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L’exposition à voir : dans les secrets du mythe “Sakountala” de Camille Claudel

Au printemps 1888, dans les colonnes de L’Art, Léon Gauchez couvre d’éloges le plâtre signé d’une inconnue qu’il tient pour “l’œuvre la plus extraordinaire” présentée au Salon cette année-là. Le critique vante les “délicatesses de création de Mlle Camille Claudel”, louant “l’exquis mouvement d’abandon inconscient de tout l’être de la jeune aimée”.

La sculptrice ne le sait pas encore mais Sakountala, qui la fera connaître au public, restera l’unique création récompensée au Salon de sa carrière bientôt entachée de drames. Las, en dépit de la mention honorable décernée par la grand-messe artistique de la capitale, elle n’obtient pas la commande d’Etat qui lui aurait permis de tailler un marbre monumental. En 1895, Camille Claudel fera don du plâtre au musée de Châteauroux, où la bourgeoisie locale lui réservera un accueil glacial : trop érotique.

Pour ériger son premier groupe ambitieux, la jeune fille de 21 ans, petite main et amante de Rodin en cette année 1886, s’inspire d’une légende indienne transcrite par le poète hindou Kalidasa entre le IVe et le Ve siècle. Elle y représente les retrouvailles du roi Dushyanta et de son épouse Sakountala qu’une malédiction avait longuement séparés. Rarement revisité par la peinture ou la statuaire, le mythe fait alors l’objet de spectacles orientalistes, dont l’exotisme surchargé tranche avec la sobriété de la sculpture ” dépouillée et hors du temps “, souligne Cécile Bertran, la commissaire de l’exposition que le musée Camille-Claudel de Nogent-sur-Marne (Aube) consacre à Sakountala jusqu’au 12 janvier. De son élaboration à sa réhabilitation posthume, en passant par les polémiques qu’elle a suscitées, c’est tout le processus créatif de l’œuvre et de ses avatars qui est décrypté ici.

Par Camille Claudel, 1888, plâtre patiné.

Ce n’est qu’en 1905, grâce au mécénat de la comtesse de Maigret, que l’artiste peut traduire Sakountala dans le marbre dans une version réduite. Si Vertumne et Pomone reprend la composition du groupe d’origine, la couronne de pommes, les ceps de vigne et le drapé renvoient à la mythologie romaine. Quelques mois plus tard, un nouvel avatar, au titre ramené à l’essentiel, voit le jour : le bronze L’Abandon édité par Eugène Blot, fidèle soutien de l’artiste. Le chroniqueur Louis Vauxcelles en perd son latin : “Nos pauvres mots ne peuvent dire l’émotion sacrée de ce groupe. La femme vaincue qui cède au lamento d’amour de l’homme, à la prière montant vers elle.” L’année suivante, l’Etat passe enfin commande à Mlle Claudel : ce sera Niobide blessée, une Sakountala désormais seule. Comme les autres dérivés et à l’image de leur créatrice, internée les trente dernières années de sa vie, Niobide tombera dans l’oubli, avant de ressusciter dans les années 1980.

Camille Claudel, “Etude pour Sakountala”, vers 1886.

Parmi les vestiges les plus émouvants exposés à Nogent, de la Sakountala originelle figurent aussi trois petites esquisses en terre cuite évolutives datées de 1886. On y suit la réflexion de la jeune sculptrice qui varie, au fil de ses études, les postures et l’intensité de ses modèles jusqu’à déterminer leur position finale : un homme agenouillé devant une jeune fille debout, fébrilement enlacés, formant un couple pétri de chaste désir. Tout est déjà là dans cet instantané d’argile empreint d’absolu fixé pour l’éternité.




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