Interrogés sur leur volonté de développer une arme nucléaire, les officiels iraniens répondent toujours la même chose : non, une fatwa datant d’une vingtaine d’années du Guide suprême, Ali Khamenei, l’interdit. “La nation iranienne […] ressent plus que les autres nations le danger de produire et d’accumuler de telles armes”, a réaffirmé le dirigeant de la République islamique, en 2010, à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), chargée de surveiller le programme iranien.
Il suffit d’une décision du Guide suprême pour changer la donne. Le moment est-il venu ? La question est en suspens, alors que la guerre larvée qui oppose depuis des années Israël et l’Iran se trouve dans une phase ouverte. Les forces armées israéliennes viennent de reprendre pied au sud du Liban pour y détruire les capacités militaires du principal allié de l’Iran, le Hezbollah, dont le leader historique, Hassan Nasrallah, a été éliminé dans une frappe. Téhéran a répondu par une salve de près de 200 missiles sur le territoire d’Israël, qui a promis qu’elle “en paiera le prix”.
Il n’est pas à exclure que le régime iranien opte pour un autre type de réponse : le développement d’armes nucléaires. Voilà plusieurs années qu’il mène un programme d’enrichissement d’uranium le rapprochant un peu plus, chaque jour, du seuil permettant un tel objectif. Au point qu’il semble impossible, à présent, de l’empêcher de mettre au point une arme nucléaire s’il en fait le choix.
L’Iran dispose déjà sur son sol des mines d’uranium, des réacteurs et des ingénieurs pour cela. Elle est également capable d’enrichir à 90 % son uranium, le taux nécessaire pour développer une arme nucléaire. Dans son rapport d’août, l’AIEA a indiqué que l’Iran a accumulé officiellement 164,7 kilos de matière enrichie à 60 %, ce qui peut déjà lui permettre de disposer de la matière fissile pour plus de trois bombes. Cela fait dire au secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, que l’Iran se trouve “probablement à une ou deux semaines de pouvoir le faire”.
Ces réserves devraient continuer à croître. L’Iran a lentement, mais sûrement, poursuivi son programme nucléaire depuis que les Etats-Unis se sont retirés, en 2018, sous la présidence de Donald Trump, du JCPOA, l’accord prévoyant la levée des sanctions internationales frappant l’Iran, en échange de l’encadrement de ses activités atomiques. Il fixait la limite du stock d’uranium enrichi à 202,8 kilos. Il dépasse dorénavant les cinq tonnes – une grande partie du stock est enrichie à 5 % et à 20 %, au-dessus du seuil civil de 3,67 % fixé par l’AIEA.
Quelques mois pour disposer d’une arme nucléaire
Avoir assez d’uranium de qualité militaire n’est pas suffisant pour faire une bombe. Les Iraniens possèdent déjà la technologie balistique – dont certains missiles avec une portée de près de 1 500 km –, mais il leur reste à maîtriser celle des ogives. “La question qui se pose ensuite est celle du calendrier de l’armement, pour lequel les délais varient de 6 à 18 mois, explique Behnam Ben Taleblu, du cercle de réflexion Foundation for Defense of Democracies. Je me situe dans la fourchette basse, parce que le régime a déjà un programme d’armement actif.” Une analyse partagée par Frazin Nadimi, du Washington Institute : “Les Iraniens ont développé certaines technologies au fil du temps pour disposer de systèmes de détonation et de sphères dans lesquelles intégrer l’uranium”.
Jusqu’à présent, le régime n’a pas franchi ce pas, tirant des bénéfices stratégiques du maintien de son programme atomique dans un entre-deux : plus vraiment civil, mais pas véritablement militaire. “Il estime qu’il n’a pas besoin de l’arme nucléaire pour atteindre ses buts stratégiques et notamment la protection de son territoire contre des attaques, explique la chercheuse Héloïse Fayet. Ils bénéficient de la dissuasion sans posséder l’arme, dont le coût stratégique serait plus élevé. Mais ce calcul peut changer en fonction de ce que font les Israéliens.”
Le basculement pourrait intervenir, de façon paradoxale, si le Premier ministre Benyamin Netanyahou décidait de bombardements de représailles sur les différents sites du programme atomique iranien. Ce serait alors la preuve que “l’entre-deux” iranien a perdu sa capacité dissuasive. Or le régime s’y est préparé : il a dispersé les sites de son programme sur son territoire et enfoui profondément sous terre ses usines d’enrichissement d’uranium, à Fordow et Natanz, pour les protéger contre des frappes avec des missiles perforants. A cela s’ajoutent des sites qui pourraient être tenus secrets, c’est-à-dire inconnus de l’AIEA, déjà restreinte dans ses inspections.
“Les frappes militaires ne suffiront pas à éliminer le programme nucléaire iranien (trop renforcé, trop avancé, trop dispersé), précise dans un post Daria Dolzikova, analyste au groupe de réflexion londonien Rusi. Elles inciteront plutôt l’Iran à renforcer davantage ses sites et sont plus susceptibles, par rapport à d’autres options de représailles, de le pousser à se doter d’armes nucléaires.” L’Iran pourrait alors revenir sur sa fatwa, expulser les inspecteurs de l’AIEA et se retirer du Traité de non-prolifération. Dans le cas de la Corée du Nord, une telle décision avait précédé de trois ans un premier essai nucléaire, en 2006. Pyongyang dispose aujourd’hui d’une cinquantaine de bombes.
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