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Affaire Mazan : “Il existe un vide juridique sur la notion de consentement”


“Pour moi, elle était d’accord”. C’est par ces mots qu’Andy R. a tenté, fin septembre, de justifier son acte devant la cour criminelle du Vaucluse. L’homme, accusé avec cinquante autres personnes d’avoir violé Gisèle Pélicot alors qu’elle avait été préalablement droguée par son époux Dominique, évoque pour se justifier un supposé “délire de couple”, comme le rapporte France Info. La “permission” de Dominique Pélicot, présent dans la pièce lors des viols, lui aurait suffi à faire fi des ronflements de la septuagénaire, de son corps inanimé et, bien sûr, de son absence de consentement clair. Le trentenaire n’est pas le seul à tenter ainsi de se dédouaner. “J’ai cru qu’elle était complice” ; “Le consentement, je l’ai pris de son mari” ; “Je ne me suis pas posé la question une seule fois”, ont admis d’autres accusés, plaçant cette question du consentement au coeur de ce procès historique.

Selon la magistrate honoraire Marie-Pierre Porchy, ancienne juge d’instruction, juge pour enfant et vice-présidente du tribunal de grande instance de Lyon, cette affaire, devenue “le symbole du passage à l’acte arbitraire des hommes sur une femme”, pourrait faire durablement évoluer les consciences sur le traitement judiciaire de la notion de consentement. Dans son ouvrage Consentements, les vérités d’un juge, qui sera publié le 24 octobre prochain aux éditions Mareuil, la magistrate évoque largement cette notion et son application dans les affaires criminelles, l’absence de définition claire dans le Code pénal, les conséquences de ce vide juridique pour les accusés et les victimes, et les pistes possibles pour une évolution de la loi. Entretien.

L’Express : Tout d’abord, qu’est-ce que le consentement et comment cette notion est-elle définie par la loi dans les affaires de viols ?

Marie-Pierre Porchy : Ce terme est extrêmement large, et très difficile à définir, puisque le consentement peut être mouvant, multiple, donné puis retiré, accordé sous certaines conditions et pas dans d’autres… Et chacun place son curseur où il le souhaite. Pour certains, tel ou tel comportement et tel ou tel mot indiqueront qu’il y a eu consentement, tandis que d’autres auront une analyse différente. C’est d’ailleurs pour cela que le terme est mis au pluriel dans le titre de mon livre. Le problème, c’est que la loi ne parle pas actuellement du consentement dans le cadre des viols et des agressions sexuelles. C’est bien là toute la question : faut-il ou non inscrire cette notion dans la loi ?

Actuellement, les juges se basent sur la définition du viol comme “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise”. La notion de contrainte comme élément constitutif du viol permet de mettre le projecteur sur le comportement de l’auteur – quelle stratégie a-t-il utilisé pour contraindre et obtenir l’acte sexuel ? – mais en aucun cas sur la notion de consentement – que s’est-il passé dans la tête de la victime et dans le déroulement des faits pour qu’elle rejette l’acte sexuel ? Il existe donc un vide juridique sur la question, et un cri des femmes dans le monde entier pour prendre en compte cette notion. C’est en cela qu’il me semblerait intéressant de changer le texte, qui est aujourd’hui insuffisant. Il serait par exemple intéressant d’évoquer la notion “d’absence de volonté manifeste de participer à l’acte ou l’impossibilité de manifester un accord” comme élément constitutif du viol.

Pourquoi ne pas parler clairement de “consentement” ?

Il y a une image qui me vient : si on utilise uniquement le terme de consentement, ne risque-t-on pas d’analyser uniquement la taille de la jupe d’une victime ? Ou un élément à un moment T de son comportement ? Il sera selon moi assez aisé de retourner cette notion contre la victime. Des accusés diront :”Elle avait une mini-jupe, elle était donc consentante” ; “Elle m’a draguée en premier, elle était donc consentante” ; “Elle a dit oui à un rapport avec préservatif, j’ai donc estimé qu’elle était consentante pour un rapport sans”, et ainsi de suite… Alors que la notion d’absence de volonté manifeste inviterait à prendre en considération un ensemble de faits de manière bien plus large : les actes, les déclarations et le comportement de l’auteur présumé avant, pendant et après les faits, ceux de la victime… Toutes les formes de non-consentement ou de contraintes pourraient ainsi constituer l’infraction – y compris l’impossibilité de donner clairement un consentement.

Dans certaines affaires de viol ou d’agression sexuelle, les accusés évoquent parfois l’existence d’une “zone grise”, et sont persuadés d’avoir obtenu le consentement de la victime – ce que cette dernière réfute. Par manque de preuves matérielles, on entend alors parler du fameux “parole contre parole”. Comment juger ce type d’affaires ?

Quand on instruit ce type de dossiers, il faut justement refuser cette expression du “parole contre parole”. Ce qui compte n’est pas uniquement la parole, mais la mise en perspective de tous les éléments qui permettent d’emporter la conviction dans un sens ou un autre. Quand l’instruction commence et qu’on envisage la mise en examen de quelqu’un, il y a un terme qu’il faut bien retenir : celui de l’existence d’indices graves et/ou concordants. Pour dépasser cette notion de “parole contre parole,” il faut donc beaucoup instruire : aller rechercher des éléments d’enquêtes, faire vérifier les lieux, entendre les témoins, pour aller ensuite dans un sens ou dans l’autre. Le problème, c’est que les magistrats n’ont pas toujours le temps, ni l’envie de le faire. Ces affaires, il faut bien le dire, ne sont pas la passion des juges, qui préfèrent les dossiers de grande délinquance. Beaucoup se disent qu’il y aura un doute quoi qu’il en soit, que l’affaire sera classée, et que cela ne sert à rien.

Récemment, plusieurs dossiers judiciaires – comme l’affaire Mazan – ont mis la lumière sur la notion de consentement, devenue un sujet de société. En quoi ce type de procès peut-il selon vous éveiller les consciences ?

Pour Mazan, il faut dire que le grand mérite de Gisèle Pélicot est d’avoir refusé le huis clos. D’un seul coup, cette femme devient un symbole du passage à l’acte arbitraire des hommes sur une femme, sans qu’elle n’ait jamais pu donner son consentement. D’un point de vue purement juridique, l’absence de la notion de consentement dans la loi n’aura pourtant pas vraiment d’impact dans ce dossier, puisque la notion de contrainte – déjà existante dans les textes – suffira amplement à faire condamner la plupart des accusés.

Dans cette affaire, c’est précisément sur la notion de consentement que certains accusés tentent de se défendre, évoquant avoir obtenu celui du mari, ou ne pas avoir su que Gisèle Pélicot était droguée… Cette position est-elle tenable en droit ?

Avec la loi existante, ce qui sera regardé n’est pas la question du consentement, mais celle de l’intention – la seule des deux à être pour l’instant constitutive du viol. Certains accusés se défendent en indiquant qu’ils n’avaient pas “l’intention de violer”, puisqu’ils ne “savaient pas” que la victime était endormie ou non-consentante. Ce qui pourrait être retenu dans certains cas, notamment pour les vidéos sur lesquelles la victime semble ne pas être tout à fait endormie… C’est là que le contexte est extrêmement important : comme je le disais tout à l’heure, les juges vont devoir prendre en compte la totalité des éléments qu’ils ont en leur possession. Est-ce que la victime avait l’air endormie, peut-on sérieusement penser qu’elle faisait semblant d’être endormie ? Pourquoi était-il demandé aux hommes de se déshabiller à l’extérieur, de ne pas porter de parfum, de ne pas fumer ? Les magistrats vont visionner les centaines de vidéos disponibles, les échanges de messages dont certains évoquent même “le mode viol”, auditionner tous les témoins… Et en tirer des conclusions sur l’existence d’indices graves et/ou concordants dans cette affaire.

Ce type de dossiers permet-il une évolution du traitement judiciaire sur les sujets de viols et d’agressions sexuelles ?

Parfois oui. Pour Mazan, je ne suis pas sûre : je pense que cette affaire dépasse complètement la question juridique et le débat autour de la notion de consentement. On est plutôt sur une question générale du respect de la femme. Pour cette affaire précisément, je ne suis d’ailleurs pas sûre qu’on ait besoin de faire évoluer la loi. Mais je pense que cela provoque une prise de conscience au sein de la société qui est très intéressante.

Vous écrivez justement dans votre livre “croire intimement au pouvoir structurant de la loi sur nos structures mentales”. Une meilleure définition du consentement et du viol dans la loi pourrait-elle selon vous limiter ces actes ?

J’ai la faiblesse de penser que la loi structure en effet nos comportements privés. En définissant des interdits, elle définit nos espaces de liberté. C’est ça qui fait qu’on se repère. Il y a vingt ans, j’ai écrit sur l’absence d’interdit de l’inceste dans la loi, et j’étais intimement persuadée que cela n’était pas un oubli du législateur. C’était le marqueur d’une société qui n’était pas encore prête à accepter que les relations sexuelles entre un adulte et un mineur devaient être fondamentalement interdites et illégales avant l’âge de 15 ans, et avant l’âge de 18 ans dans un contexte incestueux, comme le prévoit la loi de 2021. C’est la même chose pour la notion de consentement : il faut peut-être cette prise de conscience collective pour une évolution de la loi, qui agirait sans aucun doute sur nos structures mentales.




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