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Kamala Harris : sa soeur Maya, si secrète et pourtant si influente

Ce soir-là, la conseillère de l’ombre a pris toute la lumière. Tailleur rose bonbon, menton haut, verbe tranchant. Une légère émotion dans la voix – juste ce qu’il faut – au moment d’évoquer l’histoire “si américaine” de sa mère, Shyamala, jeune immigrante indienne devenue docteure en biologie et spécialiste des cancers du sein, décédée en 2009. Ce soir-là, Maya Harris, 57 ans, chauffe une foule de 50 000 personnes à la Convention démocrate de Chicago, avant de donner la parole à sa grande sœur, Kamala, pour son discours d’intronisation de candidate à la présidentielle américaine. Ce soir-là, le duo inséparable Maya et Kamala se lance officiellement à l’assaut de la Maison-Blanche. Enfin.

Depuis leur entrée en politique, il y a près de trente ans, Maya Harris reste en coulisses et prend des notes, pendant que son aînée est sur le devant de la scène. A la sortie, elle est toujours la première à enrouler son bras autour de la candidate pour partager ses critiques (constructives) à chaud, sans prendre de gants. La seule capable de sermonner Kamala Harris, la seule capable de résister à son caractère en titane, c’est elle. “Depuis la mort de leur mère, Maya est devenue la première conseillère de Kamala, sa première confidente, son alter ego, assure Olivier Piton, avocat français basé à Washington et auteur de Kamala Harris, la conquérante (sorti le 26 septembre chez Plon). La candidate garde autour d’elle une tribu dans laquelle Maya tient une place extrêmement importante.” Tous leurs combats, intimes comme politiques, elles les ont gagnés ou perdus ensemble.

“Si Kamala Harris doit choisir, elle choisira toujours Maya”

A la séparation de leurs parents, les deux préadolescentes des rues d’Oakland, en Californie, suivent leur mère dans le froid de Montréal et se serrent les coudes dans une école francophone, où elles sont les seules à ne maîtriser que l’anglais. Puis, quand Maya devient mère au lycée, à 17 ans, Kamala se tient à ses côtés pour l’accompagner dans de brillantes études de droit à Stanford tout en élevant sa fille, Meena. Dans une rare fenêtre ouverte sur sa vie intime, la vice-présidente a raconté à Politico qu’elle rentrait plus tôt de la faculté de droit pour apprendre à sa nièce comment aller sur le pot… même si la grossesse adolescente de sa petite sœur n’apparaît pas dans ses Mémoires parus en 2019.

Presque naturellement, la cadette va diriger toutes les campagnes politiques de sa sœur, du poste de procureure de San Francisco en 2003 aux primaires démocrates de 2020. “Les assistants de Harris savent qu’il vaut mieux éviter de s’interposer entre les deux sœurs, écrit Dan Morain, ancien journaliste du Los Angeles Times, dans sa biographie Kamala Harris (Talent éditions, 2021). Si Kamala Harris doit choisir, elle choisira toujours Maya.” Alors, quand elle se marie, à 49 ans, avec Doug Emhoff, c’est évidemment sa petite sœur qui dirige la cérémonie… et rédige ses vœux de mariage. “Kamala Harris raconte souvent des anecdotes sur son enfance, mais elle ne dit jamais ‘je’, toujours ‘nous’, car elle parle d’elle et de sa sœur, soulève Marcia Godwin, professeure à l’université de La Verne, en Californie, qui connaît bien les deux femmes depuis vingt ans. C’est une équipe très soudée depuis l’enfance.” La clef pour vraiment comprendre qui est Kamala Harris s’appelle Maya.

L’autre prodige de la politique californienne

Diplômée de Stanford, plus jeune doyenne d’une université de droit américaine (à 29 ans), militante pour les droits civiques et conseillère spéciale d’Hillary Clinton pour la présidentielle de 2016, Maya Harris a longtemps été considérée comme l’autre prodige de la politique californienne. Au-delà de leurs rires tonitruants et de leurs caractères bien trempés, les sœurs – qui ont deux ans d’écart – multiplient les points communs. “Leur sens de l’humour est similaire, elles sont brillantes et pointilleuses. Elles ont les nerfs solides et sont compétitives, parfois même entre elles, comme une grande et une petite sœur peuvent l’être”, décrit Dan Morain.

Dans une rare interview commune, datant de plusieurs années, Maya et Kamala s’envoient petites piques et éclats de rire, la première refusant d’appeler son aînée “générale Harris”, le surnom donné aux procureurs généraux aux Etats-Unis. “Quand elle sera présidente des Etats-Unis, je l’appellerai madame la présidente, mais d’ici là c’est juste Kamala”, souligne la première. “Non non, tu m’appelles grande sœur… grande sœur générale”, réplique la seconde, avant de s’envoler dans un fou rire. Complicité et ambition d’airain, telle est la recette familiale des Harris.

La politique américaine ressemble souvent à une histoire de famille. Pendant sa longue carrière, Joe Biden a laissé sa sœur Valerie mener ses campagnes électorales. Donald Trump a placé ses enfants partout à la Maison-Blanche et dans l’appareil du Parti républicain. George W. Bush a hérité du bureau Ovale de son père, et Hillary Clinton suivait les traces de son mari avant de s’effondrer aux portes de la victoire… Si elle ne vient pas d’une dynastie politique, Kamala Harris avance elle aussi en famille, avec Maya comme point d’ancrage. “Aux Etats-Unis, vous ne pouvez pas gravir les échelons comme l’a fait Kamala Harris sans avoir un réseau solide derrière vous, notamment familial, pointe Jennifer Nicoll Victor, politologue à l’université George-Mason spécialiste des réseaux politiques. Tous les présidents et les présidentiables récents viennent de familles dont les membres ont des carrières impressionnantes soit dans le monde du business, soit en entreprise, soit en politique. Le succès familial est devenu une condition essentielle du succès politique.”

Kamala Harris cultive ses liens familiaux. Presque chaque dimanche, elle organise de grands déjeuners avec ses proches, où la politique est omniprésente. “C’est une tradition qu’elle a mise en place lors de son mariage avec Doug Emhoff il y a dix ans afin de mieux connaître les enfants de son mari”, précise Marcia Godwin. Cette familière des Harris relève un détail à l’apparence anecdotique, mais crucial pour comprendre leur dynamique familiale : Kamala partage sa date d’anniversaire (le 20 octobre) avec sa nièce Meena, la fille unique de Maya. “Dès l’origine, c’est une famille très soudée, mais avec ce genre de rendez-vous en commun, elles font encore davantage d’efforts pour se voir et célébrer leurs anniversaires ensemble”, raconte Marcia Godwin.

Le cercle familial Harris, une clef pour la présidentielle

Ces jours-ci, les déjeuners dominicaux tournent autour d’un seul objectif : la Maison-Blanche, en jeu le 5 novembre prochain. C’est d’ailleurs autour de la table familiale, le dimanche 21 juillet, que Kamala Harris a appris l’abandon de Joe Biden, poussé par le Parti démocrate à se retirer de la course présidentielle. Ce jour-là, Maya se trouve à ses côtés ; elle ouvre immédiatement son carnet d’adresses, rempli de noms de l’aile gauche du Parti démocrate. Grâce à sa carrière dans les droits civiques, la petite sœur possède un solide réseau progressiste et au sein des minorités. Les deux femmes doivent rallier les troupes pour imposer Kamala comme la seule option de remplacement possible pour la présidentielle, en mettant d’accord la gauche et le centre du Parti démocrate. Après trois jours et des centaines de coups de fil, l’évidence s’impose : tous les cadres du parti, de Joe Biden à Bernie Sanders, en passant par Barack Obama et Bill Clinton, s’alignent derrière la vice-présidente. Les sœurs Harris arrachent leur première victoire de la campagne.

Kamala Harris en meeting électoral à Madison, dans le Wisconsin, le 20 septembre 2024

Pour le choix – crucial – du colistier de Kamala, Maya rôde aussi tout le week-end chez sa sœur (autour d’un rôti de porc, selon les indiscrétions de campagne). La décision se doit d’être rapide, franche et suffisamment habile pour faire basculer les sept Etats clefs où se jouera l’élection. La campagne Harris s’est donnée comme date limite le 6 août, afin de préparer l’opinion avant la Convention démocrate deux semaines plus tard.

Le mari de Maya, Tony West, se trouve aussi en cuisine et participe activement au choix du potentiel vice-président. Numéro trois du ministère de la Justice sous Obama, désormais directeur juridique d’Uber, le beau-frère de Kamala a mis son réseau tentaculaire de la Silicon Valley au service de la candidate et parvient à lever des millions de dollars pour la campagne. Il s’est mis en congé sabbatique du géant du transport privé le temps de faire élire sa belle-sœur à la Maison-Blanche. D’après la presse américaine, il aurait été déterminant dans le choix de Tim Walz comme potentiel vice-président, ce sympathique gouverneur du Minnesota qui doit ramener la “Rust Belt” à Kamala Harris.

Cette année, le clan Harris met tout en œuvre pour ne pas répéter les erreurs de sa première campagne présidentielle, en 2019. Kamala est alors sénatrice de Californie depuis deux ans et perçue comme une étoile montante du Parti démocrate depuis des années. Jeune, noire, avec une solide carrière de procureure, la Californienne brille notamment lors de l’audition au Sénat du juge Brett Kavanaugh, un choix de Donald Trump pour la Cour suprême, antiavortement et accusé d’agression sexuelle. Avec ses questions millimétrées et ses mimiques, Kamala Harris gagne une notoriété nationale et surfe sur la vague MeToo. C’est chez Maya Harris, avec vue sur Central Park à New York, qu’elle décide alors de se lancer dans la course des primaires démocrates, entourée encore une fois de son mari Doug Emhoff et de son beau-frère Tony West.

Avec sa fraîche renommée, elle s’impose rapidement dans le trio de tête des primaires, aux côtés des vétérans Joe Biden et Bernie Sanders. Mais sa campagne s’effondre avant même le premier vote, dans l’Iowa. “Maya Harris dirigeait la campagne depuis le QG de Baltimore, sur la côte est, alors qu’une autre équipe gérait la côte Ouest à Los Angeles, retrace James Adams, politologue à l’Université de Californie Davis. Elle était perçue comme une personnalité clivante et comme l’une des raisons de l’échec de cette campagne désunie.” L’équipe dilapide les fonds, voyage en première classe et multiplie les coups bas en interne.

Vif échange entre les candidats démocrates Kamala Harris et Joe Biden sur le plateau du débat à Miami, en Floride, le 27 juin 2019

Au crépuscule de la campagne, des membres du staff critiquent Maya Harris, dépeinte comme dure, cassante et responsable de licenciements abusifs au sein de l’équipe. “Maya n’a jamais été un modérateur, elle a toujours été partie prenante pour sa sœur, envers et contre tout, avance Olivier Piton. Les critiques sont peut-être permises dans l’intimité mais vis-à-vis de l’extérieur, le soutien indéfectible et total à Kamala Harris n’est pas négociable.” Cette réputation suivra la vice-présidente à Washington DC, où treize membres de son cabinet démissionnent pendant ses treize premiers mois en poste.

Une campagne très à gauche, possible boulet aujourd’hui

En 2019, le problème de la campagne Harris va au-delà du management. Pendant des mois, son équipe change de stratégie constamment et peine à définir le profil de la candidate. A l’heure de Black Lives Matter, certains en interne tentent de gommer la réputation de procureure intransigeante de Kamala Harris, qui a mis des Américains en prison pour possession de cannabis et ne s’est pas opposée à la peine de mort. Maya Harris, qui vient du monde militant des droits civiques, impose alors une politique très à gauche pour gommer cette image. “Pendant cette campagne, Kamala Harris a défendu la sécurité sociale pour tous ou l’arrêt des financements de la police, se souvient James Adams. Ces déclarations pourraient être un boulet aujourd’hui, alors que Donald Trump tente de présenter Harris comme une candidate d’extrême gauche et une marxiste. C’est un vrai défi pour elle.” Si Maya reste aujourd’hui la première conseillère et confidente de sa sœur, elle ne tient pas officiellement les rênes de la campagne. Ceux-ci ont été confiés à Julie Chavez Rodriguez, une autre fidèle de Kamala depuis leurs années communes en Californie.

Cela n’empêche pas Maya, au vu de sa carrière et de sa proximité avec la candidate, de gagner un surnom dans les couloirs de Washington DC : “la Robert Kennedy de Kamala Harris”. En arrivant à la Maison-Blanche en 1961, John Fitzgerald Kennedy avait nommé son cadet procureur général des Etats-Unis, et ce dernier envisageait lui-même de devenir président un jour. Assassiné à Los Angeles en 1968, “Bobby” connaît le même destin tragique que son frère.

Kamala Harris pourrait-elle être tentée de faire comme JFK, avec le poste de procureur général en jeu pour sa sœur Maya, voire son beau-frère Tony West ? “L’adversaire majuscule de Harris se nomme Donald Trump, qui a été abondamment critiqué pour son népotisme pendant son mandat. Il serait donc peu probable qu’elle nomme des proches à des postes haut placés en cas de victoire, estime Jennifer Nicole Victor. Elle voudra absolument se démarquer de la présidence Trump. Maya Harris devrait donc rester focalisée sur l’aspect campagne politique de sa sœur plutôt que sur la gestion de l’administration, ce qui paraît davantage approprié.” Un retour dans l’ombre après une campagne victorieuse. La “générale” Maya Harris ne pourrait pas rêver mieux.




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