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Julia de Funès : “En entreprise, osons dire stop aux pratiques absurdes”


Les lecteurs de L’Express, qui font un triomphe à sa chronique, le savent bien : Julia de Funès est une des plus fines observatrices des travers de notre société, et plus particulièrement du monde de l’entreprise. Contrairement à nombre d’intellectuels français, cette ancienne “chasseuse de têtes” connaît bien l’univers des open spaces, et ne bondit pas quand elle entend le mot “capitalisme”. Mais la philosophe aime traquer les absurdités du management, des process ou du coaching… Après ses best-sellers La Comédie (in)humaine (coécrit avec Nicolas Bouzou) et Développement (im)personnel, son nouvel essai, La Vertu dangereuse, toujours aux Editions de l’Observatoire, montre comment les entreprises sont tombées dans le “piège de la bien-pensance”. Sous couvert de promotion des “soft skills”, de l'”intelligence collective” et des “talents”, les dirigeants et les responsables des ressources humaines font souvent plus de mal que de bien. En primeur pour L’Express, Julia de Funès défend une vision vraiment libérale et adulte du management, et explique pourquoi l’enfer professionnel est pavé de “bienveillantes” intentions. Entretien.

L’Express : La thèse principale de votre livre est que la moralisation gagne du terrain en entreprise. En quoi est-ce problématique ?

Julia de Funès : Dans notre pays en général, et dans les entreprises en particulier, au nom de la moralisation, on s’est aujourd’hui enlisé dans certaines notions qui se retournent contre elles-mêmes. L’intention première est toujours bonne, mais elle peut conduire à des dérives. Bienveillance, coaching, pensée positive, pleine conscience… Toutes ces bonnes intentions, finalement, ont conduit à leur exact inverse. Cela ne veut pas dire qu’il faille tout rejeter de ces ambitions-là.

C’est un peu La Fable des abeilles, du philosophe Bernard Mandeville [1670-1733], mais à l’envers. Selon Mandeville, les vices privés peuvent conduire aux vertus publiques. L’envie ou la gourmandise font acheter, l’orgueil avive la compétition, l’avarice favorise l’épargne, la guerre développe l’industrie. Dans notre pays et dans nos entreprises, c’est l’inverse : les vertus publiques conduisent à des vices privés. Nos entreprises sont viciées de trop de vertus. Prenez le coaching. L’intention de départ est vertueuse : chercher à aider des personnes en difficulté. Or, dans les faits, le coaching est devenu dans la plupart des cas un business peu recommandable, à la limite parfois de la dérive sectaire.

Vous donnez régulièrement des conférences en entreprise. Les dirigeants et les salariés que vous rencontrez évoquent-ils cet excès de moralisation ?

Dans le mal-être et la perte de sens qu’ils expriment parfois, on retrouve cette question de la bien-pensance. Ce sentiment qu’on ne peut plus rien dire. Que nous sommes prisonniers des dogmes de la pensée positive. Que, dès qu’on montre de l’esprit critique, on est pris pour un réactionnaire, dès qu’on essaie de questionner et de mettre en doute, on passe pour un intolérant. Cette bien-pensance est une chape de plomb, une sorte de pensée définitive qui étouffe les opinions. Les gens n’osent plus émettre de jugement. Ils finissent tous par utiliser à peu près les mêmes mots, les mêmes formulations. Il y a des attitudes convenues, des raisonnements préfabriqués qui sont très attendus et dans lesquels tout le monde s’engouffre par peur de d’émettre une voix dissonante.

Parmi les éléments de langage, vous égratignez notamment la notion de “talent”

Oui. Vous auriez pu citer aussi “résilience”, “intelligence collective”, “alignement”, “inspirant”, “bien-être”, etc. Des termes qui sont aujourd’hui galvaudés. Avez-vous remarqué que, dans les entreprises, on ne parle plus de direction des ressources humaines mais de direction des “talents” ou des “richesses humaines” ? Tout cela montre exactement la même tendance : une démagogie visant à mettre tout le monde sur le même piédestal. Or, quand tout le monde est valorisé et qu’on ne distingue pas les moins bons des meilleurs, il n’y a plus de talent du tout.

Le bon sens commanderait de dire qu’il n’y a pas que des talents dans l’entreprise. Il y a aussi des flemmards, des malhonnêtes, en somme, tout ce qui fait et compose la société humaine. L’entreprise ne s’en rend pas toujours compte, mais elle n’est que le réceptacle de tendances sociales. Elle n’échappe pas à cet égalitarisme patenté qui n’est rien d’autre qu’une dérive de l’égalité de droit démocratique. Le talent, c’est le contraire du mérite. C’est une vision très aristocratique puisque, en fin de compte, elle ne valorise pas ce qui fait l’entreprise, à savoir le travail, l’effort, la rigueur, mais les dons de naissance que sont les talents.

On glisse “intelligence collective” ou “talents” dans un verbatim, pour éviter de passer pour une entreprise autoritariste, rigoriste.

N’est-ce pas aux directions des entreprises de prendre conscience des ravages de ces dérives langagières ?

Il y a une responsabilité à la fois collective et individuelle. Chacun doit s’autoriser individuellement à ne pas réutiliser exactement les mêmes formes langagières, parce que, à force de tous employer les mêmes mots, il n’y a plus du tout de nuances ni de richesse dans le langage. On amoindrit la pensée. Il faut donc adopter une sorte d’éthique personnelle. Et puis il y a une responsabilité collective, parce que c’est l’entreprise qui, au niveau des RH, de la com’, du marketing, formule tous ces mots convenus. En réalité, ce conformisme verbal est aussi une manière de se draper dans la bonne conscience.

Comment ça ?

On glisse “intelligence collective” ou “talents” dans un verbatim, pour éviter de passer pour une entreprise autoritariste, rigoriste. Or vous pouvez utiliser tous ces termes positifs tout en baignant dans un management nocif. C’est ce qu’il y a de plus pervers. On n’a jamais autant parlé de positivisme en entreprise, et pourtant il n’y a jamais eu autant de burn-out et mal-être. Cela veut bien dire qu’il y a un problème d’aiguillage.

LinkedIn, c’est la revanche du troupeau contre ceux qui réussissent

Selon vous, le réseau social LinkedIn n’est pas épargné par ces excès…

Au départ, ce réseau se voulait professionnel. Il est devenu le réceptacle de tout ce que je dénonce dans mon livre. Des gens qui se veulent forts, qui se veulent bons et qui, au fond, sont faibles, voire parfois en souffrance professionnelle. Parmi les coachs présents sur LinkedIn, beaucoup, en réalité, rencontrent des difficultés à trouver du travail. C’est un réseau qui se veut aussi très constructif. Or, parmi les commentaires que les gens laissent sous vos posts, on trouve des reproches, des insultes, voire des attaques ad hominem. Les gens sont dans l’injure, l’aigreur, comme on pourrait l’être sur X. Heureusement, il y a quand même plus de filtres, ne serait-ce que parce qu’on affiche sa véritable identité et qu’il vaut quand même mieux bien se tenir à l’égard de potentiels recruteurs.

LinkedIn est-il un objet d’étude intéressant pour la philosophe que vous êtes ?

J’ai l’impression que c’est un réseau social un peu nietzschéen. C’est la revanche du troupeau contre ceux qui réussissent. Ils se congratulent entre eux, ils se font du bien entre eux. D’ailleurs, on voit très peu de chefs d’entreprise ou de dirigeants prendre la parole sur LinkedIn. Et puis disons les choses, il y a quand même une immaturité hallucinante sur LinkedIn. Quand vous voyez des gens qui glissent des émojis de fleurs ou petits palmiers sur leur profil alors qu’on est quand même sur un réseau professionnel avec des potentiels recruteurs… (rires)

Sur LinkedIn, on lit aussi beaucoup de choses sur les soft skills, ces “compétences douces” (empathie, bienveillance…) de plus en plus valorisées dans les entreprises au détriment des hard skills, les compétences dites techniques.

La bien-pensance consiste aujourd’hui à affirmer qu’il n’y a pas que le savoir, il y a aussi le savoir-être. Evidemment qu’on préfère tous un médecin sympa à un médecin austère, un enseignant cool à un enseignant odieux. Donc, il ne s’agit pas de dire que les soft skills ne comptent pour rien. Elles ne sont pas négligeables. Mais, le problème, c’est qu’il y en a qui profitent de cette survalorisation du soft pour transformer leurs lacunes théoriques, leur manque de savoir en avantage comportemental. C’est la porte ouverte au charlatanisme et à toutes les impostures qu’on retrouve sur LinkedIn. Beaucoup de gens disent il n’y a pas que le diplôme, il y a le savoir-être. Certes. Mais je préfère un pilote de ligne compétent et très désagréable à un apprenti pilote divertissant ! On doit faire en sorte que les hard skills restent prioritaires, et y adosser autant que faire se peut des soft skills. Et veiller à ne jamais basculer dans la logique inverse. Sinon, on finit par faire d’une qualité une compétence. Or une qualité n’est pas une compétence ni un diplôme. Une qualité ne peut légitimer à elle seule un métier.

Ces entretiens embêtent tout le monde, c’est un cri unanime dans toutes les entreprises. Mais on les fait quand même, c’est absurde !

Vous qualifiez les entretiens annuels d’évaluation de “long fleuve pénible”…

On le fait, parce que tout le monde le fait. Ces entretiens embêtent tout le monde, c’est un cri unanime dans toutes les entreprises. Mais on les fait quand même, c’est absurde ! Ces entretiens réduisent l’individu à des grilles de lecture, à des diagrammes, à des QCM. Ils sont dans le quantitatif alors qu’ils devraient plutôt mesurer la qualité du travail, la motivation des collaborateurs. Ces outils tels qu’ils sont conçus ne conviennent pas du tout à la vie de l’esprit. D’ailleurs, on ne mesure rien à travers ces entretiens. Mieux vaut des moments plus simples, plus humains, plus directs autour d’un déjeuner ou d’un café.

Face à cette avalanche de process et d’outils déshumanisants, les managers ont-ils les moyens de reprendre la main ?

C’est une bonne question. Je crois qu’il faut faire appel au courage managérial. Oser dire stop à des pratiques absurdes. Cela ne signifie pas que les organisations doivent vivre sans procédures. Mais il faut, en toutes circonstances, faire passer le bon sens en premier et les process en second. Cela demande de la lucidité et du cran, car le manager peut craindre de perdre sa place. Mais je crois que lorsqu’on endosse des responsabilités dans le management, c’est qu’on a suffisamment de courage pour encaisser d’éventuels déboires, sinon ce n’est pas la peine d’être manager.

Le mot “liberté” est un terme qui revient souvent dans votre livre…

La liberté d’action, c’est tout l’enjeu du management aujourd’hui, surtout vis-à-vis des plus jeunes générations et dans une société si individualisée. Il faut donner aux collaborateurs ce potentiel d’action, c’est-à-dire la liberté de prendre des initiatives. Evidemment, il ne s’agit pas de faire ce qu’on veut quand on veut. Il faut un cadre défini. Mais, dans n’importe quel périmètre restreint, il y a toujours la possibilité d’agir à partir de soi-même. Pourquoi est-ce si essentiel ? Parce qu’on se définit par notre liberté. C’est ce qui fait que nous ne sommes pas simplement des rouages dans une organisation plus globale.

Cela suppose plusieurs choses, à commencer par accepter une certaine prise de risque. Cela s’oppose à la logique archiprocédurale qui veut abolir tous les risques. Cette liberté d’action renvoie aussi à la question du sens. Si on ne sait pas pourquoi on fait telle ou telle action, pourquoi on applique tel ou tel process, nous devenons une sorte d’intelligence artificielle bas de gamme.

Enfin, cela suppose une certaine dose de confiance en soi, confiance en son management pour passer à l’acte, pour agir, pour rendre effective sa liberté. Il faut passer à un management de la confiance et pas simplement du contrôle. La confiance est très rentable pour les relations humaines en général et dans les relations professionnelles en particulier. Même si, bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas de contrôle du tout.

Vous êtes d’ailleurs très favorable au télétravail…

On ne change pas de qualité en changeant le dispositif. Ceux qui ne travaillent pas à distance ne faisaient pas grand-chose quand ils étaient présents tous les jours au bureau. Quand on fait confiance à un collaborateur, beaucoup veulent se montrer à la hauteur de cette liberté. Et, pour les salariés, le télétravail représente un choix spatial (bureau, domicile ou tiers lieu), un gain temporel (moins de temps perdu dans les transports), mais aussi une libération psychologique. Les bureaux ont été remplacés par des grands plateaux où tout est visible, transparent, ouvert. Or il suffit de se savoir visible pour agir comme si l’on était vu. En télétravail, nos comportements sont délivrés de cette visibilité permanente et du conditionnement comportemental qu’elle génère. Tout ce qui va ainsi vers plus d’autonomie, de flexibilité (comme également les horaires libres) et de simplicité participe au mieux-être des collaborateurs.

Le mot “travail” semble avoir disparu du vocabulaire de l’entreprise. Même le discours politique est axé sur l’emploi, rarement sur le travail…

Vous avez raison. C’est surtout lié, je crois, au changement de sens qu’on accorde au travail aujourd’hui. Pour ma génération et les précédentes, le travail constituait un but en soi, une finalité. Parce qu’on avait un bon boulot, on considérait qu’on avait réussi sa vie. Aujourd’hui, surtout pour les plus jeunes générations, le travail n’est plus du tout la finalité de l’existence. Il est considéré comme un moyen au service de cette existence. La vie n’est pas simplement ce qu’il reste à 20 heures une fois qu’on a fini de travailler. En quelque sorte, la vie a repris le dessus sur le travail. En cela, on ne peut plus parler du travail comme une valeur morale. Et d’ailleurs, cela a été une erreur de penser que le travail pouvait être une valeur morale.

Pourquoi donc ?

Une valeur morale, c’est ce qui vaut par elle-même. La justice vaut par elle-même, la liberté vaut par elle-même, l’amour vaut par lui-même. Le travail ne vaut pas par lui-même. Si demain on arrête de nous payer, la plupart d’entre nous arrêtera de travailler. En philosophie, on dit que tout ce qui a une valeur marchande n’est pas une valeur morale parce que la valeur morale c’est ce qui n’a pas de prix. Cela ne veut pas dire le travail n’est pas essentiel à la vie d’un homme ou d’une femme. J’entrevois le travail exactement comme la santé, pas dans le sens de l’adage “le travail, c’est la santé”, mais au sens où on ne vit pas pour être en bonne santé comme on ne vit pas pour bien travailler. On espère être en bonne santé, pour vivre le mieux possible. On espère un bon travail pour vivre le mieux possible. Autrement dit, la santé et le travail sont les moyens les plus essentiels à l’existence mais ce ne sont pas des finalités.

Votre argument ne donne-t-il pas du grain à moudre aux partisans de la réduction du temps de travail…

Pas si on considère que le travail est un moyen essentiel pour vivre, et qu’il n’y a pas de vie décente, pas d’accomplissement personnel sans travail. Donc moins on travaille, moins on réalise ces buts qui sont essentiels à la réussite d’une vie. Mais pas au sens d’une injonction morale. Je ne crois d’ailleurs plus aux injonctions qui ne touchent pas un intérêt individuel. Quand on est dans une société hyper individualisée, si le collectif ou l’ambition collective n’est pas rattachée directement à un avantage personnel, cela ne marche plus.

Cet avantage personnel, ça peut être le salaire. Faut-il mieux rémunérer les salariés ?

Oui. Il y a toute une cartographie des salaires à revoir en fonction de l’utilité des métiers. En haut de la pile, il y a tous les métiers dits de première ligne qui sont très mal rémunérés. C’est presque indécent. Je me suis rendue à l’APHP (Hôpitaux de Paris) récemment. Quand on voit des aides-soignants, des infirmiers qui sont bien au-delà des 35 heures et qui sont très mal rémunérés, ce n’est pas possible de continuer ainsi. Ces métiers-là ont un problème de reconnaissance, de moyens, de salaire, etc. Quand vous voyez à côté le nombre de “métiers” inutiles qui font florès, qui sortent de nulle part, qui ont des formations aberrantes et qui gagnent quand même un certain salaire tout en bénéficiant d’un certain prestige social… Dans l’histoire, jamais le travail n’a été rémunéré en fonction de l’utilité. C’est fou quand on y repense.

L’égalité statistique est une rustine pour camoufler la vraie problématique de 90% des femmes

“Le vrai problème pour les femmes n’est pas tant celui des quotas et de l’égalité d’accès aux fonctions les plus hautes que celui des conditions permettant aux femmes d’exercer pleinement un métier sans être débordées par les tâches domestiques”, écrivez-vous. N’y a-t-il pas un changement des mentalités chez les hommes à ce sujet ?

La problématique de la place des femmes dans les entreprises a été réduite à la question paritaire. Résultat, toutes les entreprises sont encore dans une logique qui se résume à rechercher une égalité statistique entre hommes et femmes dans les conseils administrations, etc. Sauf que cela ne résout en rien la problématique de la femme au XXIᵉ siècle en France. Parce que cet accès aux fonctions, aux métiers, on le doit aux combats des féministes des temps passés qui ont combattu justement. Aujourd’hui, en France, en tant que femme, tous les métiers me sont accessibles. Mais le problème, c’est que l’égalité statistique est une rustine pour camoufler la vraie problématique de 90 % des femmes.

Laquelle ?

La vie familiale, domestique, ménagère des femmes est incomparable avec celle des hommes dans bien des cas. Tant qu’on ne travaillera pas socialement, politiquement, économiquement, à une plus juste répartition des tâches dans la vie privée, la problématique des femmes au travail ne sera absolument pas résolue. Quand on occupe un poste à hautes responsabilités, qu’on a nos trois enfants et qu’on porte vraiment le foyer, on a beau avoir ces égalités statistiques dans les comités d’administration, la vie n’est pas du tout égale. On confond ainsi égalité et identité statistique. L’égalité de traitement, ce serait une plus juste répartition dans la vie personnelle. Mais je pense que c’est aussi une question générationnelle. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas du tout la même éducation que les hommes de ma génération et des précédentes.

Selon The Economist, on observe un recul du wokisme aux Etats-Unis. De grandes entreprises anglo-saxonnes reviennent sur leurs politiques de “diversité, équité et inclusion” (DEI). Et en France ?

Nous sommes encore complètement dedans. Mais, dans quelques années, les choses changeront aussi ici. Encore une fois, il ne s’agit pas de tout rejeter dans le wokisme. Il y a des causes justes. Et bien sûr qu’une personne de couleur n’a pas la même vie en France qu’une personne blanche, alors que du point de vue du droit, elle a absolument les mêmes droits. Bien sûr qu’une personne homosexuelle n’a pas tout à fait la même vie qu’une personne hétérosexuelle, parce qu’il y a des formes de pouvoir insoupçonnées qu’on ne questionne pas quand on n’est pas concerné. En cela, le wokisme a été une alerte, une vigilance, une ouverture d’esprit qui a élargi la pensée. Ce fut vraiment salutaire.

Mais, entre la défense de causes justes et l’idéologie intransigeante dans laquelle le wokisme tombe parfois, il y a des limites. Et c’est là qu’il faut faire preuve de discernement et de rigueur conceptuelle. Au nom du bien de ces bonnes intentions, on est parfois tombé dans une traque moralisatrice. Au nom de la tolérance, on a érigé la culpabilité en programme d’ambitions. Résultat, tout cela est devenu très sectaire, très intransigeant, très intolérant dans les entreprises. Maintenant, on est plus simplement fiers de dire qu’on n’est pas raciste. On est fier de dire qu’on avait des préjugés racistes. Il y a beaucoup de formations DEI dans les entreprises, où l’on est obligé de répéter comme une gamme qu’on n’est pas raciste. C’est devenu fanatique.

Pour finir, quel conseil donneriez-vous aux chefs d’entreprise ?

De cultiver le point d’interrogation, l’incertitude, le doute. C’est un exercice qui s’apprend. Il faut s’y plonger. Refuser un peu tous les dogmes bien-pensants pour résister, pour ne pas que la vertu et toutes nos belles ambitions se transforment en vices.

La Vertu dangereuse, par Julia de Funès. Ed. de l’Observatoire, 223 p., 21 €. Parution le 16 octobre.




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