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Ve République : gare à l’illusion de la réforme institutionnelle, par Denys de Béchillon


La situation politique et le désarroi national étant ce qu’ils sont, la tentation va renaître d’en finir avec la Ve République. Les circonstances feront que cette idée aboutira ou pas, mais elle reviendra bientôt. Mieux vaut donc s’y préparer et, si possible, se prémunir contre les nombreuses illusions qui l’accompagneront. A commencer par le fantasme selon lequel un “bon” système constitutionnel protège contre les catastrophes et les décisions imbéciles.

Prenons l’Allemagne. Sur le papier, rien de mieux : une loi électorale très respectueuse du pluralisme ; un pouvoir exécutif modelé par l’exigence du compromis ; l’absence d’élection du président de la République au suffrage universel et l’évitement corrélatif de la trop grande personnalisation/concentration du pouvoir ; une organisation territoriale favorable à l’essor des énergies locales… La quasi-perfection… Sauf que ça ne suffit pas. Ça suffit même de moins en moins : une extrême droite bien plus effroyable que “notre” Rassemblement national y gagne vertigineusement en popularité alors que tout – et d’abord le mode de scrutin – avait été pensé depuis la fin de la guerre pour que ce genre de choses ne puisse plus jamais arriver ; des résultats économiques et budgétaires qui n’ont plus rien de mirobolant ; une des pires décisions du demi-siècle – l’abandon de l’énergie nucléaire – prise en trois minutes, aux lendemains de Fukushima, avec pour effet direct une aggravation délirante de la dépendance au gaz russe et un bilan environnemental calamiteux puisqu’il a fallu réactiver tout ce qu’on avait de centrales à charbon pour faire face aux besoins… Pas de quoi pavoiser.

La Grande-Bretagne ? Sa maîtrise du parlementarisme est remarquable. Mais cela ne l’a pas empêchée de succomber aux sirènes référendaires et de se jeter à corps perdu dans ce Brexit suicidaire dont elle s’emploie aujourd’hui à rafistoler les dégâts comme elle peut. Quant aux Etats-Unis, leur formidable régime n’empêche ni Trump, ni sa toujours possible réélection, ni la déliquescence intellectuelle et morale du parti républicain. J’en passe et des meilleures. De science certaine, il n’existe rien, nulle part, qui ressemble de près ou de loin à un talisman constitutionnel.

L’abêtissement général et le glissement populiste

Si nous étions des anges, disait James Madison, nous n’aurions besoin d’aucun gouvernement, et si les anges nous gouvernaient, il n’y aurait aucun besoin de les contrôler. Un des axiomes de la philosophie politique des Lumières veut ainsi qu’une bonne Constitution doive pouvoir fonctionner malgré tout, en dépit des faiblesses, des médiocrités voire des folies. Cela reste vrai, mais de moins en moins. L’abêtissement général et le glissement populiste d’un bout à l’autre du spectre sont devenus trop structurels pour demeurer maîtrisables par la seule vertu des institutions politiques. Si, comme tout porte à le croire, nos peuples s’infantilisent à grande vitesse, on ne peut pas espérer d’eux qu’ils se laissent suffisamment guider par la raison, et donc par la conscience de leur infantilisme. Quant à la classe politique, dont la qualité moyenne suit la même pente par application de la loi de l’offre et de la demande, elle se dispose de moins en moins à faire de la réalité, de la tempérance, du compromis et de la recherche de l’intérêt général les principes de son action. Tout cela converge. Nous nous vouons donc au spectacle, à la “com'”, à l’oubli, au déni de ce qui nous embête ou nous effraie, à la politique politicarde… Contre nos goûts, les Constitutions ne peuvent pas grand-chose.

Ô, bien sûr, certaines réformes aggravent le trait. Il est probable, par exemple, que la prohibition du cumul des mandats aggrave beaucoup l’immaturité parlementaire. Mais ces choses ne jouent qu’à la marge, une fois rapportées à l’ampleur de notre commune dérive. Mieux vaudrait s’y résoudre, avec pour viatique une conviction ferme : nous n’arriverons à rien si nous ne cherchons pas, d’abord, à lutter contre ce que nous sommes, et à cesser de vouloir nous persuader qu’une bonne petite partie de Meccano institutionnel apportera la solution. Les vraies réponses aux vrais problèmes sont ailleurs.




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