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Amiral Rob Bauer : “Peu importe l’issue de la guerre en Ukraine, nous aurons un problème russe”


En tant que chef du comité militaire de l’Otan, qui rassemble les 32 chefs d’état-major de pays membres de l’organisation, l’amiral néerlandais Rob Bauer se trouve à un poste d’observation privilégié du conflit en Ukraine. L’Express a pu l’interroger sur la situation actuelle à l’occasion de la prise en commandement de l’amiral français Pierre Vandier, à Norfolk, aux Etats-Unis, en tant que commandant suprême allié pour la transformation de l’Otan. “Il y a des progrès sur le champ de bataille pour les Russes, mais pas autant qu’ils le voudraient”, fait valoir l’ancien chef d’état-major des Pays-Bas, qui revient également sur les menaces nucléaires à répétition de Vladimir Poutine.

L’Express : La Russie progresse dans le Donbass et semble dans une position plus favorable dans sa guerre contre l’Ukraine…

Amiral Rob Bauer : Je ne suis pas d’accord. Les Russes ne sont pas du tout dans une position favorable. Ils n’ont atteint aucun de leurs buts stratégiques en deux ans et demi de guerre. Ensuite, les Ukrainiens leur posent un dilemme stratégique avec leur invasion du territoire russe [NDLR : dans l’oblast de Koursk].

Pour la première fois depuis 1941, il y a des troupes étrangères sur le sol russe. Poutine a dit qu’il défendait la mère patrie, mais ce n’est pas le cas. Les Ukrainiens obligent aussi les Russes à repousser leurs nœuds logistiques et leurs dépôts de munitions toujours plus loin [du front] en territoire russe, grâce à leurs drones. Les Russes ont ainsi perdu de grandes quantités de munitions et de carburant et sont incapables de défendre leur propre territoire. Les deux pays luttent contre les mêmes problèmes : ils ont tous les deux besoin de plus de combattants, de plus de capacités, d’armes et de munitions.

Mais il y a des avancées russes dans le Donbass et des attaques en profondeur contre les infrastructures civiles ukrainiennes, en particulier énergétiques. Ne craignez-vous pas que l’hiver qui s’annonce soit encore plus difficile que les précédents pour les Ukrainiens ?

Oui, bien sûr. C’est pour cela qu’il est important que ces frappes [longue portée] en Russie soient autorisées. Aujourd’hui, les Russes amènent la guerre dans le quotidien des gens en Ukraine. Mais l’Ukraine n’a pas réussi à faire de même avec les Russes alors qu’elle est attaquée par ces derniers en toute illégalité. Il y a des progrès sur le champ de bataille pour les Russes, mais pas autant qu’ils le voudraient. C’est très lent et très coûteux pour eux. Ils ont l’initiative depuis un moment et les Ukrainiens ne font que se défendre, mais l’offensive sur l’oblast de Koursk est un bon exemple de la capacité des Ukrainiens à faire preuve d’audace en trouvant des points faibles.

Les Ukrainiens reçoivent-ils suffisamment d’aide militaire des pays membres de l’Otan ?

L’Ukraine reçoit du soutien de la part d’une cinquantaine de pays, pas seulement de l’Otan, même si 99 % de cette aide militaire vient des alliés de l’Otan. Les Ukrainiens en demanderont toujours plus, ce qui est compréhensible, étant donné le fait qu’ils sont en guerre. Nous avons maintenant besoin d’augmenter notre capacité industrielle, pour être sûrs d’obtenir plus de systèmes d’armes pour notre défense, mais aussi pour permettre à l’Ukraine de lutter.

Qu’est-ce que les frappes avec des missiles à longue portée occidentaux en territoire russe changeraient pour les Ukrainiens ?

Il n’y a pas d’arme miracle. Mais toutes les armes que nous avons, c’est pour de bonnes raisons ; et donc une nation en guerre les veut toutes pour avoir tous les avantages de ces armes combinées. Militairement, frapper toujours plus profondément la Russie est dans la logique de ce qu’il faut faire. C’est aussi conforme au droit international de la guerre : si vous êtes vous-mêmes envahis, vous avez alors le droit de porter la guerre sur le territoire de l’autre. Donner ou non de telles armes est une question politique. Les nations ont le droit d’y réfléchir, d’en parler et de poser des limites aux Ukrainiens.

Y a-t-il un risque que Poutine, ou la Russie, mène une attaque sur le territoire de l’Otan ?

Les ambitions de la Russie sont plus larges que l’Ukraine. On le sait grâce au document reçu en décembre 2021, où les Russes demandaient à revenir à leur sphère d’influence, en exigeant que les nations devenues membres de l’Otan depuis 1997 ne puissent pas avoir des forces de l’Otan stationnées chez elles. On le sait aussi compte tenu de ce qu’ils ont fait en Géorgie en 2008, dans les années 1990 en Moldavie, en Crimée et au Donbass en 2014 et depuis 2022 dans le reste de l’Ukraine. Peu importe l’issue de la guerre, nous aurons un problème russe. S’ils gagnent, ils auront le sentiment qu’ils peuvent continuer contre d’autres pays. S’ils perdent, ils seront en colère, et nous auront là encore un problème.

Seront-ils capables d’attaquer un pays de l’Otan ? Pas en ce moment, mais si la guerre se termine, ils disposeront alors d’une base industrielle en avance [sur celle de l’Otan] pour ce qui est de la production de matériel militaire. Leur capacité de se reconstituer sera plus forte que la nôtre. Certaines nations estiment que dans trois ans, d’autres que dans sept ans, les Russes seront capables de nous attaquer militairement. Est-ce qu’ils en auront l’intention ? C’est une possibilité. A la fin, ce sera une décision, non de l’Otan, mais de M. Poutine ou du dirigeant russe en place. Il y a beaucoup de choses qu’on peut planifier dans notre société, mais pas la guerre.

C’est-à-dire ?

On pensait que cela n’arriverait pas en Ukraine, et pourtant c’est arrivé et cela a provoqué un grand choc dans notre société : à savoir que si l’Ukraine peut être attaquée, nous pouvons être attaqués. Et cela a mené à la réorientation de l’Otan vers la défense collective. Toutes ces décisions ont été prises. Mais le plus grand problème, pour le moment, est la capacité de production industrielle.

La Russie fait beaucoup plus de menaces nucléaires depuis février 2022. Craignez-vous l’utilisation d’une bombe atomique par Poutine ? [NDLR : l’interview a été réalisée deux jours avant que Poutine déclare, le 25 septembre, que la Russie se donnait la “possibilité” d’utiliser l’arme nucléaire en cas d’attaque aérienne “massive”]

Oui, il y a plus de rhétorique de la part de la Russie. Est-il possible qu’ils utilisent une arme nucléaire ? Leur doctrine parle de l’utilisation d’une arme tactique dans un conflit conventionnel, c’est donc une possibilité. Mais nous nous sommes mis d’accord, récemment, pour dire qu’une guerre nucléaire ne doit pas être déclenchée et ne peut être gagnée.

Si les Russes utilisaient une arme nucléaire, alors ils reviendraient sur ce point, et la Russie aurait un sérieux problème avec un nombre d’alliés qui sont indifférents à ce que fait la Russie ou qui la soutiennent. La Chine est l’une des nations qui pourraient reconsidérer son soutien à la Russie si celle-ci utilisait une arme nucléaire. Est-ce que cela va arriver ? Je ne sais pas. A chaque fois que les Russes émettent une menace, elle est à prendre au sérieux. Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas eu à changer notre posture sur le nucléaire.

Donald Trump pourrait revenir à la Maison-Blanche. Cela pourrait-il faire dérailler à l’Otan ?

M. Trump n’est pas tant que cela contre l’Otan. Il était irrité par le fait qu’un grand nombre de pays, lorsqu’il était président, ne dépensaient pas assez pour leur propre défense, probablement parce qu’ils attendaient que les Etats-Unis interviennent si l’Otan était attaquée. Beaucoup de choses ont changé depuis : 24 nations dépensent 2 % ou plus de leur PIB pour la défense en 2024. Quand il était président, notre bilan n’était pas si bon. En fait, nous avons fait ce qu’il a demandé, pas parce que ce n’est pas une bonne chose qu’une seule nation paye la note et s’occupe de notre sécurité, mais parce que vous ne pouvez pas venir au secours d’un autre pays si votre propre défense n’est pas bien assurée.

Cet été, au sein du parti républicain, on a entendu de moins en moins de sorties sur l’inutilité de l’Otan et sur le fait qu’il faudrait la quitter, mais plus sur le fait que les nations devraient payer davantage que 2 %. On entend des chiffres comme 3 ou 3,5 %. Si les dirigeants des Etats membres de l’Otan ne se sont pas mis d’accord sur un chiffre, ils ont déjà décidé que le financement de la capacité d’exécution des plans régionaux [les forces dédiées à une réaction rapide de l’Otan en cas de nécessité] s’ajouterait aux 2 %.

La Chine n’est-elle pas une menace, à terme, pour l’Otan ? L’Alliance atlantique évoque ce pays, dans ses derniers communiqués d’après sommet, de la même manière qu’elle évoquait la Russie il y a encore quelques années…

Pendant longtemps, on a pensé que l’interdépendance économique avec la Russie garantirait la sécurité. Cela s’est révélé faux. L’autre hypothèse qui s’est révélée fausse est que si notre commerce avec les Chinois leur permet de s’enrichir, ils deviendront démocratiques. La Chine se détache de plus en plus des règles internationales, ce que la Russie a déjà fait à bien des égards.

Mais nous ne sommes pas voisins, sauf dans le monde numérique. La Chine n’est pas dans la zone couverte par le traité de l’Atlantique nord. C’est une différence importante. Personne ne défend l’idée qu’il faut considérer la Chine comme une menace de la même manière que la Russie. Mais il y a un nombre de dépendances vis-à-vis de la Chine sur lesquelles on doit être moins naïf. 75 % des matières premières médicales sont entre les mains de la Chine. Par ailleurs, les terres rares ne sont pas si rares et on devrait reconsidérer les gisements dont nous disposons. Pour des raisons environnementales, on n’ouvre pas de mines. C’est un choix, mais qui rend dépendant de la Chine, de façon volontaire, quand bien même l’on sait que cela pourra nous porter préjudice sur le plan sécuritaire à long terme. Si nous comprenons qu’il y a une dépendance, nous devrions parler de solutions pour la réduire. Mais je ne dis pas qu’il ne faut pas avoir de commerce avec la Chine, ce n’est pas le sujet.




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