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“L’état-major du Hezbollah n’existe plus” : comment la stratégie d’Israël au Liban a évolué depuis 2006

Un hôtel, une salle de séminaire, un restaurant, un terrain de football, une aire de paintball, des espaces de jeux pour les enfants et plus d’une trentaine de paillotes où se retrouver pour un moment chaleureux en famille, à partager des grillades, avec une vue plongeante sur la Galilée. Sur la colline du village de Maroun al-Ras, les Libanais pouvaient profiter depuis une quinzaine d’années de ce lieu de villégiature atypique. Son nom ? “Le Jardin d’Iran”.

Il ne doit rien au hasard : son propriétaire n’est autre que le Hezbollah. La milice chiite a fait sortir de terre, grâce aux millions de dollars fournis par la République islamique, ce centre à sa gloire et à celle de son parrain. On pouvait également y visiter une réplique du Dôme du Rocher de Jérusalem, mais ornée du monogramme emblématique du drapeau iranien. Plusieurs officiels venus de Téhéran s’y sont rendus depuis son inauguration en 2010 par l’ex-président Mahmoud Ahmadinejad avec ces mots : “Le monde doit savoir que les sionistes vont disparaître”.

C’est sur les ruines d’une des paillotes que des soldats israéliens ont planté leur drapeau, le 8 octobre, une semaine après le lancement d’une opération terrestre d’ampleur au sud du Liban contre le Hezbollah, baptisée “Flèche du Nord”. Le monument rendant hommage à l’ancien chef des pasdarans iraniens, Qassem Souleimani (tué dans une frappe américaine en 2020), a été détruit, tandis que des bulldozers ont rasé les installations du “Jardin d’Iran”.

A quelques centaines de mètres d’Israël, Maroun al-Ras est tout autant un symbole politique qu’une position stratégique. Située sur un promontoire, la localité a été l’une des premières à être ciblée par l’opération terrestre, il y a dix-huit ans, des forces israéliennes. Mais également la dernière qu’elles ont évacuée, au bout d’une trentaine de jours, sans jamais être parvenues à en prendre totalement le contrôle. Elles y ont même perdu plusieurs soldats, surpris par le degré de préparation et d’efficacité dont ont fait preuve les combattants du Hezbollah.

Soldats mieux formés

Les troupes israéliennes connaîtront-elles à présent les mêmes difficultés à Maroun al-Ras et, plus généralement, dans tout le Sud du Liban ? Voilà des années que Tsahal se prépare à affronter le Hezbollah sur son terrain. C’est en gardant en mémoire l’échec cuisant de 2006 que les forces armées israéliennes ont entamé leur pénétration dans cette région, ultra-militarisée, tenue par la milice libanaise. Dès 2007, la commission Winograd a révélé combien l’armée de terre avait payé son manque d’entraînement lors de son incursion au Liban, l’année précédente. Pour la seule fois de leur histoire, les forces israéliennes avaient comme chef d’état-major un aviateur, le général Dan Alutz. Pour éviter de se retrouver embourbées, comme lors de la première guerre du Liban, la priorité est alors donnée aux frappes aériennes et aux forces spéciales.

Deux écueils majeurs surviennent : le manque de cibles militaires (moins d’une centaine étaient répertoriées), dû à une carence de renseignements, et la difficulté à coordonner le combat “aéroterrestre” entre l’armée de l’air et les troupes au sol. Celles-ci se retrouvent à plusieurs reprises piégées par des embuscades ; les blindés, à commencer par les tanks Merkava, sont détruits par des missiles antichars sortis de leur cache, au dernier moment, par des miliciens.

“Cette fois-ci, les soldats ont été mieux formés au combat aéroterrestre, et ils sont tous considérés comme des capteurs qui envoient une image tactique aux postes de commandement, via le système TORCH, souligne une source militaire française. Ce partage de données en temps réel permet de solliciter la meilleure unité, l’hélicoptère, le char ou le drone le plus proche pour neutraliser une cible. Les forces israéliennes n’avaient pas ça en 2006.”

Plus d’entraînements et plus de cibles

Elles s’inscrivent aussi dans un cadre opérationnel, le “plan momentum”. Depuis son annonce, en 2019, l’état-major a concentré davantage les entraînements sur le combat en zone urbaine, en particulier dans des répliques de villages libanais truffés de pièges et de tunnels. Il a fait monter en gamme l’équipement des fantassins pour améliorer leur connectivité. Il a aussi déployé de nouveaux outils permettant de localiser un plus grand nombre de cibles potentielles pour des frappes militaires, grâce au recours à l’intelligence artificielle et à des bases de données.

Le manque de renseignements au sens large, et pas seulement tactiques, avait été pointé du doigt par le rapport de la commission Winograd. Les coups d’éclat des dernières semaines ont révélé les progrès spectaculaires accomplis par les services israéliens, depuis 2006, dans ce domaine. L’explosion de milliers de bipers et talkies-walkies utilisés par les cadres du Hezbollah a mis à mal ses structures dirigeantes, dont les principaux cadres ont été éliminés par des frappes aériennes, jusqu’au leader historique, Hassan Nasrallah, le 27 septembre, en banlieue sud de Beyrouth.

Des habitants dans les décombres de bâtiments détruits par les frappes israéliennes qui ont tué le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah dans la banlieue sud de Beyrouth, le 29 septembre 2024

Son successeur, Hachem Safieddine, aurait été tué quelques jours plus tard, dans des circonstances similaires, selon les autorités israéliennes. “L’état-major du Hezbollah n’existe plus, à peine quelqu’un est-il nommé, qu’il est tué, constate la source militaire. Et les gens éliminés récemment comptaient des décennies d’expériences. Les chefs qui vont leur succéder n’auront pas les mêmes réseaux, ni la même aura. Ce modelage de l’environnement et de l’ennemi est un atout dont l’armée israélienne ne disposait pas en 2006.”

Cette nouvelle guerre avec le Hezbollah a débuté le 8 octobre, lorsque le groupe libanais, en solidarité avec le Hamas, a tiré des roquettes sur le territoire israélien. Les échanges de frappes n’ont pas cessé depuis, provoquant l’évacuation de plus 60 000 résidents – le premier objectif de l’opération “Flèche du Nord” est leur retour chez eux, en éliminant la menace de tirs directs. Accaparée par son intervention à Gaza, l’armée israélienne s’est contentée dans un premier temps de renforcer sa présence militaire dans le Nord, tout en frappant des caches d’armes, en particulier les missiles susceptibles d’être tirés sur Israël. Dans le plus grand secret, elle a aussi mené des raids nocturnes par ses forces spéciales, derrière la “ligne bleue”, en territoire libanais, pour détruire les tunnels et des caches d’armes, souvent parmi les civils, craignant un autre “7 octobre”.

Cette campagne de basse intensité a permis de neutraliser une partie des capacités militaires du Hezbollah, avant l’élimination récente de ses hauts commandants. “C’est une guerre totalement différente par rapport à 2006, avec des succès, jusqu’à présent, alors même qu’Israël doit se battre sur plusieurs fronts, avec les Houthis du Yémen, la Syrie, la Cisjordanie, l’Iran et bien sûr Gaza”, souligne Orna Mizrahi, spécialiste du Hezbollah à l’Institut israélien d’études de sécurité nationale.

De la fumée s’élève après une frappe israélienne dans le sud du Liban, le 4 octobre 2024

Fort de cet avantage, les Israéliens veulent se donner les moyens d’obtenir que les milices chiites soient repoussées jusqu’au fleuve Litani, à une vingtaine de kilomètres au nord de la ligne bleue. Ils ont l’avantage de disposer de brigades de manœuvres aguerries par plusieurs mois d’intervention à Gaza. La grande inconnue concerne les capacités du Hezbollah. “Si la liaison avec la tête de l’organisation est coupée, cela n’empêche pas les différentes cellules de continuer à combattre, souligne la source militaire. Elles ont leur stock d’armes, de nourritures. Il y a une grande décentralisation, ce n’est pas l’armée soviétique.”

Tsahal a déjà déployé près de la frontière quatre divisions – une division, comptant un millier de soldats. “L’objectif est de créer une masse critique, en permanence en mouvement, pour empêcher les défenseurs de mener des embuscades meurtrières, souligne David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, et auteur du récent, Israël Palestine, Année Zéro (éditions Le Bord de l’eau). Pour aller jusqu’au fleuve Litani, il faudra déployer davantage de troupes. Le Hezbollah, bien qu’affaibli, est d’un autre niveau opérationnel que le Hamas. L’état-major de Tsahal s’attend à plus de pertes.”

Les Israéliens repoussent toute idée d’occupation, mais veulent à tout prix éviter un retour au statu quo. “Entre 2006 et aujourd’hui, Israël frappait le Hezbollah en dehors des frontières du Liban, notamment en Syrie, mais cette immunité a sauté après le 8 octobre. Les Israéliens ne laisseront pas la milice se réarmer, même s’il y a un cessez-le-feu”, explique David Khalfa. L’objectif est donc de trouver un accord politique et d’obtenir des garanties de sécurité plus solides qu’après le conflit de 2006, qui a abouti à une résolution 1701 des Nations unies ne donnant ni mandat ni moyens pour désarmer le Hezbollah au Sud du fleuve Litani.

“Nous resterons jusqu’à ce que l’armée libanaise soit suffisamment forte pour prendre le relais, explique un officiel israélien. Si la menace ressurgit, nous n’hésiterons pas à faire des incursions ponctuelles.” Reste à savoir la position que va adopter le parrain iranien. “Il pourrait ordonner au Hezbollah de continuer à harceler l’arrière israélien, au risque de la destruction de la milice chiite, ou forcer cette dernière à cesser les hostilités pour continuer à jouer un rôle au Liban, estime David Khalfa. Pour sa survie, le régime de l’Iran compte sur cette défense de l’avant, composées de groupes armés pro-iraniens, loin de ses frontières, harcelant ses adversaires à moindre coût.” Le Hezbollah en constitue encore la pièce maîtresse.




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