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David Rigoulet-Roze : “L’Iran n’est pas en situation de se confronter militairement à Israël”


L’annonce secoue une fois de plus la géopolitique du Moyen-Orient. Peu après l’annonce israélienne, le Hezbollah libanais a confirmé samedi 28 septembre la mort d’Hassan Nasrallah chef du mouvement chiite depuis 1992. Cette élimination fait suite à une frappe de l’armée israélienne vendredi sur son quartier général, dans la banlieue sud de la capitale Beyrouth.

La mort d’Hassan Nasrallah, alors considéré comme l’homme le plus puissant du Liban à la tête d’une milice lourdement armée par l’Iran, fragilise un peu plus le mouvement islamiste et la stratégie de dissuasion iranienne. Pour le moment, l’Iran a réagi à cet assassinat en réitérant sa menace d’une “destruction” d’Israël. Mais selon David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris et spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient, ce nouveau coup dur va obliger Téhéran à changer sa stratégie de dissuasion… Sans pour autant risquer l’escalade militaire.

L’Express : Après la mort d’Hassan Nasrallah, quelle réaction peut-on attendre de la part de l’Iran ?

C’est le gros point d’interrogation. Parce qu’effectivement, il y a un lien intime entre le Hezbollah et Téhéran. Le Hezbollah, c’est une création de l’Iran dans les années 1980. Cependant, à l’exception de la réplique sans précédent en avril dernier, où pour la première fois, l’Iran avait été contraint de répliquer directement contre Israël, le pouvoir iranien n’a eu de cesse ces derniers mois d’éviter par-dessus tout de rentrer dans une logique escalatoire qui mettrait le pays directement en confrontation, non seulement avec Israël, mais potentiellement avec les Etats-Unis.

Le problème, c’est ce que j’appelle le “dilemme persan” : c’est le souhait de ne pas rentrer dans une confrontation et une logique d’escalade malgré le fait que l’Iran soit dans l’impossibilité de ne pas répondre. Il y a donc un dilemme pour Téhéran, vu la gravité de ce qui vient de se passer.

A quel point Hassan Nasrallah était important aux yeux du régime iranien ?

Hassan Nasrallah était un acteur central de la dissuasion iranienne. C’était l’incarnation du Hezbollah et de la stature du commandeur : une figure tutélaire, magistrale. Il était très proche du Guide suprême. En plus, il était “sayed”, c’est-à-dire reconnu comme un descendant du Prophète, comme l’indiquait son turban noir. C’est très important dans la culture chiite, donc il avait une aura religieuse auprès de ses troupes. Il avait aussi fait allégeance aux principes du Veleyat iranien, c’est-à-dire la reconnaissance de la primauté du guide [suprême iranien] sur la communauté chiite dans son ensemble, au-delà de l’Iran.

Donc évidemment, il était un relais fondamental des intérêts stratégiques iraniens. Dès lors, sa mort peut être un game changer [événement qui bouleverse la situation, NDLR] à la fois sur l’échiquier libanais et au niveau régional.

En quoi la fragilisation du Hezbollah remet en question la stratégie régionale de l’Iran ?

Jusqu’à présent, une partie de la dissuasion iranienne se faisait à travers ses mandataires. C’est ce qu’on appelle “l’Axe de la muqawamah”, c’est-à-dire cette myriade de groupes qui sont réunis en résistance à Israël. Au premier rang desquels il y a le Hezbollah, qui est le plus important.

Aujourd’hui, il y en a deux qui sont laminés : le Hamas n’existe plus, militairement, et le Hezbollah est en voie d’affaiblissement très avancé. Donc le problème pour Téhéran, c’est que ses mandataires sont très affaiblis de manière systémique. Ainsi, ce qui faisait la force de la dissuasion iranienne, notamment autour d’Israël, est relativisé. Avec, potentiellement, une dissuasion diminuée pour l’Iran lui-même. Dès lors, la question est de trouver comment rétablir ces dissuasions.

Est-ce que la réponse peut prendre la forme d’une riposte militaire iranienne plus intense qu’en avril dernier ?

C’est le registre de la réponse iranienne qui va probablement être déterminant, pas son intensité. Autrement, qu’est-ce que ça pourrait être ? Au lieu d’envoyer 350 missiles [sur Israël], en envoyer mille ? Ça ne changerait rien, puisque de toute façon, les missiles en question ont été interceptés la dernière fois, et que ça a d’ailleurs donné lieu à une contre-réplique israélienne en plein cœur de l’Iran.

L’Iran n’est pas en situation de se confronter militairement à Israël ou les Etats-Unis, et le pouvoir le sait très bien. C’est pour ça que l’Iran, pour compenser la faiblesse de son armée régulière, avait développé deux choses pour se protéger : les mandataires et [l’armement] balistique. Avec, en creux, le programme potentiel de la bombe [nucléaire]. Or, les mandataires sont affaiblis aujourd’hui, et la balistique dépend des mandataires. Dès lors, la question est de savoir comment l’Iran va trouver une solution pour se protéger. Et ce n’est pas en déclarant la guerre à Israël.

Quelle autre forme de dissuasion pourrait donc utiliser l’Iran ?

La réponse pourrait être sur un autre registre, comme par exemple de franchir le pas sur le nucléaire. En clair, ce serait de prendre la décision que l’Iran n’est plus seulement une puissance du seuil. C’est une décision politique, puisque, techniquement, l’Iran peut se doter de la bombe nucléaire. Jusqu’à présent, l’Iran a toujours dit qu’il n’avait pas un programme [nucléaire] à vocation militaire, et les Etats-Unis ont considéré que la décision n’avait pas été prise. Mais ça pourrait changer. Parce qu’à ce moment-là, vous avez une logique de dissuasion qui est rétablie en sanctuarisant l’Iran. L’Etat iranien ne peut plus être attaqué.

Est-ce qu’on peut donc s’attendre à une annonce similaire dans les jours à venir ?

Non, ça ne sera pas aussi provocateur. Ça serait plutôt le fait d’interdire [l’accès des installations nucléaires] aux inspecteurs, ou éventuellement de réaliser un essai [nucléaire] en souterrain, que les Américains constateront. Une fois qu’il y aura eu un essai, ça voudra dire que la décision aura été prise.




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