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Langue française : pourquoi préfère-t-on la droite à la gauche ?


Il est sans doute des injustices plus graves à travers le monde. Il n’empêche : je veux ici m’élever contre l’une des plus grandes iniquités de la langue française, celle qui, depuis la nuit des temps, nous conduit à valoriser de manière on ne peut plus arbitraire tout ce qui se rapporte à notre côté “droit” et défavorise systématiquement notre infortuné côté “gauche”. Car c’est un fait : en matière de latéralité, la hiérarchie est immuable, invariable, implacable. Jugez plutôt.

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A droite, c’est bien simple : tout semble bel et bon. Vous faites preuve d’habileté ? Vous êtes donc “adroit”. Vous avez besoin d’aide ? Appuyez-vous sur votre “bras droit”. Votre conduite est “conforme aux lois de la morale et du devoir” ? Vous faites preuve de “droiture”. Vous menez une vie honnête ? Vous suivez “le droit chemin”… Même la religion s’en mêle : Jésus n’est-il pas “assis à la droite du Père” ? Et que les anticléricaux ne s’esclaffent pas trop bruyamment : à ma connaissance, les Révolutionnaires ont écrit la “Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et non la “Déclaration des Gauches de l’Homme et du Citoyen”…

A gauche, précisément, tout est négatif, ou presque. Si l’on est de mauvaise humeur, c’est que l’on s’est “levé du pied gauche”. Lorsque l’on meurt, on passe “l’arme à gauche”. Une pièce de bois est‑elle ondulée ? Recourez à une “dégauchisseuse”. Celui qui fait preuve de balourdise est “gauche”. D’ailleurs, c’est bien simple, si un quidam est maladroit (“mal”- “adroit” !), c’est qu’il “a deux bras gauches” ! J’ai même appris la raison pour laquelle l’union libre avait été longtemps désignée par l’expression “mariage de la main gauche”. En fait, quand un noble épousait une femme de condition inférieure, il devait, lors de la cérémonie, lui donner la main gauche et non, comme à l’habitude, la droite !

Allons, soyons honnêtes : cette loi d’airain connaît au moins deux exceptions. D’une part, à ce que l’on sache, il n’y a rien de mal à tourner à gauche plutôt qu’à droite si telle est la direction que l’on doit prendre. D’autre part, depuis la Révolution, les membres de l’Assemblée nationale revendiquant des idées progressistes exigent de siéger à la gauche du président. A noter toutefois que cette habitude a été inventée par les British qui, comme chacun sait, prennent un malin plaisir à ne jamais rien faire comme tout le monde…

Cette inégalité, en tout cas, vient de loin. Droit a en effet une étymologie valorisante puisqu’il provient de l’adjectif latin directum, qui signifiait au sens propre “sans courbure” et, au sens figuré, “juste”. De là le lien avec un domaine on ne peut plus prestigieux, celui du droit, autrement dit “l’ensemble des principes moraux qui régissent les relations entre humains.” Cela vous pose un vocable…

Ce pauvre “gauche”, lui, souffre d’origines incertaines, voire ingrates. Certains étymologistes lui supposent une racine germanique, avec le sens de “de travers”. Le linguiste Pierre Guiraud le rapproche carrément du gallo-roman valgicus, d’après le latin valgus, “qui a les jambes tournées en dehors”. Il est vrai qu’au XIIIe siècle, l’adjectif signifiait “qui représente une déviation”, acception encore attestée en géométrie moderne puisqu’un quadrilatère “gauche” désigne “une figure géométrique dont les quatre sommets ne sont pas situés sur le même plan” (vu mon niveau en mathématiques, je précise que cette définition n’est nullement le fruit de mon imagination, mais provient des dictionnaires les plus sérieux).

Oh, bien sûr ! J’entends déjà les plus érudits rappeler qu’au Moyen Age, “gauche” se disait senestre. A ceci près que cela ne modifie en rien l’analyse puisque cet antique senestre est de la même famille que “sinistre”… Vous admettrez avec moi que l’on a vu cousinage plus glorieux. Au demeurant, je rappellerai auxdits érudits que, dans l’iconographie médiévale, tous les gauchers étaient supposés être de sales types (traîtres, vils, apostats, on en oublie) et que Judas était généralement représenté à la gauche de Jésus. Et toc !

Non, si l’on veut trouver une vague raison de nous consoler, il faut la chercher ailleurs et savoir que la conception française n’a rien de singulier. En réalité, toutes les langues indo-européennes considèrent qu’il existe un “bon” côté, le droit, et un “mauvais”, le gauche. Le dictionnaire historique de la langue française remarque ainsi qu’en espagnol, seul le mot “droit” (derecho) est issu du latin – la langue supposée noble – alors que son antonyme izquierdo provient du basque. De même, sous l’Antiquité romaine, un présage venant du côté droit était supposé positif, alors que celui arrivant du côté gauche était associé à un sort malheureux.

Et l’on s’étonnera qu’avec tout cela, il y ait des gauchers contrariés !

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