Ces derniers mois, il est devenu l’un des adversaires les plus redoutés de Bercy, à mesure que les prévisions de déficit étaient revues à la hausse. Descente au ministère de l’Economie pour obtenir des documents, rapport d’information sur les finances publiques… Le rapporteur général du budget du Sénat, Jean-François Husson (LR), a usé de tous les moyens pour obtenir les réponses à ses questions.
Aujourd’hui, il n’en démord pas : Emmanuel Macron et Bruno Le Maire n’ont pas été honnêtes avec les Français, qui méritent qu’on leur dise “la vérité”. Auprès de L’Express, il dit attendre du nouveau gouvernement et du Premier ministre, Michel Barnier, un véritable exercice de transparence où la baisse des dépenses publiques doit devenir une priorité, au risque de voir la France sombrer et de perdre définitivement la confiance de nos concitoyens. Après le discours de politique générale prononcé mardi 1er octobre, où le locataire de Matignon a mis l’accent sur le rétablissement des comptes de l’Etat, il espère désormais que le prochain budget sera ambitieux et à la hauteur des enjeux.
L’Express : Michel Barnier a commencé son discours en insistant sur l’urgence de redresser nos finances publiques. Est-ce un bon signal ?
Jean-François Husson : Oui parce que cela s’inscrit dans la droite ligne de ce que Michel Barnier a déclaré : nous devons la vérité aux Français. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que tout n’a pas été dit s’agissant de la situation des comptes publics de la France. La grande et continuelle dégradation des données financières de nos comptes ces derniers mois démontre qu’à partir du moment où il y a un nouveau gouvernement, il ne faut pas tergiverser. Nous avons connu une espèce de folle ivresse de la dépense publique qui ne s’est jamais arrêtée et qui, de mon point de vue, est déraisonnable. Il faut faire en sorte que les Français s’approprient la réalité de la situation difficile dans laquelle nous sommes.
Ramener le déficit à 5 % en 2025 et à 3 % en 2029 comme le vise Michel Barnier vous paraît-il réaliste ?
C’est un effort important, mais nous ne pouvons pas continuer de laisser dériver nos comptes publics. Il ne s’agit pas de l’argent du gouvernement mais de celui des Français. Nous leur devons la vérité et une meilleure gestion. Nous payons aujourd’hui le fait d’avoir mis en place le quoi qu’il en coûte au début de la crise sanitaire, sans avoir jamais fermé le robinet. Nous sommes perdants puisque nous avons le niveau de dépenses publiques et de fiscalité le plus élevé en Europe. Cela aurait dû nous permettre d’être le pays du bonheur absolu, ce qui n’est pas le cas.
La confiance avec les Français a-t-elle été rompue ?
L’économie est toujours une question de confiance. On voit bien aujourd’hui qu’elle est entamée. Nous avons moins de recettes, parce que les Français doutent et que l’économie ralentit. Mettre trois mois à désigner un gouvernement, ce qui ne s’est jamais vu sous la Ve République, n’inspire pas la confiance. A voir les déficits s’aggraver, la notation financière se dégrader, les taux d’intérêt augmenter, il y a de quoi s’inquiéter. Il va falloir inverser la tendance. Pour cela, il faudrait créer un choc de confiance. Nous devons demander des efforts aux Français, mais aussi donner des perspectives de redressement à court et moyen terme.
Comment créer ce choc de confiance ?
L’attitude du gouvernement et les messages qu’il va envoyer seront essentiels. Il faut arrêter de toiser les Français, d’être bardés de certitudes et d’expliquer que les résultats sont bons, alors qu’ils sont mauvais. Ou encore que nous sommes en tête de classe, alors que nous avons le bonnet d’âne. Les Français ont besoin d’avoir des femmes et des hommes qui incarnent cette stratégie du redressement et de l’effort partagé. Le gouvernement doit trouver des leviers qui permettent de ne pas abîmer la croissance. Par exemple, le logement est dans une situation catastrophique, mais on voit bien qu’avant de prendre des mesures qui produisent des effets, il va peut-être se passer deux ans.
Il faut imaginer un grand plan décennal de remise en état ou de création de nouvelles infrastructures et d’équipements publics. Je pense notamment au réseau routier, ainsi qu’aux voies ferroviaires et fluviales, cela nourrit aussi l’activité économique du bâtiment et des travaux publics. Il faut donner des éléments visibles. Sinon, le sentiment de déclassement gagne l’opinion et crée du mécontentement.
Ces investissements sont-ils compatibles avec la volonté de réduire les dépenses publiques ?
Il va falloir définir les priorités qui produisent de l’effet tout de suite et celles qui demandent un peu plus de temps. Toutes les dépenses doivent pouvoir faire l’objet d’une évaluation. L’an dernier, lors du projet de loi de finances pour 2024, la majorité sénatoriale avait voté 7 milliards d’économies, dont le gouvernement n’a rien retenu. Il s’est enfermé dans une espèce de solitude du pouvoir, certain d’avoir la vérité ou refusant de tenir compte de ce que les oppositions pourraient proposer.
Quels types de baisses de dépenses avez-vous aujourd’hui en tête ?
Au regard de la dispersion des forces politiques, nous devons jouer collectif, partager les enjeux et nous répartir les tâches. L’an passé, nous avions proposé des économies sur les opérateurs de l’Etat, sur l’aide publique au développement ou encore l’apprentissage. Sur ce dernier point, nous souhaitons supprimer l’aide de 6 000 euros pour les apprentis les plus diplômés dans les entreprises de plus de 250 salariés, ce qui permettrait d’économiser 700 millions d’euros.
Concernant les opérateurs d’Etat, une grande revue de leurs dépenses est nécessaire ?
Initialement, ces opérateurs étaient une bonne idée. Mais il faut que l’Etat puisse reprendre toute sa place en pesant davantage sur les décisions.
Vous parlez de cette Assemblée qui est éclatée politiquement, cela ne va-t-il pas être un problème pour voter un budget un peu ambitieux ?
C’est certain. Mais à un moment, il faudra choisir. Voulons-nous que la France décroche définitivement ? Si on est attaché à la réussite de son pays, nous avons un devoir et une exigence morale et politique. Faisons-nous de la politique uniquement pour être bien vu par les électeurs ou est-ce que, quand la situation l’exige, en temps de guerre ou de crise, nous devons être au rendez-vous de l’intérêt supérieur du pays ? C’est notre devoir. Sachons avoir le courage de prendre des décisions, parfois difficiles, pour améliorer le sort de nos concitoyens.
Michel Barnier a évoqué des hausses d’impôts temporaires visant les grandes entreprises et les Français les plus fortunés. Cette piste vous paraît-elle juste ?
Il faut donner des gages de bonne volonté, on ne peut pas être que dans un rapport de force. Je ne fixe pas de ligne rouge. Nous devons prioritairement nous attaquer à la baisse de la dépense publique. Nous avons identifié 133 actions possibles. Nous allons regarder ce qui nous paraît atteignable. S’il n’y a pas assez – et ce n’est pas mon choix premier – je ne peux exclure purement et simplement les hausses d’impôts.
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