Les attaques du 7 octobre 2023 ont incontestablement ouvert un nouveau cycle au Proche-Orient et dans le monde, à l’heure où l’escalade militaire israélienne menace d’engloutir le Liban. Par leur ampleur, leur gravité et leurs conséquences, les attaques du 7 octobre 2023 représentent, avec le 11-Septembre, un bouleversement majeur de la géopolitique internationale. Elles rappellent le rôle de premier plan que jouent toujours les organisations islamistes sur la scène moyen-orientale, plus de vingt ans après l’attentat contre les tours jumelles.
Au-delà de la question islamiste, elles nous révèlent la réalité du monde de 2024 qui évolue dans une guerre mondiale informationnelle qui ne dit pas son nom et dont, à bien des égards, Gaza est l’épicentre.
Guerre mondiale informationnelle et climat d’insurrection intellectuelle en Europe
Le 7 octobre 2023, le Hamas postait sur les réseaux sociaux les atrocités du raid du Soukkot et lui donnait une visibilité planétaire. Paradoxalement, pour discréditer préventivement la réponse israélienne, les brigades du Hamas n’ont eu qu’à imiter un modus operandi rodé par Daech : diffuser leurs atrocités en ligne et les justifier au nom d’un impératif moral supérieur. Dans la jungle des plateformes en ligne, la médiatisation de l’ultraviolence est devenue un vecteur d’interpellation efficace : les terroristes atteignent par ce biais l’attention des masses planétaires. Le Hamas a ainsi présenté son raid sous l’angle de la vengeance légitime, de la défense des habitants de Gaza, ou des Palestiniens, voire des “musulmans”. Ce discours s’est accompagné de la diabolisation/déshumanisation de l’ennemi, au choix : des Israéliens, des sionistes, des juifs et leurs “complices”.
En donnant une dimension internationale à ses exactions les plus violentes, tout en produisant paradoxalement un discours favorable à sa cause, le Hamas a compensé son infériorité militaire et technologique par une capacité informationnelle qui s’avérait supérieure à celle d’Israël. L’affrontement se poursuit désormais pleinement sur le front numérique, Israël s’étant engagée dans la bataille informationnelle en Occident. Habilement relayés en Europe, les messages des deux camps se sont amalgamés pour atténuer ou banaliser la violence des faits et les rendre acceptables, sinon justifiables, par des groupes d’individus très divers, parfois même opposés à l’usage de la violence, voire fondamentalement pacifistes.
L’actualité gazaouie, qui produit chaque jour son lot d’images de souffrance inouïes, facilite ainsi la dissémination de messages extrêmement politisés
Hugo Micheron
Aux débats qui ont divisé les gauches européennes autour de la qualification des massacres du Hamas après le 7 octobre, s’ajoutent au printemps 2024 des manifestations et des blocages des campus d’universités américaines et européennes. Lors de ceux-ci, des organisations estudiantines alignées sur les préoccupations identitaires d’extrême gauche tendent à lire la situation au Proche-Orient à travers le filtre de la question coloniale, à l’intersection de la question raciale américaine et des luttes contre le patriarcat et pour la reconnaissance des identités de genre. Le fait que le modèle porté par les mouvements islamistes comme le Hamas soit antagonique avec les valeurs au cœur de ces causes n’est pas perçu comme une contradiction fondamentale, et du Hamas il n’est d’ailleurs que très rarement question. L’extrême droite surinvestit elle aussi la bataille culturelle prenant prétexte du 7 octobre pour diaboliser l’islam et les immigrés, et voyant dans la défense d’Israël un moyen de racheter à peu de frais un héritage séculaire d’antisémitisme meurtrier.
L’assaut du 7 octobre puis la guerre à Gaza ont aussi mobilisé comme rarement les milieux islamistes européens. Ils bouillonnent d’appels directs à “choisir un camp”, d’accusation de “sionisme” ou de complicité envers la colonisation de la Palestine ou la mort d’enfants palestiniens pour tous ceux qui contestent leur mise en récit des événements. L’activité des mouvements islamistes en ligne vise à canaliser la sympathie propalestinienne de tout bord, pour la rediriger vers l’expression d’un soutien tacite d’une tout autre nature : le discrédit des valeurs démocratiques européennes, la criminalisation de l’Occident. L’actualité gazaouie, qui produit chaque jour son lot d’images de souffrance inouïes, facilite ainsi la dissémination de messages extrêmement politisés rendant par exemple complice tantôt l’Europe, tantôt Sciences Po, de “génocide” sur des enfants.
Les polémiques qui découlent logiquement de l’enchevêtrement de ces dynamiques et de ces raccourcis contribuent à l’antagonisation de débats publics déjà chauffés à blanc. Le phénomène à la fois de flou et de polarisation qui en résulte, et qui s’observe notamment dans les urnes, donne corps à un climat d’insurrection intellectuelle en Europe.
L’Europe en position de vulnérabilité stratégique dans le domaine numérique
Une grande partie de cette situation est produite par le fonctionnement même des réseaux sociaux qui est topologique. Concrètement, sur les plateformes numériques, la circulation de contenu n’est pas entravée par les frontières physiques. Le ralliement s’opère via l’adhésion à une idée ou à un grand récit permettant de filtrer l’actualité et surtout de l’interpréter. De fait, fournir les premières explications à un événement nouveau (petit ou grand) et définir le cadre de sa réception par des tiers sont des moyens d’imprégner les esprits mais aussi de les façonner.
La diffusion de grilles de lecture interprétant l’actualité et lui donnant un sens à travers une vision du monde préétablie devient ainsi une clé de l’influence internationale. Une attaque sur le sud d’Israël et une guerre sans pitié à Gaza peuvent donc perturber rapidement et profondément les débats publics des sociétés européennes si elle reçoit suffisamment d’écho pour capter et rallier les différents imaginaires qui y structurent l’opinion. Ce qui était la primeur autrefois des grands médias est aujourd’hui à la portée des communautés en ligne plus ou moins bien organisées et qui vivent de la viralité des contenus.
De fait, l’arme informationnelle est à disposition de tous, et la capacité d’une entité à promouvoir un récit autour d’un événement devient une clé de l’influence internationale. Du fait de la nature même de la démocratie, par définition libre, l’Union européenne est particulièrement exposée à la bataille des récits. Elle évolue même dans une position de vulnérabilité stratégique unique au monde. L’Europe est en effet le premier espace numérique mondial (1,5 fois celui des Etats-Unis) mais ne dispose d’aucun réseau social propre. Dit autrement, l’UE n’a aucune souveraineté algorithmique et ne peut que difficilement réguler des plateformes étrangères. Or, les réseaux sociaux sont les premiers lieux de conscientisation politique des 15-25 ans. L’absence de souveraineté algorithmique contraste avec la situation des rivaux géopolitiques et économiques (Russie, Chine, Etats-Unis…) qui disposent de plateformes numériques (les Gafam pour les Etats-Unis, Telegram et Vkontact pour la Russie, sans parler de la Chine et de son Internet cloisonné) et des moyens techniques d’y assurer une influence et d’y défendre leur vision du monde et leurs intérêts.
Contrairement à une idée reçue des origines, les réseaux sociaux ne forment pas un immense espace virtuel ouvert, favorisant l’échange d’idées et l’émancipation intellectuelle. Ce ne sont pas des forums de débat où les opinions politiques contraires s’expriment librement. La jungle des réseaux sociaux est un environnement brutal, ouvert aux quatre vents et balayée par des tempêtes. Seuls les vents dominants des récits les plus puissants ou les plus relayés impriment durablement, ce qui y explique le rôle clé des “ingénieurs du chaos” que décrit si finement Giuliano da Empoli.
Dans cette situation, l’Europe est mal préparée et mal équipée pour la lutte d’influence, la guerre informationnelle, les cybercrises, la manipulation des opinions de masse et la radicalisation des rapports de force numériques, dont les coûts de déploiement s’abaissent considérablement avec l’arrivée de l’IA générative. Au printemps 2024, la première vidéo djihadiste entièrement générée par l’IA était par exemple repérée en ligne, signe qu’elles sont désormais à la portée d’organisations non étatiques faiblement dotées. Bien que de qualité médiocre, cette utilisation des technologies LLM par des groupes islamistes radicaux ouvre la voie à une propagande qui pourrait être à la fois plus ciblée et plus massive, tout en étant bien moins chère à produire. N’importe qui peut ainsi devenir un bon propagandiste.
L’Asie centrale et le Caucase, cœur des reconfigurations géopolitiques actuelles
Loin de l’Afrique sahélienne et subsaharienne et des zones d’influence traditionnelles les plus évidentes (Maghreb et Méditerranée orientale), certaines des reconfigurations géopolitiques actuelles les plus déterminantes se déroulent dans un espace périphérique sous-estimé par l’Europe : le Caucase et l’Asie centrale. Cette zone forme l’espace au cœur de trois rivaux géopolitiques de l’UE, l’Iran, la Turquie et la Russie.
La première matérialisation de ces changements passés inaperçus a pris la forme d’une entente diplomatique entre la Russie, l’Iran et la Turquie dans le cadre du processus d’Astana, au Kazakhstan. Formalisé en 2018, l’accord d’Astana visait à apporter un règlement au conflit syrien. Les trois puissances, directement impliquées dans la guerre en Syrie et en désaccord sur la suite à lui donner, ne sont pas convenues d’une solution politique à la crise qui ronge encore le pays. Elles ont néanmoins trouvé un point d’entente à Astana qui a été très peu commenté en Europe en dépit de son importance : la guerre en Syrie devrait se régler sans le concours des puissances occidentales. Depuis 2018, “l’astanaïsation” des relations internationales – ou, si l’on préfère, l’exclusion des puissances occidentales des cadres d’intervention et de résolution politique des conflits – s’est étendue vers d’autres zones du monde. Cela apparaît notamment dans les régions où l’Europe disposait d’une influence historique, comme le pourtour méditerranéen, l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient. Bien souvent, la France figure de premier pays visé, aussi bien par l’action des relais russes, turcs, mais aussi chinois en Afrique que par les activités, différentes, des groupes djihadistes.
La guerre informationnelle ne produit pas que des effets politiques, la sphère économique et l’appareil productif européen sont aussi visés. A cet égard, la politisation et la moralisation en cours sur les réseaux sociaux constituent une réalité que de nombreux dirigeants de groupes privés découvrent souvent à leur insu. Les campagnes de désinformation ou cherchant à nuire à la réputation des entreprises se banalisent et, dans l’immense majorité des cas prennent forme, là aussi, sur les réseaux sociaux. L’Afrique sahélienne est l’espace où l’on observe le plus facilement que la guerre informationnelle prolonge les dynamiques politiques entrevues à Astana. L’éviction de la présence militaire française, puis l’offensive diplomatique et désormais économique dans plusieurs pays du Sahel ces dernières années, illustrent cette situation.
Sous l’effet d’une vaste campagne de désinformation, principalement menée par des réseaux prorusses, relayant un sentiment antifrançais enraciné et fondé sur des accusations de néocolonialisme, l’armée française a dû se retirer du Mali en 2022, puis du Niger en 2023, sans avoir essuyé un coup de feu. Les offensives informationnelles ou réputationnelles tendent à bénéficier aux entreprises chinoises ou turques bien souvent peu scrupuleuses, pendant que ce qu’il reste de Wagner pille en silence les ressources des pays où ces miliciens ont pris pied. Le résultat de ces opérations de désinformation est rarement à l’avantage des pays du Sahel qui font face à l’avancée des groupes djihadistes et à des crises structurelles encore plus graves. Depuis 2022, ces campagnes tendent à se prolonger en Afrique de l’Ouest et centrale à l’encontre des grands groupes français, qui y jouent un rôle économique majeur. Que cela porte ses fruits ou non, les espaces informationnels de ces régions sont déjà largement investis par de la propagande politique plus ou moins subtile. La formule est souvent la même : arsenalisation (weaponization) de ressentis politique et historique diffus et partagés, comme les accusations de néo-impérialisme, puis instrumentalisation et amplification de ceux-ci pour produire des effets politiques dirigés contre les intérêts européens.
A l’astanaïsation des relations internationales et la tentative d’endiguement géopolitique de l’Europe que cela sous-entend, s’ajoutent des tentatives de déstabilisation politique menée par des puissances étrangères à l’intérieur même des démocraties européennes. Capitalisant sur le climat d’insurrection intellectuelle et la fragmentation politique, de nombreuses entités étatiques et non étatiques qui se pensent comme les ennemis de l’Occident cherchent à exploiter les failles apparues dans ces sociétés. Les tentatives de déstabilisation se déploient le plus souvent via les réseaux sociaux en de vastes opérations de discrédit des gouvernements européens, de leurs légitimités politiques, des valeurs et principes sous-tendant leur action et dans le but de rendre les pays démocratiques ingouvernables.
Elles prennent la plupart du temps la forme d’une mise en récit de l’actualité médiatique selon des grilles de lecture mensongères et malveillantes, cherchant à fragiliser la cohésion interne, l’assise démocratique et l’action gouvernementale des sociétés visées. La Russie a largement recours à ces méthodes, allant de l’amplification de la polémique autour des punaises de lit à Paris à l’automne 2023 à l’orchestration de faux actes antisémites quelques jours après le 7 octobre. Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, a ainsi établi que les services de renseignement russes ont orchestré de bout en bout l’opération de désinformation autour des graffitis d’étoiles de David peints dans plusieurs rues de Paris à l’automne dernier. De la réalisation des tags à leur diffusion virale sur Internet en passant par la rédaction de messages dénonçant des actes antisémites, cette affaire révèle l’ampleur et les objectifs de ce type de campagne de déstabilisation du débat public français, à quelques mois de l’ouverture des Jeux olympiques, était évidente. Les méthodes sont souvent les mêmes que celles évoquées précédemment, ces acteurs ont recours à des méthodes de manipulation des opinions publiques, la plupart du temps en exploitant des clivages et des lignes de faille préexistantes ou en cherchant à amplifier certaines dynamiques de fragmentation politique déjà à l’œuvre dans le champ politique.
En matière d’instrumentalisation des failles préexistantes des sociétés occidentales, l’initiative d’un autre pays d’Asie centrale attire peu d’attention en Europe malgré sa forte activité : l’Azerbaïdjan. Hostile à l’action de l’UE, notamment en raison du soutien français à l’Arménie, le pays est à l’origine du Groupe d’initiative de Bakou (GIB) dont le but est de soutenir la lutte des peuples ” mal décolonisés “. Réunis à Istanbul en février 2024, les participants adressaient par exemple une lettre au président français pour l’interpeller sur la situation en Nouvelle-Calédonie, dont les heurts sur place étaient présentés dans la continuité des guerres de décolonisation. En parallèle, via les mécanismes de campagne informationnelle sur les réseaux sociaux décrits précédemment, l’Azerbaïdjan était impliqué dans l’amplification des contenus hostiles à l’Etat français en Nouvelle-Calédonie, soutenant activement l’indépendance de l’île et le départ de ce qui semblait être des forces d’occupation françaises… Créé il y a un an, le GIB aurait convié à sa conférence inaugurale les représentants de plusieurs mouvements indépendantistes français (Martinique, Guyane, Corse, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française), dans le but d’appuyer sur des lignes de failles existantes autour des conflits identitaires et nationalistes auxquels la France est exposée. Ces informations résonnent donc particulièrement à l’automne 2024 dans le contexte du mouvement contre la vie chère en Martinique qui pourrait être l’objet de ces logiques d’instrumentalisation privilégiées par le GIB.
En dernier lieu, le Caucase et l’Asie centrale sont aussi le terrain des recompositions des réseaux djihadistes de l’Etat islamique déchus en Syrie. Aidés par la déstabilisation de l’Afghanistan depuis l’arrivée au pouvoir des talibans en 2021, les réseaux d’Asie centrale et de Tchétchénie sont au cœur du regain d’activité terroriste de l’Etat islamique au Khorasan (EI-K). Depuis 2023, ces réseaux sont particulièrement actifs dans le monde au point d’être considérés comme la principale menace djihadiste actuellement. Plusieurs attentats perpétrés ou déjoués en Europe ces dernières années ont été menés par les réseaux caucasiens (tchétchènes ou ingouches), parfois avec le soutien de leurs relais d’Asie centrale.
Les formes extrêmes de violence, du type de celles observées sous Daech ou lors du 7 octobre 2023, pourraient se répéter dans le monde
Hugo Micheron
Pour autant, les groupes djihadistes ne sont en aucun cas les alliés des acteurs étatiques précédemment évoqués. L’Iran, la Turquie et la Russie, les trois pays à l’initiative du processus d’Astana, ont par exemple été tous trois frappés par des attentats djihadistes de grande ampleur menés par l’EI-K en 2024 : à Kerman, en Iran, début janvier 2024 (84 victimes), dans une église catholique d’Istanbul fin janvier 2024 (1 victime) et au Crocus City Hall de Moscou en mars 2024 (140 victimes). A cet égard, la stratégie médiatique de Vladimir Poutine, qui s’est mis en scène en train d’embrasser le Coran à la fin de l’été 2024, n’est pas anodine, alors que la guerre à Gaza produit un bruit de fond extrêmement défavorable à l’Occident, qui pourrait faciliter le regain des activités djihadistes vers l’Europe.
L’Europe face à elle-même : sortir de la paralysie politique et technologique
Dans ce contexte de très grande défiance, la capacité des pays européens à réagir est loin d’être nulle. L’astanaïsation des relations internationales demeure loin d’être évidente, et il est difficile pour les pays qui en sont à l’initiative de construire un front pérenne en ayant pour seul dénominateur commun leur crainte de l’Occident. A l’inverse, les pays européens disposent de ressources sous-valorisées en l’état actuel des choses que Ghassan Salamé rappelle dans son dernier ouvrage (La Tentation de Mars, Fayard) : “Les pays occidentaux ont aujourd’hui en commun un attachement à la démocratie libérale, à l’économie de marché et à la liberté individuelle. Cela fait leur ADN, le ciment de leur unité. En face, leurs adversaires, anciens et nouveaux, ont du mal à définir aussi clairement ce qui les réunit sinon un attachement à leur indépendance, qui se réduit souvent à une hostilité plus ou moins militante à l’emprise occidentale, réelle ou imaginaire, sur le système global.”
L’Europe se trouve ainsi à un moment charnière. L’accélération du cycle actuel sous l’effet de l’essor de l’IA engendrerait une intensification des troubles politiques et religieux en son sein, renforçant au passage les sentiments apocalyptiques de toute nature. Auquel cas, les formes extrêmes de violence du type de celles observées sous Daech ou lors du 7 octobre 2023, pourraient non seulement se répéter dans le monde, mais trouver davantage de personnes pour les justifier en Occident.
Rendu public en septembre 2024, le rapport Draghi, “L’avenir de la compétitivité européenne”, énonce à la fois un constat implacable et des pistes extrêmement claires pour prendre un virage serré pour les pays de l’UE et inverser les tendances engagées. Le manque de souveraineté technologique européenne, avec seulement quatre entreprises européennes parmi les 50 premières entreprises de tech dans le monde, indique clairement la nécessité d’une réaction, à l’heure où les Etats-Unis et la Chine multiplient les innovations et inondent le marché européen. Le risque est qu’à l’avenir les seuls outils d’IA disponibles sur le marché proviennent de l’espace extra-européen, au prix d’une perte de souveraineté européenne et d’une vulnérabilité renforcée aux opérations d’influence véhiculées sur les plateformes étrangères.
Il conviendrait de mettre un terme à la désynchronisation du politique et du technologique – l’un se développant plus vite que la capacité de l’autre à l’absorber et à le réguler. Il est ainsi crucial qu’un groupe de pays membres influents de l’UE alignent leurs diplomatiques respectives afin de porter la voie d’une innovation ambitieuse, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. La course vers l’intelligence artificielle générale (AGI) est déjà lancée, et l’Europe n’a pas encore totalement quitté la ligne de départ. Elle dispose cependant des moyens de rattraper son retard, à condition de ne pas trop tarder. Dans un monde où les attributs de la puissance sont en partie redéfinis par la nouvelle donne technologique, aux ingénieurs du chaos de toute sorte, l’Europe doit être en mesure d’opposer des ingénieurs de la démocratie.
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