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La folle histoire des trois jours où Thierry Beaudet a été Premier ministre (ou presque)


C’est l’heure de se quitter, mais pas pour longtemps. Le dimanche 1er septembre, Thierry Beaudet sort du palais de l’Elysée avec deux informations qui ne sont pas minces : le président s’exprimera le mardi à la télévision ; il annoncera sa nomination à Matignon. Il le tient de la bouche du cheval, il vient de voir Emmanuel Macron pour la seconde fois en quarante-huit heures. Il s’est aussi entretenu avec le secrétaire général Alexis Kohler, qu’il tutoie.

L’histoire est folle, qui commence par un coup de fil, raconté par L’Opinion. Le jeudi 29 août, Emmanuel Macron est en Serbie, mais une partie de lui est restée à Paris, où la tension politique est maximale. Quelque cinquante jours après le second tour des élections législatives, la France n’a toujours pas de nouveau Premier ministre. En un instant, la vie de Thierry Beaudet bascule. Quel est le bon mot ? Il n’est pas surpris, il est abasourdi, estomaqué, sidéré. Le président du Cese se voit proposer d’étudier l’hypothèse de son arrivée rue de Varenne, à la tête du gouvernement.

Rendez-vous est pris pour le vendredi. Thierry Beaudet, 62 ans, instituteur de formation, a présidé le groupe Mutuelle générale de l’Education nationale de juillet 2009 à juillet 2017, il a aussi dirigé la Fédération nationale de la mutualité française. Dit autrement : il n’a jamais eu un parcours politique partisan, il ne s’est mêlé ni de près ni de loin à la campagne des législatives, il n’est porteur d’aucun programme. La feuille est blanche.

Obtenir des garanties

Alors, dans le feu de l’action, il réfléchit à une méthode, bien conscient que si le chef de l’Etat songe à lui, c’est pour faire un pas de côté et éviter de se faire imposer un poids lourd politique. Il commence par exposer à Emmanuel Macron sa lecture des résultats : les Français n’ont pas voulu du Rassemblement national, bien sûr. Le plus délicat est à suivre : à l’évidence, ils ont sanctionné le président, mais pas seulement sa personne, ils ont aussi dit qu’ils rejetaient la politique de ses gouvernements. La réforme des retraites a laissé des traces.

Puisque la société civile est en situation de tenter un coup, elle doit innover. “Il faut discuter, du PC aux Républicains” : Thierry Beaudet se lance, il suggère de réunir toutes les formations autour d’une même table pour trouver un accord sur une plateforme de gouvernement. Ca passe ou ça casse : le Premier ministre aura un CDD qui peut tourner court. Tempête sous un crâne : Thierry Beaudet arrête de dormir – c’est surtout le sommeil qui le fuit – et déniche des documents utiles, comme les programmes de tous les partis analysés en fonction de leurs convergences.

Depuis qu’il a entamé sa présidence du Cese, en mai 2021, il a eu l’occasion de s’entretenir à plusieurs reprises avec Emmanuel Macron. Sa personnalité ne lui est donc pas inconnue et il sent bien chez son auguste interlocuteur le dilemme intérieur : oui, les choses doivent changer puisque les électeurs en ont décidé ainsi ; non, le message des urnes est confus et les députés EPR sont près d’un cinquième de la nouvelle Assemblée. “Est-ce qu’à travers moi, vous souhaitez que rien ne change ?” : ne pas être un responsable politique vous expose à un procès en soumission, il faut obtenir des garanties.

Thierry Beaudet insiste : “La plateforme du gouvernement, on d’accord qu’elle appartient au Premier ministre et pas au président ?” Emmanuel Macron range rarement ses convictions dans sa poche, le voilà presque en défenseur du bloc central qui fut son socle pendant les heureuses années de majorité, absolue ou relative. L’attractivité de la France, la politique de l’offre, les retraites, les questions de sécurité, ce serait bien de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Même sort que Catherine Vautrin

Quand il retourne à l’Elysée le dimanche, un point sensible est déjà réglé. Thierry Beaudet connaît l’histoire de cette présidence, il n’a pas oublié qu’Edouard Philippe avait imposé de choisir lui-même son directeur de cabinet, Benoit Ribadeau-Dumas, quand certains de ses successeurs à Matignon s’étaient montrés plus flexibles. Il a prévenu Emmanuel Macron : “Je choisirai mon directeur de cabinet.” “Vous pensez à quelqu’un ?”, l’interroge le président. Oui, Thierry Beaudet songe à Bertrand Gaume, 49 ans, préfet du Nord et des Hauts-de-France.

La discussion sur les personnes va loin. Déjà il est question de futurs ministres. Thierry Beaudet ne veut pas de macronistes historiques qui donneraient l’impression qu’il est sous surveillance ; il veut renouveler les têtes – la liste qu’il ébauche comporte peu de noms qui se retrouvent dans l’actuel gouvernement Barnier.

Quand il arrive à l’Elysée le lundi à 8h45, Bernard Cazeneuve a un peu l’impression d’être le dindon de la farce – et ce n’est pas son accoutrement préféré. Depuis la veille au soir, il sait qu’Emmanuel Macron a choisi Thierry Beaudet. Plus tard, c’est Xavier Bertrand qui a rendez-vous. Lui aussi sait depuis le dimanche. Le nom de Thierry Beaudet n’est pas prononcé au cours de leur tête-à-tête. Un peu plus tôt, Nicolas Sarkozy n’a pas eu de pudeur pour lui faire un sort, ce n’est pas son genre.

Thierry Beaudet n’aura plus de nouvelle d’Emmanuel Macron, c’est Alexis Kohler qui le rappellera pour le dé-nommer. Cela s’appelle une Vautrin et ce président commence à avoir une certaine pratique de l’exercice : en 2022, il avait installé la Rémoise à Matignon, lui conseillant même de préparer la passation des pouvoirs avec le sortant, Jean Castex. Puis il avait changé d’avis, devant la bronca de ses amis. Thierry Beaudet n’est pas allé à Matignon. En cette fin de semaine, il aura l’occasion de croiser Emmanuel Macron lors du Sommet de la francophonie. Ce président dont il avait cru comprendre, le temps d’un week-end, la langue française…




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