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Patrick Hetzel, un ministre bien peu scientifique : enquête sur le discret nettoyage de sa page Wikipédia


Mais qui se cache donc derrière le compte Sj87420 ? C’est la question qui a agité les modérateurs de l’encyclopédie libre Wikipédia pendant plusieurs jours. Tout commence le vendredi 27 septembre, jour de la création du fameux compte. Immédiatement après, ce dernier multiplie les tentatives de modification de la page Wikipédia de Patrick Hetzel, le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et tente de supprimer des passages détaillants comment il a eu par le passé et jusqu’à récemment “des prises de position éloignées de la rationalité scientifique”.

La ferveur de Sj87420 est telle qu’elle déclenche, entre 10 h 01 – heure de la création du compte – et 10 h 08, pas moins de six alertes automatiques “anti-abus” et “anti-erreur” de Wikipédia. Les algorithmes bloquent les modifications après avoir détecté de “potentiels caviardages récurrents”, des “suppressions de section” et des “suppressions massives par un nouvel utilisateur”, comme le montre le journal des filtrages. Contacté par L’Express, un “patrouilleur Wikipédia” explique : “Ces filtres ont pour but d’empêcher que des personnes créent de nouveaux comptes dans l’unique but de modifier des pages, ils servent à éviter des erreurs de débutant ou des vandalismes grossiers”. Et pour cause. “Lorsqu’un compte n’intervient que sur un sujet précis, la probabilité pour qu’il existe un conflit d’intérêts entre le sujet et le compte est grande”, poursuit-il.

Des paragraphes jugés “injurieux” et “diffamatoires”

A force d’effort, Sj87420 parvient tout de même à supprimer l’intégralité de la partie “Controverses sur son rapport à la science” de la page de Patrick Hetzel, soit deux paragraphes, que le compte estime “polémique et diffamatoire”. Les passages sabrés indiquent que Patrick Hetzel s’est positionné, en avril 2020 – en pleine crise Covid-19 – en faveur de l’utilisation de l’hydroxychloroquine, de l’azithromycine et du zinc, le traitement déjà critiqué à l’époque mais mis en avant par le Pr. Didier Raoult, l’ex-directeur de l’IHU de Marseille qui vient par ailleurs d’être interdit d’exercer la médecine pendant deux ans par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins.

Les paragraphes rappellent aussi que le ministre s’est distingué par le passé par des positions “très éloignées de la rationalité scientifique”, voire “antiscience”. Parmi elles, son partage, toujours en 2020, de la fausse information selon laquelle des euthanasies de personnes malades du Covid-19 auraient été pratiquées illégalement dans des hôpitaux français par utilisation du Rivotril ; sa remise en cause de la politique vaccinale anti-Covid ; son soutien à l’homéopathie et à des thérapies alternatives et, plus récemment, son opposition à l’article 4 de la loi contre les dérives sectaires visant les personnes qui provoquent “l’abandon ou l’abstention de soins”.

La victoire de Sj87420 est néanmoins de courte durée. Une minute plus tard, un modérateur humain annule la suppression. Sj87420 plaide : la section est “polémique, injurieuse et diffamatoire […] porte atteinte à la réputation du ministre […] et émane d’extrapolations d’informations”, peut-on lire dans les discussions archivées sur la plateforme. Les modérateurs rétorquent que la section est “bien appuyée par des sources”. Les critiques reposent effectivement sur des articles de presse, dont un de Libération et un autre de L’Express intitulé “Patrick Hetzel, un ministre de la Recherche fâché avec la science”, publié le 23 septembre. “Si les informations sont diffamatoires, il faut attaquer le journal en question” ou présenter “des journaux/un rapport juridique qui montrent que ces informations sont bel et bien diffamatoires”, poursuivent les modérateurs, qui suspectent un “conflit d’intérêts”.

“Quels sont vos liens avec Patrick Hetzel ?”

Le 30 septembre, le mystérieux compte revient à la charge. Il tente cette fois d’ajouter deux nouveaux paragraphes plus élogieux. Il se fonde sur un article du Parisien dans lequel “l’entourage du ministre de la Recherche” (comprendre, son cabinet ministériel) appelle à ne pas “prendre des lunettes de 2024 pour juger ce qui a été fait en 2020”. Sj87420 ajoute que les prises de position d’avril 2020 de Patrick Hetzel ont été faites “à l’heure où la France manquait de masques, de tests et de vaccins” et “ne furent pas isolées”, ou encore que “le ministre a, depuis, quelque peu nuancé la lecture de ces publications d’alors à la lumière des connaissances que nous en avons désormais” et enfin qu’il “s’est mobilisé pour l’ouverture de trois centres de vaccination sur sa circonscription”.

Echaudés par les modifications antérieures et interloqués par la forme, les modérateurs refusent l’ajout pour “conflit d’intérêts manifeste”, mais aussi parce que le style utilisé n’est “absolument pas encyclopédique”. Une nouvelle discussion, plus vive, se déroule. “Je suis stupéfait de ce caviardage (et) que vous me parliez de neutralité quand on lit le paragraphe publié qui met en cause sa probité intellectuelle et scientifique”, lance Sj87420. “Vous n’avez toujours pas répondu à la question la plus importante : quels sont vos liens avec Patrick Hetzel ?”, interroge un modérateur. La demande reste lettre morte.

“Effectivement je suis intervenue sur cette page”

L’affaire prend suffisamment d’ampleur pour que plusieurs internautes curieux la relatent sur les réseaux sociaux. Sj87420 a-t-il des liens avec le ministère ? “S, J” seraient-elles des initiales et 87420, un code postal ? Des recherches Google permettent de trouver les membres du cabinet de Patrick Hetzel et notamment une certaine Sandrine Javelaud, nommée directrice adjointe le lundi 23 septembre. Cette dernière était auparavant directrice de la communication de la ville de Limoges (87000). Sur son profil Facebook, public, elle indique habiter à Saint-Victurnien, une commune dont le code postal est… 87420. Coïncidences – même nombreuses – ne faisant pas fait, L’Express contacte donc le ministre de la Recherche ainsi que son cabinet.

Quelques minutes plus tard, Mme. Sandrine Javelaud rappelle. “C’est bien moi, je suis intervenue sur cette page”, confesse l’intéressée, avant de se défendre. “Si j’avais voulu me masquer, j’aurais pris un pseudonyme comme pimprenelle et n’aurais jamais avoué”. Pourquoi, alors, ne pas avoir dévoilé son identité aux modérateurs de Wikipédia, comme l’exigent les règles de transparence de la plateforme ? “Je ne connaissais pas le mode opératoire de Wikipédia, mea culpa, et je ne connaissais pas les modérateurs avec qui j’ai échangé”, élude-t-elle. La directrice du cabinet évoque aussi des propos véhéments d’un utilisateur de Wikipédia qui auraient renforcé sa conviction de ne pas dévoiler son identité.

“Un procès en sorcellerie”

Egalement interrogée sur les passages qu’elle a tenté de supprimer et sur leur caractère diffamatoire, Sandrine Javelaud nuance. “Ce ne sont pas les articles qui sont diffamatoires, mais la manière dont les sources sont reprises et présentées, alors qu’on connaît la portée d’une page Wikipédia”, assure-t-elle, avant de reprendre les éléments de langage glissés au Parisien : “On parle d’un tweet d’avril 2020, alors qu’il n’y avait ni masque, ni test, ni vaccin. Il aurait pu supprimer son tweet, ce que beaucoup d’autres ont fait, mais pas lui”.

La directrice adjointe du cabinet maintien néanmoins sa position concernant les dernières lignes de la section “controverses”. Celles-ci citent l’article du journal Libération qui juge que les positions M. Hetzel “reflètent un rapport assez particulier aux sciences, aux données issues des sciences et aux modalités de production de savoirs scientifiques” et s’interroge sur “la rigueur scientifique, la compréhension du fonctionnement des sciences et de la recherche [que l’on est] en droit d’exiger d’un ministre de la Recherche”. “Vous, vous avez publié un article sans demander l’avis du ministre, mais Libération lui a fait un procès en sorcellerie !”, s’indigne Sandrine Javelaud. Pourtant, L’Express a bien sollicité la permanence parlementaire de M. Hetzel ainsi que la communication du ministère. Sans obtenir de réponse.

Sandrine Javelaud s’étonne enfin que sa deuxième intervention visant à ajouter des nouveaux paragraphes lui a été refusée. “J’ai supprimé une section, on m’accuse de caviardage, on me demande de sourcer. Dont acte, je reviens pour nuancer et ajouter des précisions, puisque le Parisien m’avait interrogé, et on me répond que ce n’est pas possible non plus, que c’est promotionnel et non encyclopédique, alors que je donne la source”, regrette-t-elle.

Du côté de Wikipédia, les modérateurs ne sont guère étonnés. “Si vous saviez le nombre de cabinets qui tentent de caviarder des pages en se faisant passer pour de jeunes et gentils débutants” déplore l’un d’eux. Sandrine Javelaud n’est, en tout cas, pas parvenue à atteindre objectif.




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