendre le message qu’ils nous ont envoyé au premier tour des législatives. Qu’est-ce qu’ils veulent ? Plus de sécurité, moins d’immigration. Je suis un démocrate, respectueux du peuple souverain, et donc j’appliquerai cette feuille de route”, lançait-il le 24 septembre sur CNews.

Cette lecture toute personnelle du scrutin appuie son intransigeance. A la légitimité des parlementaires, Bruno Retailleau oppose en creux celle de la “majorité nationale”. D’après un sondage Odoxa pour Le Figaro, une large majorité de Français approuve le rétablissement du délit de séjour irrégulier ou le remplacement de l’AME par une aide médicale d’urgence (AMU). Contester ces projets, n’est-ce pas museler le peuple ? Autour du ministre, on ironise sur la difficulté pour les parlementaires du bloc central à mettre en échec les initiatives de Beauvau. “Tout se fera sous le regard de l’opinion publique. Il sera impossible d’être candidat du bloc central en 2027 sans parler à la droite sur ces sujets. Ni Barnier ni Attal ne vont freiner ce mouvement.” Ses partenaires du camp présidentiel comptent, eux, résister à cette pression pour conserver leur identité.

“Pas sûr qu’il ménage ses positions”

Jouer l’opinion pour s’imposer. Jouer l’opinion, jusqu’où ? Le bloc central s’interroge déjà sur les intentions du ministre. Sur sa volonté réelle de bâtir des compromis ou son envie de conserver sa pureté doctrinale. “Je ne suis pas sûr qu’il ménage ses positions, note un cadre EPR. Il peut aller au bout d’une démarche dure et ensuite claquer la porte en affirmant qu’il n’a pas les moyens de sa politique.”

La volonté générale contre les verrous politiques. La stratégie est limpide. Sincère, aussi. Le Vendéen n’a pas attendu Beauvau pour placer la “souveraineté populaire” en matrice de son discours. Sa dénonciation d’un supposé gouvernement des juges, accusé de brider la démocratie, s’inscrit dans ce sillage intellectuel. Mais l’opinion n’est pas une arme infaillible. En 1952, Antoine Pinay est un populaire président du Conseil des ministres, à la merci d’une Assemblée nationale incontrôlable. Un député le félicite un jour, narre le journaliste Guillaume Tabard dans La Malédiction de la droite” (Tempus). “Vous avez le pays derrière vous, monsieur le président.” Lucide, Pinay rétorque : “Peut-être, mais j’ai le Parlement devant moi.”




Source
Exit mobile version