Quatre jours après avoir éliminé Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, Israël a annoncé, ce mardi 1er octobre, avoir lancé une offensive au sol visant les positions de la milice islamiste dans le sud du Liban. Cette action entérine l’ouverture d’un nouveau front pour Tsahal, onze mois après le début de son offensive lancée dans la bande de Gaza.
“Nous n’avons pas été suffisamment actifs pour lutter contre le Hezbollah, ce qui lui a permis de se renforcer au fil des années et de se doter d’armes plus sophistiquées”, estime l’ancien général Yaakov Amidror, qui fut le conseiller à la sécurité nationale de Benyamin Netanyahou de 2011 à 2013. “Après la guerre, il nous faudra être plus vigilants au Liban”, ajoute ce chercheur au Jerusalem Institute for Strategy and Security, un think-tank conservateur.
L’Express : Quels sont les objectifs d’Israël avec les opérations terrestres lancées dans le sud du Liban ?
Yaakov Amidror : Israël veut repousser le Hezbollah loin de sa frontière, afin de sécuriser la zone. Potentiellement jusqu’au nord du fleuve Litani, dans le sud du Liban, ou a minima, le long de la frontière nord, sur une bande d’une dizaine de kilomètres de profondeur. Il y a deux raisons à cela : la première est d’empêcher le Hezbollah d’envoyer des missiles et des roquettes sur les communautés israéliennes qui vivent à proximité de la frontière. Et, la seconde, est d’éviter que cette milice ne soit en mesure de lancer son propre 7 octobre depuis la frontière libanaise. Car si nous parvenons à les repousser suffisamment loin, ils ne seront pas en capacité de nous surprendre et d’opérer une action terroriste de ce type.
Ces deux éléments sont essentiels pour permettre aux plus de 60 000 déplacés israéliens, qui ont été obligés de quitter leurs maisons à cause des bombardements du Hezbollah, de rentrer chez eux. Après douze mois, Israël a décidé que trop c’est trop et que nous devons sécuriser notre frontière. Pour l’heure, cette opération est très limitée et concerne les zones depuis lesquelles le Hezbollah peut lancer des roquettes à courte portée sur notre territoire.
Jusqu’où les forces israéliennes peuvent-elles avancer ?
C’est difficile à dire, car cela va beaucoup dépendre de ce qu’il se passera sur le terrain dans les jours à venir, notamment de la résistance opposée aux forces israéliennes. En tout cas, l’opération va continuer. Il faut bien comprendre qu’on ne peut confier le contrôle de cette zone qu’aux forces israéliennes. Nous avons appris à nos dépens que la Finul [NDLR : Force intérimaire des Nations unies au Liban, chargée de former une zone tampon entre le Liban et Israël], a complètement échoué dans sa mission, et n’a absolument pas empêché l’Iran d’armer le Hezbollah dans la zone. C’est pourquoi nous devons la sécuriser, afin de pacifier la frontière avec le Liban.
L’autre objectif concerne l’avenir du Hezbollah. C’est un monstre qu’on ne peut plus se permettre de laisser grandir au Liban. Pour cela, il nous faut détruire sa capacité à lancer des missiles en Israël, afin qu’il ne puisse plus nous menacer dans le futur. Et à l’avenir, Israël empêchera, par la force, toute tentative de l’Iran, ou un autre acteur, de rebâtir les capacités du Hezbollah au Liban.
Ce n’était pas le cas jusqu’à présent ?
Pas assez, et cela a été la plus grande erreur stratégique d’Israël. Nous n’avons pas été suffisamment actifs pour lutter contre le Hezbollah, ce qui lui a permis de se renforcer au fil des années et de se doter d’armes plus sophistiquées. A l’inverse, nous l’avons été en Syrie, pour empêcher l’Iran d’y construire une déclinaison syrienne de cette organisation. Le grand plan du général iranien Qassem Soleimani, avant d’être éliminé en 2020, était de bâtir l’équivalent du Hezbollah, en Syrie, sous le contrôle direct de l’Iran. Mais nos actions sont parvenues à l’en empêcher. Cela doit nous servir d’exemple : après la guerre, il faudra être plus vigilants au Liban.
Comment la mort de Nasrallah va-t-elle affecter la capacité du Hezbollah à combattre ?
Cet homme était un véritable symbole du Hezbollah, dont il était à la tête depuis 32 ans. Après la mort de Qassem Soleimani, il était devenu l’une des figures les plus importantes de “l’axe de la résistance” piloté par l’Iran. On a ainsi pu trouver des membres du Hezbollah parmi les Houthis au Yémen, mais aussi en Irak, en Syrie, ou à Gaza, où ils ont apporté leur savoir-faire au Hamas. Il avait par ailleurs de très bonnes relations avec Ali Khamenei, le guide suprême de la Révolution islamique, dont il était le messager personnel au Liban.
Pour le Hezbollah, c’est donc une immense perte. Et cela est arrivé à la fin d’un processus au cours duquel nous avons éliminé, ces derniers mois, presque tous les commandants du Hezbollah. Maintenant, est-ce que l’organisation peut leur survivre ? La réponse est oui. Le Hezbollah va nommer de nouveaux commandants, et dans le futur, ils continueront de cibler Israël. La menace existe encore. Le Hezbollah est toujours capable de se battre et dispose de capacités importantes : notamment de nombreux missiles antichars, et des hommes sur le terrain.
Après onze mois de combat à Gaza, l’armée israélienne est-elle encore en état de se battre ?
Il est vrai que nos forces ont été éprouvées par les derniers mois de combat à Gaza, tout comme nos stocks de munitions. Toutefois, il faut aussi rappeler que les forces de défense israéliennes étaient fondamentalement beaucoup mieux préparées pour une guerre contre le Hezbollah, qu’elles ne l’étaient pour une guerre à Gaza. Tous nos exercices militaires, nos préparatifs et notre système de ciblage, se sont concentrés sur le Liban ces dernières années. Cela s’est vérifié sur le terrain avec le succès des opérations conduites ces deux dernières semaines. Les pertes au sein de nos forces font partie des risques de cette opération. Mais si nous voulons la liberté et la sécurité pour les populations vivant au nord d’Israël, nous devons accepter de le prendre.
Source