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Cinéma : “L’Histoire de Souleymane”, douloureuse illustration de la domination sociale


D’abord il est beau, puissant, athlétique, mais son sport, le vélo dans ce Paris olympique, n’est pas un jeu : il est livreur. De ceux qui prennent tous les risques pour apporter des pizzas de merde à des abrutis qui n’ont pas la patience de se faire une bonne omelette aux oignons, champignons de Paris, et trois rondelles de chorizo puisqu’ils aiment tant le chorizo. Pas eu le temps d’acheter deux tomates au Carrefour du coin qu’ils auraient coupées en quatre, trois grains de sel, une goutte d’huile d’olive, c’est si compliqué ? Non, c’est le coup de se faire livrer, avoir cette joie infantile de recevoir comme un cadeau cette boîte en carton avec cette dînette tiédasse et mollassonne. Et peut-être de s’être montré poli, éventuellement généreux avec le livreur, Souleymane, ou odieux, c’est le même pouvoir, la même domination sociale.

Les courses de Souleymane à vélo dans Paris, la nuit, sous la pluie, au milieu des bagnoles, tous les risques qu’il prend pour livrer à l’heure, le plus de pizzas dégueulasses possible, pour gagner de quoi payer le salopard qui lui a vendu une pseudo combine devant lui permettre d’obtenir un droit d’asile, le graal, quand je vois ça, au cinéma, dans le film de Boris Lojkine, L’Histoire de Souleymane, et alors que je ne supporte pas ces vélos qui grimpent sur les trottoirs, passent au rouge, que je peux même me prendre le chou avec eux dès que l’occasion se présente, eh bien je me félicite d’avoir toujours eu de l’indulgence, et même une forme de colère compassionnelle envers ces gars qui, pour n’être pas tous aussi beaux, touchants, révoltants que Souleymane, n’en sont pas moins des parias, des damnés de la terre, des forçats de la faim, des prêts à tout, des violents, c’est possible aussi.

Ça n’est pas le cas de Souleymane, vu la patience qu’il a envers cette pétasse qui lui claque la porte au nez parce que le sac de livraison est mouillé ; forcément, Souleymane s’est fait renverser par une voiture, sa faute ou pas, son vélo est à moitié déglingué, son épaule aussi, mais il s’est relevé, et vas-y, livre quand même, et elle refuse de lui signer la commande, en plus elle le dénonce via l’application. On l’imagine sur son portable, tapotant de rage parce que le sac était mouillé et d’avoir dû repousser Souleymane, ce Guinéen d’un mètre quatre-vingt-dix, qu’elle trouvera très beau quand elle ira le voir au cinéma, mais qui lui a fait peur, avec son accent, son imper dégoulinant, a donc coché la case “pas-du-tout-satisfaite”. Ce qui a bloqué le compte d’Emmanuel.

Interprétation stupéfiante

Car Souleymane travaille en sous-main pour Emmanuel, qui ne s’appelle pas du tout Emmanuel, c’est l’exploitation du misérable par plus misérable que soi, c’est too much cette accumulation, j’avais envie de quitter la salle au bout de dix minutes. Est-ce la crainte de passer pour un affreux bourge qui en a marre qu’on lui parle de toute la misère du monde qui m’a maintenu assis, ou le devoir professionnel, ou pire, l’occasion de faire pénitence ?

Je n’ai pas aimé regarder ce film. Il est douloureux, révoltant de voir cette réalité, l’injustice, la violence sociale, pénible de la subir comme un spectacle, et sans le filtre de la fiction, le filtre d’une histoire d’amour… justement, elle finit par arriver, au bout d’une heure de gymkhana dans Paris. C’est là où ça devient un film, et Souleymane humain, contradictoire, émouvant sans apitoiement, et je ne parle pas de la fin, quand il passe devant le conseil de révision de son cas de pseudo réfugié politique qu’il n’est pas.

Là, c’est l’acteur, Abou Sangare, celui qui a triomphé à Cannes où il a remporté, dans la catégorie Un certain regard, le prix d’interprétation, en effet stupéfiante, l’interprétation de ce presque lui-même, mais pas du tout lui, en fait, son histoire est à l’opposé. Abou Sangare a un vrai travail de mécanicien, il aime ça, réparer des bagnoles, mais comme ça fait sept ans (il est arrivé en France à 15 ans, une main devant, une main derrière), il aimerait juste avoir une carte de séjour en bonne et due forme. Qui va filmer l’histoire d’Abou Sangare, la vraie ?




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