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Matteo Renzi : “Dans dix ans, les populistes seront les premiers à demander plus de migrants”


Comment rester optimiste dans un monde où les crises et les violences se multiplient ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre les intervenants du colloque World in Progress, organisé du 14 au 15 octobre par le groupe Prisa (le quotidien El Pais, la radio Cadena Ser…) à Barcelone. Après avoir une nouvelle fois condamné les propos de son homologue israélien Benyamin Netanyahou demandant un retrait des troupes de l’ONU déployées au Liban (la Finul) – alors qu’au moins cinq Casques bleus ont été blessés en marge des combats entre Israël et le Hezbollah – et appelé à “suspendre immédiatement les livraisons d’armes” à l’Etat hébreu, le Premier ministre Pedro Sanchez, l’un des dirigeants européens les plus sévères à l’encontre de Tel-Aviv, s’est aussi distingué sur le sujet de l’immigration.

Dans un contexte où la plupart des pays du Vieux continent durcissent leurs positions, il a plaidé pour que son pays reste “ouvert et accueillant”. ” Nous, les Espagnols, nous sommes des enfants de l’immigration. Nous n’allons pas être les parents de la xénophobie”, avait-il lancé quelques jours plus tôt aux députés, arguant que la “contribution” des migrants “devrait être maintenue dans les décennies à venir”, pour “surmonter [le] défi démographique et garantir la prospérité et le progrès de [la] société.”

La question était plus que jamais d’actualité, le jour même où le gouvernement de Giorgia Meloni envoyait un premier groupe de migrants vers les centres gérés par ce pays en Albanie pour externaliser les demandes d’asile, et où la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, répondant à la demande de plusieurs Etats membres, annonçait dans une lettre aux 27 qu’elle allait proposer une nouvelle législation pour favoriser les expulsions de migrants en situation irrégulière. L’ancien Premier ministre centriste italien Matteo Renzi (2014-2016), qui est également intervenu, a dénoncé l’attitude de “nombreux hommes politiques qui ne pensent pas à donner une vision de l’avenir aux nouvelles générations”, mais seulement à “leurs “likes du jour” sur les réseaux sociaux. Dans un entretien accordé à quelques médias français, dont L’Express, celui qui est aujourd’hui sénateur critique les effets de manche de Giorgia Meloni sur sa politique migratoire.

L’Express : Que pensez-vous de la situation budgétaire française ? Vous inquiète-t-elle ?

Matteo Renzi : Jesuis bien sûr avant tout un expert des problèmes budgétaires italiens, un domaine dans lequel j’ai d’ailleurs une certaine expérience… Il sera très important de voir ce qu’il va se passer à l’Assemblée nationale en France dans les prochaines semaines et les prochains mois. La situation n’est pas facile.

Je crois que le nouveau gouvernement français sera capable de trouver des pistes de sortie de la crise, du moins je l’espère. Parce que ce qui est bon pourla France l’est aussi bon pour l’Italie, pour l’Allemagne et pour l’Europe en général. Avec la réalité du nouvel ordre mondial, il n’y a pas d’autre possibilité que d’avancer ensemble. Les difficultés économiques de l’Allemagne ont par exemple des répercussions sur le nord-est de l’Italie.

Sur l’immigration, la politique de Giorgia Meloni, qui se targue d’avoir fortement réduit les arrivées de migrants cette année, est-elle en train d’influencer la politique européenne ?

Giorgia Meloni va dépenser 900 millions d’euros pour ouvrir un centre de migration [NDLR : 160 millions d’euros par an sur 5 ans] en Albanie. C’est vraiment la décision la plus stupide qui soit. Elle vise seulement à créer un message calibré pour Twitter ou Instagram afin de dire qu’elle a fait quelque chose pour en finir avec la question migratoire. Cette dépense est complètement disproportionnée et inefficace. Il faudrait mieux allouer ce budget à la police italienne.

Il faut en effet aussi prendre en compte la question de la sécurité, que la gauche doit, elle aussi, soutenir : ceux qui viennent en Italie doivent respecter les lois. Il faut être dur avec les criminels et contre les causes de la criminalité. C’est avec ce message que le travailliste Tony Blair a gagné les élections il y a 25 ans. Et ce message n’est pas encore clair à la gauche.

Mais, d’un autre côté, il faut investir dans la culture et il serait fou de considérer l’immigration comme un remplacement et de promouvoir son blocage. Parce qu’il ne fait aucun doute que nous aurons besoin de davantage de migrants dans la prochaine décennie. Par ailleurs, à mon sens, le problème d’émigration est plus grave que celui de l’immigration. Le problème, ce sont les jeunes qui partent aux Etats-Unis dans des centres de recherche sur l’informatique quantique ou l’intelligence artificielle.

Le sujet de l’immigration migratoire est une question importante, qui nécessite des réflexions plus approfondies. Derrière tout cela, il y a un problème démographique. La natalité s’effondre en Italie. Pour le régler,il faut mettre en place différentes politiques : pour améliorer la condition des femmes, l’équilibre entre travail et vie privée, l’emploi des jeunes. Aujourd’hui, l’Italie est le pays le plus vieux d’Europe. Sans jeunes, nous aurons du mal à survivre. En réalité, le vrai problème n’est pas la crise démocratique, mais la crise démographique.

La percée de l’extrême droite en Europe ne montre-t-elle pas une inquiétude des populations ?

De nombreux dirigeants ont gagné des élections en agitant cette peur des migrants. Mais si vous parlez à des entrepreneurs italiens (ou allemands), la grande majorité est à droite, et en même temps, ils ont besoin de plus de migrants pour occuper les emplois. Aujourd’hui, la question migratoire, est devenue un sujet pour les réseaux sociaux. Mais ce n’est pas comme cela qu’on traitera la question.

Les populistes ont des réponses claires à des questions compliquées : à les entendre, c’est facile, il suffit de mettre les migrants dehors. Ils ne considèrent les problèmes qu’au jour le jour. Mais dans dix ans, ils seront les premiers à demander plus de migrants. Je plaisante parfois en disant que Matteo Salvini [NDLR : le patron de la Ligue, d’extrême droite, et actuel vice-président du conseil des ministres] fera dans le futur partie d’une ONG pour les accueillir.

Face aux difficultés de l’Europe face aux Etats-Unis et à la Chine, comment l’Europe peut-elle exister à l’avenir ?

L’Europe d’aujourd’hui n’est pas l’endroit le plus important du monde. Elle a perdu l’envie d’être un lieu pour l’innovation. Dans le monde, les Etats-Unis innovent, la Chine copie et… l’Europe régule. La décision d’Ursula von der Leyen de soutenir le Pacte vert par idéologie lors de son premier mandat a, par exemple, été une erreur.

Nous n’arrivons pas à être compétitifs face à la Chine et aux Etats-Unis. Nous devons faire quelque chose pour créer un champion européen de l’automobile, sinon nous n’aurons aucune chance. Je ne suis, par exemple, pas contre un rapprochement entre Renault et Stellantis.

Si Donald Trump arrive au pouvoir, que vont devoir faire les Européens pour soutenir l’Ukraine ?

La seule chose que je sais, c’est que Donald Trump est imprévisible : il est donc impossible de deviner ce qu’il va se passer, ni dans les prochaines semaines, ni demain s’il arrive au pouvoir. Nous devons soutenir l’Ukraine. Et l’intégrer dans l’Union européenne. Cela posera des problèmes, notamment avec les agriculteurs, en France ou en Italie, mais c’est ce qu’il est juste de faire.




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