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“Il veut renverser la table socialiste” : Boris Vallaud, de sa permanence des Landes jusqu’à l’Elysée


Septembre, jour grisâtre à Saint-Sever. Un ballet de parapluies anime la petite place de Verdun, centre géographique de la ville landaise aux 5 000 âmes. Quelques-uns s’arrêtent devant une porte d’une maison aux volets rouges. Les anciens du village se souviennent que les murs abritaient autrefois un restaurant de bonne facture. Boris Vallaud et sa famille y ont déjeuné après les obsèques du grand-père. Le tenancier a fini par mettre la clef sous la porte, laissant là quelques meubles à l’abandon, alors Vallaud en a fait sa permanence en 2017 lorsqu’il a été élu député du coin – la 3e circonscription des Landes. Sur la devanture, aucune immense photo avec son visage tout sourire en gros plan siglée “Votre député Boris Vallaud”, mais son nom sur un écriteau d’une pâleur anonyme au coin de la sonnette qui annonce les visiteurs. Ils viennent toujours le jeudi et le vendredi, toujours nombreux, toujours des drames plein les poches. Ces gens se connaissent, se sont forcément croisés à l’une des 800 fêtes landaises annuelles. Des multirécidivistes des problèmes, travailleurs précaires interdits bancaires, chômeurs à la pelle, des agriculteurs, colosses de ce pays de rugby, qui se présentent comme “petits paysans” le regard baissé et la gorge nouée par les larmes tant ils sont noyés sous les dettes, des femmes battues et rebattues par leurs maris… Boris Vallaud en a vu passer autour de la petite table ronde. Il écoute les longs cortèges de problèmes, les pas si graves et les terribles, les affaires de voisinage et de route où l’on roule trop vite comme les suicides ou les viols d’enfants. Il les note sur son grand carnet à spirales. Un paragraphe par audience.

Ce jeudi-là, une femme de ménage pousse la porte. Immigrée venue d’un pays d’Asie, Narisara* vit en France depuis vingt-sept ans, autrefois mariée à un Français. Il l’avait épousée, l’avait fait venir dans les Landes. Il l’avait cognée aussi. Lors de la séparation, il est parti avec l’argent mais surtout les papiers administratifs. La femme, mère de trois enfants nés en France, n’a que son vieux titre de séjour qu’elle voudrait bien faire renouveler mais l’ambassade de son pays d’origine refuse de lui donner copie de son acte de naissance. Il faudrait qu’elle vienne à Paris pour étudier la demande, sans assurance d’obtenir le document, mais elle n’a pas assez d’argent pour un aller-retour entre Dax et Paris, et puis qui gardera les enfants ? Elle travaille beaucoup, des ménages tous les jours, même le dimanche. Son petit classeur bleu regorge de fiches de paie. “C’est ma vie”, clame-t-elle, sourire fier. Si elle est venue voir Boris Vallaud, c’est pour de l’aide avec la paperasse mais aussi un petit coup de plus à Paris. Il est député après tout, il doit connaître du beau monde là-bas. On le voit à la télévision. Un courrier avec l’en-tête de l’Assemblée nationale ou un simple mail avec son nom pour alerter l’ambassade sur la situation de Narisara, comme il en a fait tant d’autres à la préfète, à la justice, à la CAF. Ça pourrait débloquer une situation.

Le paradoxe du comédien

Car c’est cela que beaucoup viennent chercher, impuissants la plupart du temps : de l’entregent, une oreille influente auprès des pouvoirs publics, pour zigzaguer un peu plus facilement dans le dédale glacial de l’administration française. Ici, à Saint-Sever, comme dans tant d’autres coins de France, l’Etat s’est fait la malle au fil des années. Il n’y a ni lycée ni tribunal. Le dernier kilomètre de l’Etat se trouve entre les quatre murs de ce bureau de Boris Vallaud. Pour Narisara, l’élu fera un courrier à l’ambassadeur à Paris. “J’écris et je vous dis”, lâche le député. Un début d’espoir avec quelques mots qui disent non pas l’impuissance de l’hôte mais la portée limitée de ses pouvoirs. Il n’est “que” député. Souvent, les visiteurs font de lui l’incarnation des maux d’en haut qui s’abattent parfois sur les gens d’en bas. Des maux en cinq lettres parfois : Cerfa. Comme ce jour où l’une de ses collaboratrices accompagne une jeune maman paniquée devant la vingtaine de pages d’un dossier de demande d’aide au handicap pour son fils. “Je suis malgré moi le visage de la déception, admet Vallaud. Le porteur impuissant des silences aux questions posées.”

Toutes ces vies landaises croisées, ces vies loin de Paris, Boris Vallaud a décidé de les raconter dans En Permanence. Ces vies que je fais miennes (Odile Jacob). Un livre qui interroge sur le rôle du “politique” en 2024, qu’il soit maire, conseiller départemental ou régional, ministre ou, là, député ; sur leur utilité face aux vies des “gens qui ne sont rien”. On les dit trop occupés à la capitale, aux affaires de partis et autres. Un livre comme une réflexion idéologique au service de la gauche pour qu’elle ne soit plus le tribunal de la vie des gens. “La politique me fascine autant qu’elle me dégoûte, et je ne cesse d’être pris entre le romantisme de l’action et le désenchantement de l’impuissance, admet Boris Vallaud dans ses pages. Souvent, le romantisme est à Saint-Sever quand le désenchantement est à Paris.” Il applique le paradoxe du comédien de Diderot à son mandat : jouer avec raison pour mieux feindre l’émotion. Le meilleur acteur n’est pas celui qui joue avec le plus de sentiments mais celui qui met le plus de méthode, de sang-froid. Vallaud cogite avec lui-même : “Le meilleur des députés est-il celui qui épouse avec une empathie sans filtre les causes des hommes et des femmes de sa circonscription ou celui qui défend sans passion une certaine idée de l’intérêt général, de la nation, de la République, parfois à rebours de l’opinion dominante, parfois contre elle ? Faut-il écrire et voter la loi de sang-froid ou se plonger dans la vie des autres pour être le plus juste interprète du mandat qu’ils m’ont donné ?” Mais Boris Vallaud n’est pas Jacques Chirac ou tant d’autres, y compris à gauche qui jurent connaître “le peuple” et parlent en son nom depuis la capitale. Son empathie à lui n’est pas feinte.

Ces vies, le bon élève à la coupe au bol blond né à Beyrouth, fils du célèbre historien Pierre Vallaud (qui fut l’éditeur d’un certain Michel Barnier) aurait bien pu les ignorer, et même ne jamais croiser leur route. Vallaud, le discret bosseur de la fameuse promotion Léopold Sédar Senghor à l’ENA qui vu passer Emmanuel Macron, Sibyle Veil, Mathias Vicherat et Gaspard Gantzer. En quittant les classes de la rue Sainte-Marguerite à Strasbourg en 2004, des carrières au Trésor, aux affaires étrangères et à l’Inspection générale des affaires sociales lui tendaient les bras, mais à tout cela il a préféré la préfectorale. Il fait ses armes comme secrétaire général de la préfecture des Landes. “Secrétaire général de la préfecture ? Comme Maurice Papon ?”, le taquinera un jour Raymond Aubrac. Henri Emmanuelli, le baron socialiste des Landes et député de la circonscription avant lui, tombe sous son charme et l’appelle pour démêler toute sorte d’histoires avec l’Etat. “Je préfère vous emmerder vous que le préfet. Vous trouvez toujours une solution”, le flattera un jour le Landais aux gros sourcils qui le pousse à prendre sa carte au PS. Il sait que Vallaud a le cœur à gauche : sa femme s’appelle Najat Vallaud-Belkacem, alors jeune figure socialiste, porte-parole de la campagne en 2007, et bientôt ministre de l’Education nationale. Le jeune énarque préférera filer en Saône-et-Loire avec Arnaud Montebourg – ses “meilleures années”. Ce dernier l’embarquera dans son cabinet au ministère du Redressement productif. Ce sera l’Elysée ensuite, au secrétariat général en remplacement d’Emmanuel Macron et Nicolas Revel en 2014. Revel lui confiera une petite musique qui n’a eu de cesse de trotter dans sa tête depuis : “Je pars parce que je m’interroge sur mon utilité.”

“Il n’est pas envahi par le désir de conquérir le pouvoir”

L’utilité, début d’une obsession politique. Mais que peut-il faire de plus désormais ? Ministre ? Lucie Castets le lui a proposé, l’idée ne l’enchantait guère. Michel Barnier rêvait qu’il lui dise oui, “non merci.” Premier ministre ? “Bof.” Président de la République, ce sera. Il se refuse à l’admettre publiquement, mais il envisage d’entrer dans la danse des prétendants à la succession d’Emmanuel Macron. Un de plus. Combien ont cette si haute estime d’eux-mêmes, jurant au sacrifice, au sacerdoce républicain, au point de croire qu’ils peuvent embarquer des millions de Français derrière leur nom ? Boris Vallaud n’est pas de ceux qui s’imaginent un destin de candidat sauveur, tous ses amis le disent avec une pointe d’agacement dans la voix tant ils aimeraient qu’il soit plus offensif. “Contrairement à beaucoup d’autres, il n’est pas envahi par le désir de conquérir le pouvoir alors qu’il a toutes les qualités pour le porter, raconte son ami historien Christophe Prochasson. Il est authentiquement modeste et se dit souvent que la vie est aussi ailleurs. Il n’a pas une folle envie de devenir président de la République, ce que je regrette.” Et de se reprendre aussitôt : “Quoique ! Ce n’est pas dans l’air du temps politique, mais c’est en réalité une qualité.”

Encore faut-il trouver le chemin. Encore faut-il écarter les autres Narcisse dont le Parti socialiste regorge. Les grandes et basses manœuvres, les coups, étapes nécessaires à la conquête du pouvoir qui permet de changer la vie des gens qu’il raconte dans son ouvrage. Boris Vallaud sait y faire : présider le groupe de députés socialistes avec ses individualités, de François Hollande aux jeunes loups ambitieux, n’est pas une mince affaire. Si le parti dirigé par Olivier Faure est un panier de crabes, le groupe parlementaire mené par Vallaud est un havre de consensus aussi apaisé qu’efficace. “Au parti on s’engueule et au groupe on travaille”, résume un parlementaire proche de Vallaud, l’un des nombreux qui le poussent à “aller plus loin”.

Aller plus loin, c’est déjà remplacer le Premier secrétaire. Avant la dissolution, il se préparait déjà à “appuyer sur le bouton”, dixit un socialiste. Doux euphémisme. “Avec quelques-uns, on a réfléchi sur une rentrée politique badaboum mais la dissolution a perturbé nos plans, confie un de ses amis qui assure que l’idée n’est pas abandonnée : il veut renverser la table socialiste, avec classe.” Des députés, maires et élus socialistes, des proches de Faure comme bien des adversaires internes de celui-ci, se disent prêts à se mettre en ordre de bataille pour lui dérouler le tapis rouge au prochain congrès du PS, début 2025. Un congrès que Vallaud espère de “réconciliation”, avec un nouveau travail doctrinaire de gauche qu’il mijote depuis plusieurs années. Le Landais n’en pipe mot, mais il sait qu’il faudra bientôt un coup, un choc, sinon les vies croisées en sillonnant les Landes continueront de sonner à la porte de sa permanence les jeudis et vendredis jusqu’à ce que le Rassemblement national s’y installe.

* Le prénom a été modifié




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