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“Chaque jour, je me réveille le 7 octobre” : en Israël, le long combat des familles d’otages

“Voir mon neveu Almog fêter son troisième anniversaire sans ses parents a été l’un des moments les plus tristes de ma vie.” Invité à prendre la parole lors d’une conférence économique à Londres, Michael Levy, responsable des ventes chez TikTok, aurait préféré s’exprimer sur ses sujets habituels. Mais ce matin de septembre, un ruban jaune, symbole de soutien aux otages du Hamas, épinglé au revers de sa veste, il est venu évoquer le sort tragique de son frère Or et de son épouse, Eynav. Le 7 octobre 2023, le jeune couple, originaire de Givatayim (banlieue de Tel-Aviv), fait garder son bambin pour assister au festival de musique Nova, près de Réïm, un kibboutz en bordure de la bande de Gaza. Arrivés sur les lieux à l’aube, ils ne sont jamais rentrés chez eux. Les terroristes du Hamas ont d’abord tué Eynav, 32 ans, et 17 autres festivaliers dans un abri antimissile situé dans un champ, où seuls quelques-uns, cachés sous une pile de cadavres, ont survécu. Puis ils ont embarqué Or, 33 ans, à l’arrière d’une camionnette, avec deux compagnons d’infortune.

Fin juin, le pays entier a pu découvrir la vidéo effrayante de leur route vers l’enfer : des images qui passent des otages blessés aux ravisseurs armés de kalachnikovs en liesse, tandis que le pick-up fonce sur une route étroite. Les familles des trois kidnappés les avaient visionnées pour la première fois en début d’année. En désespoir de cause, elles ont décidé de les rendre publiques, afin de pousser le projet d’accord sur les otages proposé au printemps par le président Joe Biden, dont l’adoption reste à ce jour des plus incertaines.

Dimanche 1er septembre, leur angoisse est montée d’un cran. Ce jour-là, Tsahal – l’armée israélienne – révèle avoir récupéré les dépouilles de six captifs dans un tunnel, à 20 mètres de profondeur. Parmi les jeunes Israéliens brutalement exécutés par le Hamas, après onze mois de captivité, se trouvait Hersh Goldberg-Polin, 23 ans, enlevé dans le même pick-up qu’Or Levy. “Le pays se prépare à commémorer la catastrophe, mais le simple fait d’arriver à cette date est un échec. Chaque jour, je me réveille le 7 octobre”, égrène son frère Michael, père de trois fillettes, qui ne compte plus le nombre de ses voyages à l’étranger, pour rencontrer le pape ou l’ambassadeur du Qatar à Washington. Son obsession : faire pression pour que le sujet des 101 otages encore entre les griffes du Hamas – dont une soixantaine estimés en vie – ne tombe pas aux oubliettes.

“Vous ne méritez pas ce ruban jaune”

Pour la famille de Romi Gonen, 24 ans, enlevée elle aussi pendant la rave de Nova, le temps s’est arrêté à 10h58 ce funeste samedi. Recroquevillée au pied d’une voiture, alors que sa meilleure amie venait d’être assassinée sous ses yeux, cette ex-cheftaine scoute avait pu longuement échanger avec sa mère, avant que la communication ne soit coupée. “Ils m’ont tiré dessus. Maman, juste pour que tu le saches, je vais mourir si personne ne vient”, avait supplié la jeune femme, qui avait reçu une balle dans le bras. Sa dernière preuve de vie remonte à fin novembre : une famille libérée lors du bref accord de trêve entre Israël et le Hamas a rapporté l’avoir aperçue. Sa blessure n’avait pas été soignée. Depuis, le combat de ses proches n’a jamais faibli, mais le supplice continue.

Fin août, lors d’un rassemblement organisé dans la zone frontalière avec Gaza, les cris de Yarden Gonen ont jailli d’un haut-parleur. “Romi ! Romi ! Romi ! Je veux que tu saches que quoi qu’il arrive nous ne nous arrêterons pas. Nous faisons tout pour toi”, a hurlé la grande sœur de l’otage, avant d’implorer en arabe les responsables du Hamas de “cesser de faire du mal aux femmes”. De son côté, Meirav Leshem Gonen, la mère de Romi, a pris son bâton de pèlerin avant l’été à Genève pour dénoncer la gravité – et la banalisation – des violences sexuelles subies en captivité lors d’une session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Et dimanche 1er septembre à Tel-Aviv, après l’annonce mortifère de Tsahal, elle s’est adressée à près de 500 000 personnes en colère, soit la plus importante manifestation que le pays ait connue depuis le 7 octobre. “J’exige que vous, membres du cabinet, enleviez le ruban jaune du revers de vos vestes. Vous ne le méritez pas”, a-t-elle asséné sur une scène exhibant six cercueils recouverts d’un drapeau israélien.

Des parents, amis et sympathisants d’Alon Ohel, retenu en otage à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre, participant à une manifestation pour demander la libération des otages israéliens à Tel Aviv, le 22 novembre 2023

En fin de journée, les familles d’otages ont décidé pour la première fois de faire entendre leurs voix, rue Begin, un haut lieu de la contestation contre le gouvernement, et non sur l’esplanade voisine du musée d’Art de Tel-Aviv. C’est en effet là que se tient désormais leur grand rassemblement hebdomadaire, face à l’entrée principale du ministère de la Défense, où la foule scande des slogans très virulents contre le Premier ministre, surnommé “monsieur Abandon”. Samedi 22 septembre, alors que Tsahal vient de lancer sa campagne militaire contre le Hezbollah libanais, l’acteur de cinéma et maître de cérémonie Lior Ashkenazi relaye leurs inquiétudes : “Netanyahou n’a pas le mandat d’abandonner les otages pour poursuivre une guerre dans le Nord. Sinouar [NDLR : le chef du Hamas] réalise son rêve d’une guerre sur plusieurs fronts contre Israël.”

Cette position très militante ne suscite pas forcément l’adhésion. “Nous sommes nombreux à ne pas vouloir mêler la politique à notre cause”, commente Michael Levy, le frère du captif. “Certaines familles accusent le gouvernement de torpiller les négociations, d’autres font valoir que seule la pression militaire ramènera les otages. Mais le plus important est de faire respecter le contrat qui lie l’Etat à ses citoyens : celui d’assurer leur sécurité et de ramener tout le monde à la maison.”

“Mon fils a été tué dans un tunnel que vous avez construit”

Pour tous les Israéliens, la question des otages reste une plaie béante qui ravive sans cesse le traumatisme du pogrom du 7 octobre. Et ébranle toutes les convictions. Parmi les familles des six otages exécutés par le Hamas dans les profondeurs de Rafah, seule une, celle d’Ori Danino, enlevé au festival Nova, a accepté de recevoir une visite de condoléances de Benyamin Netanyahou lors de la traditionnelle semaine de deuil. Le père d’Ori, Elhanan Danino, un rabbin affilié au parti ultraorthodoxe Shas, membre de sa coalition de droite, n’a pas hésité à le confronter. “Mon fils a été tué dans un tunnel que vous avez construit. Pendant quinze ans, vous êtes resté assis tranquillement, sans rien faire. Vous les avez armés d’épées, de tunnels et de dollars. Vous n’avez rien fait pour empêcher ce qui en a résulté”, a-t-il asséné, avant d’implorer le Premier ministre de cesser d’attiser les divisions dans le pays.

Rassembler tous les Israéliens, c’est aussi la préoccupation de Jonathan Shamriz, survivant du massacre de Kfar Aza, un village frontalier de la bande de Gaza, dont le frère Alon, kidnappé par le Hamas, a été abattu par erreur par les forces de Tsahal en décembre dernier. “Je ne laisserai aucun politicien décider comment mes amis, ma communauté du kibboutz et les soldats tombés au combat seront commémorés”, a-t-il fait savoir à l’approche de la date anniversaire du 7 octobre. Pour marquer cette triste journée, il a lancé l’idée d’une cérémonie citoyenne organisée au parc Hayarkon, le poumon vert de Tel-Aviv, en soutien aux familles et aux communautés frappées par la tragédie. L’événement sera retransmis dans le monde entier. La cérémonie nationale officielle, confiée à la très controversée ministre du Likoud Miri Regev, doit, elle, être préenregistrée à Ofakim, l’une des villes du Sud infiltrée par les terroristes. Sans public et sans artistes de renom, qui ont tous décliné l’invitation.




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