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Tony Estanguet, ses confidences sur les JO de Paris : “C’était le défi de ma vie !”

A la tête du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, Tony Estanguet vient de consacrer dix ans de sa vie à faire de cet événement une réussite. Pari tenu pour le triple champion olympique de canoë. Loué pour son sang-froid, son écoute, sa persévérance, l’athlète s’est imposé comme le leader incontesté de cette grande fête. Grand entretien avec le lauréat du Grand Prix de L’Express.

L’Express : Quelles ont été les clés du succès de ces Jeux ?

Tony Estanguet Nous avions conscience du défi historique : cent ans après la dernière édition parisienne, comment faire rayonner ces JO ? Comment faire rayonner la France, en montrant son plus beau visage ? On se disait : soyons les plus rêveurs pour s’autoriser à faire des choses qui n’ont jamais été faites ! Cette audace ne nous a jamais quittés, au contraire. La réussite de ce projet est aussi venue de notre capacité collective à le mettre en œuvre : les Jeux olympiques et paralympiques, c’est une aventure humaine.

En interne, nous avons recruté des compétences fortes, des créatifs, des pros de ­l’organisation : il ne suffit pas d’avoir un projet et des idées, il faut aussi des personnes pour concevoir et concrétiser cette magie-là. La grande force de ces Jeux, c’est qu’ils n’appartenaient à personne. C’était le projet de la France, et tout le monde y a trouvé sa place : le mouvement sportif, les acteurs publics, du ­président à la maire de Paris… A titre personnel, c’était passionnant de trouver ces équilibres politiques, sportifs, économiques, à la croisée des enjeux et des intérêts des uns et des autres. Rapidement, c’est devenu un projet collectif, sans doute le plus important de ces dernières décennies.

Paris 2024 et une émotion qu’on a du mal à qualifier

Tony Estanguet

En quoi vont-ils marquer l’Histoire ?

Parce que ces Jeux sont d’abord une rencontre. Pour moi, l’Histoire se bâtit sur l’intensité émotionnelle, et elle nous a tous dépassés, en France comme à l’étranger. Cette émotion très forte est née de cette rencontre entre des sites majestueux, les spectateurs, qui ont mis une ambiance de folie dans les stades, au point que le joueur de basket américain LeBron James a avoué n’avoir jamais vu ça dans sa carrière, et bien sûr des athlètes incroyables. Quand vous mettez ces trois éléments ensemble, ça produit Paris 2024 et une émotion qu’on a du mal à qualifier.

C’était fou de voir la ­ferveur, l’envie, la ola silencieuse pendant le match France-Brésil de cécifoot… On découvre des sports – 54 au total – et des athlètes olympiques ou paralympiques dont on n’avait jamais entendu parler. Cette émotion, qui nous a tous embarqués, a ­provoqué un moment de fierté et de confiance. On a vu qu’on était capables de faire des choses exceptionnelles dans ce pays. On a eu l’audace d’imaginer ces sites alors que, normalement, ils ne sont pas prévus pour accueillir des épreuves ­sportives. Si ces Jeux sont historiques, c’est parce que, depuis le début, nous avons eu confiance dans la capacité de notre pays à réaliser quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant.

Tout n’allait pourtant pas de soi, comme l’ont montré les très nombreuses critiques à l’égard des JO avant cet été…

C’est vrai, et je me suis battu contre celles et ceux qui n’y croyaient pas, contre ce bashing qui n’est pas d’ailleurs une spécificité française. Il y a souvent dans l’environnement des grands événements sportifs un flot de critiques et des polémiques. Mais, ici, j’ai été marqué par leur vigueur.

A partir de quel moment avez-vous vu cette vague de bashing refluer ?

L’arrivée de la flamme à Marseille nous a fait du bien : la ferveur populaire du relais de la flamme avec des millions de personnes sur le bord des routes tous les jours, parfois sous la pluie, a constitué un vrai déclic. Ce n’était pas forcément évident de faire arriver la flamme de Paris 2024 à Marseille plus de trois mois avant le démarrage des Jeux. Mais cet événement a suscité un sentiment de fierté pour les Marseillais, ravis d’être les premiers à accueillir ce symbole. C’est à ce moment que les choses ont commencé à s’inverser, même si c’est arrivé tard !

De mon côté, j’ai pris le “JO bashing” comme un défi supplémentaire à relever. Nous avions des indicateurs qui montraient depuis longtemps que tout était réuni pour que l’on réussisse. Quand on lance la billetterie, on vend 1 million de places dans les premiers jours : jamais dans l’histoire des Jeux olympiques, ça ne s’était fait. De même, lorsque nous avons initié le programme des volontaires, nous avons reçu plus de 300 000 candidatures, plus d’un an avant l’ouverture des Jeux. Tous les signaux étaient positifs, sans parler du nombre d’entreprises qui avaient envie d’en être. Mais il fallait surmonter le manque de confiance de beaucoup de gens.

Comment l’expliquez-vous ?

Ces dernières années ont été compliquées : le Covid a contribué à bouleverser notre société. On a vu les tensions sociales monter, une guerre éclater en Europe. Forcément, la dernière ligne droite des Jeux ne s’est pas faite dans un climat de grande sérénité.

Le président du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 a reçu le Grand Prix de L’Express.

Vous vouliez aussi faire des Jeux différents, moins chers, écologiques et inclusifs…

Oui, et en y ajoutant une touche française, mêlant impertinence et des choses un peu folles. La cérémonie d’ouverture en est l’illustration. C’est d’une complexité absolue d’organiser un tel événement sur 6 kilomètres de longueur, avec des milliers d’artistes et des centaines de milliers de spectateurs. Mais, encore une fois, il fallait relever ce défi, parce que la première impression est très importante : dès le premier soir, dès les premières minutes, nous devions envoyer un message fort. Attention, ces Jeux ne ressembleront à aucune autre édition olympique !

Cela vous donne la possibilité de ­capter l’attention du public et de montrer ce dont ce pays est capable. Ça nous a permis aussi d’embarquer des acteurs économiques et de créer un élan fort autour de ces Jeux. Voir, même sous un déluge, cette vasque s’allumer avec Marie-José Pérec, Teddy Riner, puis Céline Dion, qui commence à chanter, c’est une image qu’on gardera pour longtemps : c’est ça, l’audace française ! C’est notre culture, notre tempérament. On est à la fois des pros de l’organisation, mais aussi prêts à aller là où on ne nous attend pas.

Cette cérémonie d’ouverture a été le moment le plus stressant des dix dernières années

Tony Estanguet

Sebastian Coe, organisateur des Jeux olympiques et paralympiques de Londres, en 2012, raconte que ce dont il reste le plus fier, ce sont “toutes les choses qui n’ont pas mal tourné”. Vous pouvez nous dire, à présent, quand est-ce que vous avez eu la boule au ventre pendant ces Jeux ?

Le stress, ça a été la pluie. Pour moi, cette cérémonie d’ouverture a été le moment le plus stressant des dix dernières années, même si on avait anticipé le scénario d’une mauvaise météo. Jamais nous n’avions imaginé un tel déluge : nous étions donc, au cours de cette journée du 26 juillet, en pleine découverte, avec beaucoup de pression. Mais, à la fin, quel fut notre soulagement, en constatant que si on avait pu organiser cette cérémonie dans ces conditions, les Jeux allaient forcément bien se passer, vu le niveau de préparation. Ce soir-là, on a compris qu’on était capables de tout. On nous avait prédit des enjeux de sécurité compliqués, des catastrophes sur les transports… En fait, il y a eu très peu d’incidents à gérer, et les gens ont gardé leur sang-froid parce qu’ils étaient préparés.

Vous aussi, vous dégagiez un calme olympien…

C’était mon rôle de trouver les points d’équilibre dans ces enjeux collectifs. A la fin, il y en a un qui doit trancher, et c’était à moi de le faire, tout en veillant à embarquer tout le monde dans l’aventure.

A chacun sa méthode, mais, pour moi, il était important de montrer une forme de sérénité dans ce projet auquel j’ai toujours cru. Bien sûr, certains moments ont été plus difficiles que d’autres. Le Covid, par exemple. Le jour où les chantiers ­s’arrêtent et que, financièrement, vous ne savez pas si les entreprises vont suivre, ça jette un doute. Pourtant, ce doute a vite été balayé parce que les acteurs ont eu envie d’y croire, plus que jamais.

Moins de deux mois avant les Jeux, le président de la République annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale. Vous avez craint des répercussions ?

Au moment de cette annonce, nous étions dans la phase finale du projet, et ce n’était pas l’heure de tergiverser : il fallait livrer ! Nous étions en mode rouleau compresseur avec un défi immense : organiser 878 compétitions, accueillir 15 000 athlètes de plus de 200 nationalités, servir 13 millions de repas, assurer des retransmissions en direct dans plus de 200 pays… Nous devions rassembler notre énergie : on ne pouvait plus rien changer, même si j’ai toujours essayé de garder de la flexibilité pour être capable de prendre des décisions en cas d’événement grave. En réalité, le climat politique n’a pas eu beaucoup d’impact. J’ai surtout veillé à protéger le projet de toute interférence extérieure. Après l’annonce de la dissolution, j’ai eu une discussion avec le président de la République au sujet des préfets, qui jouaient un rôle opérationnel essentiel, et j’ai obtenu la garantie qu’il n’y aurait pas de changement de personnes pendant les Jeux, une condition indispensable pour assurer la stabilité.

Finalement, vous considérez-vous comme un sportif, un architecte, un chef d’entreprise ou un politique ?

Je ne suis pas sûr de rentrer dans une case ! J’ai adoré cette aventure parce que j’ai vécu plusieurs vies en une. Je suis fier d’avoir été sportif de haut niveau, et je pense que c’est pour ça qu’on est venu me chercher, parce que je connaissais bien les Jeux depuis longtemps, et que ça a apporté une forme d’ADN autour du sport et des valeurs qu’incarnent les athlètes. Mais il a fallu aussi diriger une équipe, aller lever des fonds, travailler aux côtés des responsables du pays. Dans une même journée, j’avais des rendez-vous ­politiques, des rendez-vous avec des acteurs économiques, des rendez-vous où je me retrouvais à parler sécurité, transport, sport, nourriture… Ça a été un raz de marée, avec toujours cette obsession de réussir les Jeux : c’était le défi de ma vie !

Triple champion olympique de canoë, Tony Estanguet s’est coulé au fil des années dans les habits de patron des Jeux de Paris.

Votre premier souvenir des Jeux, c’est à Barcelone en 1992, quand vous accompagnez votre frère, ouvreur sur le parcours de canoë-kayak…

En fait, c’est même plus lointain : je pense à Séoul, en 1988, j’ai alors 10 ans, et j’ai en tête les images de Carl Lewis et Ben Johnson lors du 100 mètres. Et puis, quatre ans plus tard, les Jeux de Barcelone, auxquels j’assiste. Et entre-temps, les Jeux d’Albertville, qui m’ont marqué. J’ai grandi avec les JO et j’ai toujours rêvé d’être un olympien. Mon frère a gagné une médaille à Atlanta, en 1996, et ça reste un souvenir fort. Je pensais être passé par toutes les émotions possibles en lien avec les Jeux. Quand j’ai accepté de m’engager pour Paris 2024, c’était à la fois une évidence parce que c’était mon univers et une reconversion de rêve, mais je ne m’attendais pas à vivre l’émotion que j’ai vécue. La magie a opéré quand on a senti que tout le monde se mettait au service de la réussite des Jeux, comme si ce projet était celui des Français.

La France a rempli ses objectifs en termes de médailles. Mais n’avez-vous pas un petit regret en constatant qu’on a parfois du mal à décrocher l’or…

Je vous trouve un peu dur : les sportifs français nous ont émerveillés et on leur doit beaucoup dans cette impression de réussite des Jeux. Il s’agit d’une génération assez extraordinaire d’athlètes, qui ­personnellement m’a fait rêver. Ils sont capables de gagner dans beaucoup de disciplines, et plus qu’auparavant : le sport français a progressé !

Les objectifs – rentrer dans le top 5 pour les JO et le top 8 pour les paralympiques – ont été atteints. Est-ce qu’on peut encore progresser ? Sûrement, en continuant à voir grand et à être ambitieux, mais notez que nous n’avons jamais récolté autant de médailles d’or ! Dans ma discipline, le canoë-kayak, j’ai vu par exemple Nicolas Gestin gagner une finale olympique avec plus de cinq secondes d’avance, du jamais-vu, alors qu’il participait à ses premiers Jeux ! Les athlètes français ont été au rendez-vous…

… avec des récompenses dans beaucoup de sports…

Oui, 64 médailles dans 27 disciplines différentes pour les JO, voilà un vrai motif de fierté pour la France, qui résume notre diversité sportive. Quand on est un jeune aujourd’hui, on a la possibilité de pratiquer du foot à côté de chez soi, mais aussi beaucoup d’autres disciplines. C’est possible grâce aux fédérations et aux nombreux clubs, éducateurs ou associations dans tous nos territoires… Pour le canoë-kayak, on compte plus de 700 clubs en France et un demi-million de pratiquants. C’est une vraie chance de savoir qu’un peu partout en France, on dispose de ce panel d’activités accessibles. Je salue au passage l’engagement des collectivités locales, qui investissent dans les équipements sportifs ou à travers les subventions données aux associations. Enfin, l’Etat gère le sport de haut niveau. Mais notre force, c’est le sport de loisir où, finalement, on a tous commencé, car, ne l’oublions jamais, on ne naît pas champion. D’abord, on ouvre la porte d’un club et on vient essayer : le judo, l’escrime, le tir à l’arc, le canoë… Si ça se passe bien, on peut ­progresser et peut-être avoir envie de faire de la compétition. Mais, la première étape, c’est d’abord de prendre du plaisir en faisant du sport.

Récemment, les “agitos”, symboles des Jeux paralympiques, qui ornaient l’Arc de triomphe ont été démontés pour être installés devant le Prisme, le nouveau pôle handisport unique, hérité des JO, qui ouvrira ses portes cet hiver à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. La popularité des agitos résume-t-elle le succès des paralympiques ?

C’est peut-être la plus belle histoire de tous ces Jeux : cette rencontre avec les Jeux paralympiques, qu’on organisait pour la première fois dans notre pays. On a pu voir, le samedi 7 septembre, un Stade de France rempli avec plus de spectateurs pour une épreuve de para-athlétisme que pour l’épreuve d’athlétisme, qui s’était tenue trois semaines plus tôt : personne n’aurait misé là-dessus ! Il y a eu un déclic, et on peut en être fiers, mais c’est aussi le résultat de plusieurs années de travail. En 2019, par exemple, on choisit d’avoir le même logo, pour la première fois, pour les Jeux olympiques et paralympiques, alors qu’auparavant il s’agissait de deux identités visuelles séparées, d’équipes distinctes, de sites différents.

Nous avons tout fait pour fusionner autant que possible ces événements, en leur accordant la même ambition, tout en respectant les différences. Ces Jeux paralympiques ont été une claque, ils nous ont transformés et ont certainement modifié notre regard sur le handicap. Au début, on ne sait pas trop comment se positionner, et puis quand on voit le nageur brésilien Gabriel dos Santos Araujo, surnommé “Gabrielzinho”, gagner trois médailles d’or, et quand on l’écoute parler de son histoire, de son handicap, on se dit : quelle force ! Quel exemple pour notre société ! Les Jeux paralympiques de Paris 2024 ont bâti une nouvelle référence.

Ce n’est pas parce qu’on organise les Jeux que ça va forcément transformer le pays

Tony Estanguet

Le portrait de la société française que vous tracez, fracturée avant les Jeux et qui a vibré à l’unisson pendant cet été, va-t-il durer ou s’agissait-il juste d’une parenthèse enchantée ?

Il n’y a pas de phénomène automatique. Ce n’est pas parce qu’on organise les Jeux que ça va forcément transformer le pays. L’important, c’est ce qu’on en fait. On a porté une vision un peu différente, à la fois spectaculaire, mais aussi responsable d’un point de vue de la sobriété, du sens, de l’inclusion. J’ajoute que l’on a porté aussi les ­premiers Jeux paritaires. On s’est donc engagé sur un modèle sociétal qui soit le plus connecté possible aux défis de notre temps. Pour la suite, cela doit être la même chose : ce n’est pas parce qu’on réussit des Jeux olympiques qu’il y a forcément un héritage. Il va donc falloir s’engager et poser des actes. Pour les Jeux paralympiques, regardons comment aller plus loin : comment réduire les ­discriminations pour faciliter l’accès à l’emploi ou aux transports ?

Dans le même temps, nous avons besoin de faire perdurer cette émotion qui a été très intense, et qui, pour moi, a été indispensable. Souvent, on a voulu m’opposer le côté éphémère des Jeux au côté utile des investissements. C’est une erreur, car, à mes yeux, ces deux éléments sont très complémentaires. On a besoin, à l’échelle d’une nation, de vivre ces moments très fédérateurs, très forts, parce qu’ils servent de déclencheurs pour la suite. L’héritage est aussi bien sûr matériel. En Seine-Saint-Denis, ce sont des milliers de logements, des dizaines d’équipements sportifs : c’est un département qui en avait besoin et ça fait beaucoup de sens. Mais il y a aussi un ­héritage immatériel, c’est l’émotion qu’on a vécue, c’est ce regard sur le sport et le handicap, c’est la fierté d’avoir faire rayonner notre pays dans le monde entier. Enfin, l’héritage doit être autour de la pratique du sport. Il faut continuer à accompagner ces clubs de sport qui apportent une vraie valeur ajoutée à notre société. Parce qu’ils permettent cette mixité sociale et forment un espace où on se rassemble. Tous les week-ends, des millions de Français se mobilisent pour participer à des rencontres pour eux-mêmes ou leurs enfants. Quand on prend la somme de tous les sports, c’est le premier tissu associatif de notre pays, porteur de valeurs très fortes.

Sur le plan international, y a-t-il aussi un héritage en termes de soft power français qui va au-delà du sport ?

Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de témoignages reçus de partout à travers le monde sur les retombées des Jeux olympiques ! On a battu des records d’audience aux Etats-Unis, au Japon, en Australie, tous des grands pays qui ont vécu ces JO, qui les ont regardés, avec des retours très positifs. Toutes les enquêtes disent que, à l’international, les gens ont été impressionnés de voir les Jeux de Paris 2024. Tant mieux si ça a contribué à montrer que ce pays est capable de faire des choses exceptionnelles. Certains défis sont des prétextes pour se dépasser, pour accomplir des choses qu’on ­n’aurait pas faites sinon. Ce sont des accélérateurs, qui engendrent de nouvelles façons de travailler.

Le préfet de police me disait n’avoir jamais autant coopéré avec l’armée. Les forces d’intervention spécialisée sont habituellement très séparées, mais elles ont travaillé ensemble pour les Jeux, et elles souhaitent en tirer des enseignements. Sur tous les sujets, on constate que la préparation des Jeux a permis de mettre en place de nouvelles méthodes de travail. Parce que le défi était tellement complexe mais aussi extrêmement motivant ! Si on a réalisé un quasi-sans-faute, ce n’est pas le fruit du hasard ! Ce n’est pas grâce à un coup de baguette magique, mais bien parce que ce pays a fait ce qu’il fallait pour réussir son rendez-vous avec les JO.

Les Jeux olympiques sont censés être apolitiques. En même temps, les pays qui les reçoivent sont là pour défendre leurs valeurs. C’est ce qu’a fait la France cette année en mettant en avant la République et la démocratie. En ce sens, ces Jeux-là ne ressemblent pas du tout à ceux de Pékin en 2008…

Et c’est très bien ainsi… Il est important que chaque édition soit différente ! Les gens se sont dit : ça, c’est la France, et c’est précisément ce que nous voulions. J’assume cette idée et c’est pour ça que j’assume aussi le fait que les Jeux doivent aller ­partout. Le sport est un droit universel : on doit pouvoir développer sa place dans tous les pays du monde. Or, vous le savez, nous ne vivons pas tous sous le même régime. C’est vrai qu’en France on a beaucoup de chance, même si on ne s’en rend pas toujours très bien compte. Chaque pays est différent : il n’empêche que le sport doit garder ce côté apolitique dans le sens où il doit être accessible à tous. Quel que soit le pays, pour moi, les libertés ne sont pas toutes les mêmes. Mais celle de pouvoir faire du sport devrait être universelle. Il n’y a souvent rien de mieux que d’accueillir les Jeux parce que tous les projecteurs se braquent sur vous et, forcément, vous devez défendre une forme d’idéal autour du sport, avec ce sentiment d’ouverture, d’universalité, de partage. Ce n’est pas rien d’accueillir 200 Etats dans son pays. En 2008, je défendais le fait que les Jeux aillent en Chine parce que ce sont 1 milliard de personnes, dont un grand nombre ­d’enfants, beaucoup de gens qui ont été exposés à cette universalité, à la magie et aux émotions du sport, et je pense que ça a eu un impact sur le pays.

Pour finir, un petit conseil pour nos amis américains qui vont accueillir les prochains Jeux olympiques et paralympiques, en 2028, à Los Angeles ?

Capitaliser sur leurs atouts. En France, nous avons réussi notre pari parce que nous avons eu l’audace de rester concentrés sur ce qu’on voulait ex­­primer et de ne pas chercher nécessairement à refaire ce qui avait marché dans le passé. Les Jeux marquent les esprits quand ils sont différents. Souvent, ce qui m’émeut le plus, c’est quand j’ai l’impression de découvrir ou de vivre un moment que je n’avais pas forcément vu ailleurs. Or les Américains savent très bien faire ça : ce sont les pros du show et du divertissement. Ils vont nous surprendre !

Tony Estanguet, né le 6 mai 1978, à Pau, connaît le succès en tant qu’athlète spécialiste du canoë monoplace, devenant notamment trois fois champion olympique (en 2000, en 2004 et en 2012). Après sa retraite sportive, il entre, en 2013, au CIO, puis copréside, avec Bernard Lapasset, la candidature gagnante de Paris aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, dont il dirige le Comité d’organisation.




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