Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une augmentation de 89 millions d’euros du budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Soit une hausse de 0,33 %, bien inférieure à l’inflation prévue de 1,8 %. Cette baisse en euros constants des moyens ne permettra pas d’honorer plusieurs des mesures prévues dans la loi de programmation de la recherche adoptée en 2020, comme les revalorisations des primes qui devraient être assurées par les employeurs (universités et organismes de recherche), ni le dispositif des chaires de professeurs juniors. L’Agence nationale de la recherche voit ses crédits augmentés de 120 millions d’euros “d’autorisation d’engagement”, ce qui est moins que prévu – et surtout ne garantit pas leur traduction en “crédits de paiement”. Bref un mauvais budget, qui survient après une année 2024 où les crédits avaient déjà été amputés de près de 3 % en début de période.
Bien sûr, le contexte financier de l’Etat nécessite des mesures de rigueur. Mais en ce qui concerne la recherche, cette rigueur perdure depuis de nombreuses années avec des dépenses publiques ne dépassant pas 0,8 % du produit intérieur brut (PIB), alors qu’en parallèle, les dépenses privées stagnent autour de 1,4 % du PIB. Bien loin de l’objectif de l’Union européenne, affiché à Lisbonne en 2000, d’atteindre au moins 3 % du PIB de dépenses publiques et privées. Nos voisins du nord de l’Europe en sont très proches (Grande-Bretagne, Danemark) ou ont dépassé cet objectif (Allemagne, Suède, Suisse, Belgique). Seuls les pays du contour de la Méditerranée font moins bien tout en se rapprochant de nous.
Une solution pourrait venir d’une bascule d’une partie du crédit d’impôt recherche dont profitent les entreprises (7,5 milliards d’euros) et dont plusieurs rapports récents montrent que, s’il est bénéfique pour les PME, il ne l’est guère pour les grands groupes. Pourtant, le projet de loi de finances 2025 prévoit son maintien en état, alors qu’il s’agit de l’un des dispositifs d’aide à la recherche privée les plus généreux au monde.
Faire perdre à la France une grande partie de son attractivité
Il se trouve que les pays cités précédemment ont tous des performances de recherche supérieures aux nôtres, ce qui immanquablement se traduira en innovation et en progrès économiques dont nous bénéficierons moins. Le niveau de financement n’est pas tout, encore faut-il aussi créer un écosystème favorable, où la recherche fondamentale puisse s’épanouir, où les autorités ont confiance dans les chercheurs (avec un contrôle a posteriori), où la plupart des initiatives viennent des équipes de recherche et ne sont pas décidées d’en haut, où enfin l’administration de la recherche se simplifie. Cet aggiornamento serait possible si nos gouvernants prenaient conscience de l’enjeu et se familiarisaient avec les questions scientifiques.
L’horizon européen est également menacé par la volonté de l’UE de fondre dans une vaste enveloppe les fonds d’innovation et de recherche, regroupement dont on peut craindre qu’il menace les financements spécifiques à la recherche. Ce serait une mauvaise interprétation des recommandations des rapports Tirole et Draghi qui, pour relancer l’innovation technologique européenne “de rupture”, appellent, entre autres mesures, à un meilleur financement de la recherche fondamentale.
Par ailleurs, les avancées en science passent par la confrontation des points de vue et des cultures, ce que permet un large brassage international d’étudiants, de postdoctorants, de chercheurs et d’universitaires. Toute mesure venant à restreindre cette libre circulation est susceptible d’entraver durablement notre potentiel. Ces “migrants intellectuels” ont le choix du pays d’accueil. Ils se détourneraient vite d’un Etat qui élève des barrières même modestes à leur venue. Le projet de demande de caution requis pour l’accueil d’étudiants étrangers envisagé l’an dernier, heureusement abandonné, en constitue un signal avant-coureur dangereux. On peut craindre que, dans la foulée des déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur, des mesures ne soient prises, qui, combinées à un soutien financier insuffisant, fassent perdre à la France une grande partie de son attractivité et donc de sa force. Emettons le vœu que nos dirigeants politiques soient sensibles à ces arguments.
Alain Fischer est président de l’Académie des sciences et cofondateur de l’Institut des maladies génétiques.
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