Inspecteur des Finances et ancien DRH d’Orange, Bruno Mettling a fondé en 2018 le cabinet de conseil Topics. Il livre son analyse à L’Express sur les failles de notre système de retraite, que la précédente réforme n’a, selon lui, pas comblées.
L’Express : Le Premier ministre Michel Barnier souhaite rouvrir le dossier des retraites. Est-ce le bon moment de revenir sur ce sujet explosif ?
Bruno Mettling : Avant d’étudier les pistes, il faut au préalable établir un consensus sur l’état de santé du système et ses perspectives. Or, ce qui n’a pas bien fonctionné dans la précédente réforme, c’est d’abord le diagnostic gravement défaillant du Conseil d’orientation des retraites. Sans entrer dans tous les détails, la multiplication des scénarios, dont une majorité était excessivement optimiste comme le fait de ne pas avoir intégré le financement des déficits des retraites du secteur public dans la réflexion globale sur l’équilibre du régime de retraite, conduit à une sous-estimation de la gravité de la situation. Conséquence, l’acceptabilité des efforts s’en est trouvée gravement attachée. C’est ce que j’appellerai l’erreur originelle et elle n’est pas réglée. Il faut reprendre une analyse approfondie de la réalité des déficits du régime.
Le deuxième point est d’ordre plus systémique. L’existence même du régime actuel de répartition serait menacé en cas d’immobilisme. Et c’est au regard de ce risque qu’il faut accepter de revisiter certains paramètres du système. En cela, la proposition de décaler de six mois la revalorisation des pensions est acceptable. Sachant que la précédente actualisation a représenté 20 milliards d’euros, soit quasiment deux fois le budget du ministère de la Justice. Est-ce vraiment insupportable, sachant que nous sommes l’un des seuls pays au monde où le niveau de vie des retraités, en moyenne, est supérieur à celui du reste de la population ? Attention, cependant, à bien prendre en compte la disparité des niveaux de revenus entre retraités : même si les petites retraites ont été augmentées, les écarts restent élevés entre les retraités aisés et les autres.
Faudrait-il revenir sur le totem des 64 ans, avec les difficultés financières que vous pointez dans le système ?
Je pense qu’une majorité de Français ont très bien compris qu’avec l’allongement de l’espérance de vie – plus d’une dizaine d’années depuis 1970 – ils devront travailler plus longtemps. Ce qui n’a pas été accepté dans la précédente réforme, c’est le cumul du report de l’âge de départ à 64 ans et l’augmentation du nombre d’annuités nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein. D’ailleurs, la réforme Touraine, qui augmentait seulement les annuités nécessaires, a forcé les salariés à travailler plus longtemps. Mais là, ce cumul est une machine à pénaliser ceux qui ont démarré leur vie professionnelle jeunes. Or, ce sont généralement ceux qui occupent les emplois les plus pénibles. C’est cette double injonction qui a créé le sentiment de rejet de la réforme, même si des mesures complexes de prise en compte des périodes travaillées de 16 à 20 ans ont fini par être rajoutées. Un nombre d’annuités ou de trimestre cibles, pour une retraite à taux plein sans conditions d’âge, aurait le mérite de la simplicité.
Pour réamorcer le dialogue avec les organisations syndicales, faut-il revoir les critères de pénibilité ?
Evidemment. D’autant qu’Emmanuel Macron les avait revus à la baisse dès 2017, en enlevant certaines postures pénibles, la manutention manuelle de certaines charges ou encore des critères de l’exposition aux agents chimiques. Donc, c’est vrai que réintroduire des critères de pénibilité est un point important.
Vous soulignez la nécessité d’avoir une vision complète, crédible et sérieuse de la situation financière des régimes. Le gouvernement doit-il s’attaquer aux régimes spéciaux ?
C’est une piste de réflexion. Il est normal, au nom du contrat social, que le régime général comble en partie le déficit des régimes spéciaux qui doivent faire face à une situation démographique déséquilibrée. Mais jusqu’où peut aller la solidarité quand le système entier est en péril et quand la situation des retraités des régimes spéciaux dérive tellement – niveau des pensions, âge de départ à la retraite… – de la moyenne des salariés du privé ? Là aussi, il faudra sans doute examiner les termes du contrat de confiance, et se demander si c’est au régime général et à la solidarité de financer aussi durablement les montants de pensions bien supérieurs à ceux du régime général.
Faudra-t-il un jour reposer la question du régime universel à point ?
A court terme non. Mais à moyen terme, il faut absolument recréer les conditions d’un consensus en faveur d’une grande bascule vers un régime universel à points. Il apporterait une lisibilité, une flexibilité et une automaticité dont nous avons absolument besoin. Il permettrait aussi de se sortir des psychodrames entourant les revisitations régulières. Mais cette bascule prendra du temps. C’est forcément un projet de moyen terme.
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