Ce passage est passé relativement inaperçu, dans un discours de 33 pages émaillé d’improvisations. Lors de sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, mardi 1er octobre, Michel Barnier a mis sur la table la nécessité, “quarante ans après les grandes lois de décentralisation, [de] bâtir un nouveau contrat de responsabilité entre les collectivités locales et l’Etat.” Responsabilité, le terme est lourd de sens. Ces derniers mois, les départements, les régions et les communes, ont été pointés du doigt par Bercy en raison de l’augmentation significative de leurs dépenses. En juillet dernier, une note de la Direction générale des finances publiques anticipait que cette dérive allait aggraver le déficit de la France de 16 milliards d’euros en 2024.
A plusieurs reprises, Bruno Le Maire a cherché à enjoindre les collectivités à participer à l’effort de redressement. Ces griefs ont eu du mal à passer auprès des élus locaux. “On laisse penser que le déficit public serait de la responsabilité des collectivités, alors qu’il est du fait de l’Etat”, soutient Jean-Léonce Dupont, président du conseil départemental du Calvados. “On était dans un langage infantilisant qui ne faisait qu’amplifier le problème. L’exécutif après avoir creusé des trous dans la coque du bateau ‘Etat’, voulait s’en prendre aux canots de sauvetage que sont les collectivités”, traduit en image David Lisnard, le maire de Cannes et président de l’association des maires de France.
Le ton devrait changer avec le nouveau gouvernement. “Il faut qu’il noue un partenariat avec les collectivités et qu’elles se sentent parties prenantes. Ne comptez pas sur moi pour désigner les coupables. Ce ne sont pas les collectivités qui sont à l’origine du déficit public français”, assure auprès de L’Express le ministre des Comptes publics, Laurent Saint-Martin. Mais sans mécanisme contraignant, le gouvernement n’a, pour le moment, aucun moyen d’agir.
Plusieurs échecs par le passé
Le sujet de la contractualisation est en tout cas hautement inflammable. “Tout ce qui instaure une remise sous tutelle est mal vu. Les élus locaux ont l’impression qu’ils se font avoir à chaque fois”, affirme l’ancien préfet Pierre Monzani, directeur de l’Association de soutien pour l’exercice des responsabilités départementales et locales (Aserdel). Michel Barnier le sait et a pour l’instant pris des gants en insistant sur le dialogue et “l’effort collectif”. En 2017, Edouard Philippe avait annoncé la mise en place d’un contrat avec les 340 collectivités dépensant chaque année plus de 60 millions d’euros. Une relation à sens unique, selon plusieurs élus locaux, et qui avait été mal reçue. “Normalement dans un contrat, les parties discutent, décident et se mettent d’accord. Celui-là s’applique de façon uniforme sur l’ensemble du territoire et relève de la vision soviétisante d’un certain nombre de responsables”, critique Jean-Léonce Dupont, qui n’avait rien signé pour le Calvados.
Débranchés au début de la pandémie, ces “contrats de Cahors” seront ensuite définitivement enterrés. “Cela n’a pas marché. Il est très difficile de contraindre les collectivités et de leur fixer un objectif de dépenses”, souligne le député Renaissance Eric Woerth, auteur d’un récent rapport sur la décentralisation. “N’oublions pas qu’il existe un principe d’autonomie financière des collectivités territoriales garantie par la Constitution et le législateur. C’est peut-être aussi pourquoi aucun mécanisme efficace n’a jamais été durablement mis en place pour atteindre ces objectifs, sauf à transformer les collectivités territoriales en de simples opérateurs de l’État”, ajoute Aurélien Baudu, professeur de droit public à l’université de Lille.
La crise sanitaire passée, le débat avait refait surface en 2022 à la faveur d’un projet gouvernemental de “contrat de confiance”. “Bercy avait proposé sa mise en place, Elisabeth Borne avait refusé. On avait alors parié sur le fait que les collectivités s’autogéreraient. Deux ans plus tard, on constate que l’absence d’outil de régulation ne fonctionne pas”, raconte un ancien conseiller à Matignon. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 avait ensuite envisagé un nouveau dispositif de maîtrise de l’évolution des dépenses publiques locales, avant d’être rejeté par les députés et les sénateurs. Seuls des objectifs – non contraignants – avaient finalement été fixés.
Décentraliser et moins dépenser
La situation des collectivités reste néanmoins bien différente selon les strates. Si les communes se portent bien, les régions, et surtout les départements, sont dans le rouge. Avec de fortes disparités. “La situation dans les départements est explosive, elle se dégrade extrêmement rapidement. Il va y avoir une victime”, craint François Sauvadet, le président du Conseil départemental de Côte-d’Or et de l’Association des départements de France. La faute à un effet de ciseau fatal. D’un côté, les dépenses sociales dont cet échelon a la charge grimpent – le RSA, l’Allocation personnalisée d’autonomie ou encore la Prestation de compensation du handicap. De l’autre, les recettes liées aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) chutent à cause du repli du marché immobilier. “La plupart de nos dépenses ne sont pas pilotables. On ne va pas refuser de servir une prestation. Il est très hypocrite de la part de l’Etat de pointer la hausse de nos dépenses, alors que nous ne sommes pas toujours prévenus de certaines revalorisations, que l’on apprend parfois par voie de presse”, regrette une bonne connaisseuse des finances des départements.
D’autant que l’Etat transfère de plus en plus de compétences aux collectivités. “Bercy avait d’ailleurs peur que la décentralisation contribue à une inflation de leurs dépenses”, rappelle Eric Woerth. Les communes, départements et régions sont en première ligne, par exemple, face au défi de la transition écologique. L’Institut de l’économie pour le climat a ainsi calculé dans un récent rapport que les collectivités devraient débourser 19 milliards d’euros par an d’ici 2030 dans ce domaine, contre seulement 10 milliards en 2023. Elles réclament aujourd’hui un retour à une forme d’autonomie fiscale qui pourrait passer par la création d’un nouvel impôt. “Imaginer un nouvel outil fiscal n’est pas simple, reconnaît Jean-Léonce Dupont. Il y a plusieurs possibilités. On devrait se mettre autour de la table pour trouver une solution.”
Pourtant jamais avare de propositions pour réduire le déficit public, la Cour des comptes, ne milite pas pour le retour d’une forme de contrat afin de ne pas remettre en cause le principe de libre administration des collectivités locales garanti par la Constitution. Le risque serait de mettre les collectivités dans une situation de ne pas pouvoir exercer leurs compétences. Dans son dernier rapport sur les finances publiques locales, publié mercredi 2 octobre, elle préconise plutôt que l’Etat modère une partie de leurs recettes… ce qui les inciterait de fait à moins dépenser. Les Sages de la rue Cambon recommandent également de supprimer, d’ici 2030, 100 000 postes, afin de revenir “à leur niveau du début des années 2010”. Ils estiment qu’à cette époque, les collectivités n’étaient pas en sous-effectif. C’est omettre qu’entre-temps, les besoins des territoires ont aussi augmenté.
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