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Kamala Harris touchée par le syndrome Hillary Clinton ? Les démocrates en mode panique


Le 8 novembre 2016 aurait pu être un mémorable jour de triomphe pour Kamala Harris. A 52 ans, la procureure générale de Californie remporte ce jour-là son premier siège de sénatrice des États-Unis : elle est élue haut la main avec 62 % des voix face à son rival républicain. L’étoile montante du parti démocrate démarre alors sa carrière au niveau national. Hélas, la fête est de courte durée à son QG : quelques heures après l’annonce de sa victoire en Californie, Hillary Clinton reconnaît, elle, sa défaite face à Donald Trump. La toute fraîche sénatrice jette son discours optimiste à la poubelle pour le remplacer par une allocution de huit minutes dans lequel elle répète l’expression “se battre” vingt-six fois.

Huit ans plus tard, Kamala Harris se bat cette fois pour la Maison-Blanche face au même Donald Trump. A deux semaines du vote, le traumatisme Hillary Clinton occupe à nouveau les esprits à mesure que les sondages se resserrent. “Les électeurs indécis ne sont pas encore convaincus par ce que propose Kamala Harris ; il y a pourtant urgence”, pointe William Galston, chercheur à la Brookings Institution. De fait, un vent de panique semble souffler sur les rangs démocrates. Dans les colonnes de The Hill, le stratège démocrate Jamal Simmons, un proche de Kamala Harris, alerte : “Si vous n’êtes pas sur les dents, c’est que vous n’êtes pas attentifs.”

Une campagne presque invisible pendant des semaines

Il y a à peine un mois pourtant, mi-septembre, un grand soleil éclairait la campagne démocrate. La Convention nationale avait couronné Harris sans fausse note, l’enthousiasme des foules était au rendez-vous et la candidate avait battu Trump dans leur premier – et seul – débat de la présidentielle. Une éclaircie en trompe-l’œil, dans une campagne finalement insaisissable. “C’était oublier un peu vite que, jusqu’à son débat contre Joe Biden en juin, Donald Trump avait perdu l’ensemble de ses débats présidentiels, contre Biden comme contre Hillary Clinton, rappelle le politologue américain James Adams. Cela ne l’avait pas empêché de l’emporter en 2016 et de passer tout près de la victoire en 2020.” Depuis lors, les nuages s’amoncellent dans le ciel démocrate.

Mi-octobre, la moyenne des sondages dans les sept Etats clés, ceux qui feront basculer l’élection le 5 novembre, ne donne même pas un point de différence entre les deux candidats. A la même époque en 2020, Joe Biden comptait sept points d’avance sur Trump dans le Michigan, six dans le Wisconsin et quatre dans le Nevada. “Les démocrates peinent encore à rallier les indépendants, qui aimeraient un programme concret et structuré, et seule une poignée de républicains votera pour Harris, malgré la médiatisation de certains ralliements et les doutes qui entouraient les soutiens de Nikki Haley [NDLR : la rivale de Trump aux primaires républicaines]”, soutient William Galston.

La principale erreur identifiée par le camp Harris ? Sa campagne est restée presque invisible pendant plusieurs semaines alors que Trump, lui, saturait l’espace médiatique. Comme Hillary Clinton en 2016, qui pensait qu’il suffisait de laisser le milliardaire républicain accumuler les dérapages pour le couler. Erreur fatale… “Pour Trump, toute publicité est bonne à prendre, rappelle James Adams. Quand il raconte que des migrants haïtiens mangent des chiens et des chats, peu lui importe que ce soit faux ou horrible : on parle de lui pendant des jours ; donc, c’est mission accomplie ! Donald Trump défie les conventions sociales et politiques depuis son entrée en politique voilà neuf ans. Et il est probable qu’il comprenne mieux les racines de sa propre popularité que nous ne le pourrons jamais…”

Kamala Harris dans son “bunker”

Fin septembre, le média Axios avait recensé que, en soixante jours de campagne, le duo Harris-Walz n’avait accordé que quatre interviews, quand le duo républicain Trump-Vance en avait réalisé… soixante-dix ! Peur du dérapage ? La candidate démocrate a parfois reproduit la stratégie “du bunker” adoptée par Joe Biden en 2020 : le doyen de la politique américaine se tenait alors loin des meetings et des interviews, retranché dans sa maison du Delaware. Mais cette présidentielle se déroulait en pleine pandémie de Covid-19 et les électeurs américains connaissaient Biden depuis cinquante ans. Ils savaient à quoi s’en tenir avec ce démocrate centriste et rassurant. Harris, elle, doit encore montrer aux Américains qui elle est et ce qu’elle défend.

Début octobre, la campagne Harris a compris l’urgence de sortir du bunker. La vice-présidente s’est lancée dans un “media Blitz”, une guerre éclair sur les plateaux télés et les podcasts. Des interviews tous les jours, sur toutes les chaînes : l’émission culte 60 Minutes sur CBS, le Stephen Colbert Late Show, l’émission féminine The View ou encore le podcast hyperpopulaire à destination des jeunes féministes Call Her Daddy… La vice-présidente a carrément appelé CNN au débotté (à la Trump, diraient certains) pour critiquer les théories du complot colportées par son adversaire sur l’ouragan Milton, qui s’apprêtait à frapper la Californie.

Le bilan de cette offensive médiatique tardive est mitigé. Dans The View, l’émission préférée des Américaines, sur la chaîne ABC, Harris n’a pas réussi à trouver une seule décision de la présidence Biden qu’elle aurait prise différemment. Ce qui, au vu de l’impopularité de Joe Biden, offre des munitions faciles au camp Trump. Dans 60 Minutes (CBS News), sa réponse sur l’Iran comme “plus grand ennemi des Etats-Unis” n’a pas convaincu, tout comme ses circonvolutions autour des mesures anti-immigration. Pendant ce temps-là, Trump s’est précipité dans les Etats ravagés par l’ouragan Hélène, fin septembre, pour critiquer l’inaction duo Harris-Biden à la Maison-Blanche. Facile, mais payant.

Le spectre d’Hillary Clinton plane plus que jamais sur la campagne de Kamala Harris. Les fantômes du “Blue Wall” se font particulièrement menaçants : dans ces Etats clés industriels du Nord-Est, traditionnellement démocrates et indispensables pour entrer à la Maison-Blanche, la campagne Harris accumule les déboires. Malgré un milliard de dons récoltés au niveau national, la vice-présidente pourrait perdre le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, que Biden avait remportés en 2020 avec respectivement 0,7 %, 2,8 % et 1,2 % d’écart. En 2016, Hillary Clinton avait perdu les trois avec à chaque fois moins de 1 % d’écart… Le mois dernier, la candidate démocrate au Sénat Elissa Slotkin a reconnu en privé que Kamala Harris se trouvait “sous la ligne de flottaison” dans son État du Michigan. Une des raisons : la vice-présidente a échoué à obtenir un large soutien des syndicats, primordiaux dans la région. Elle pourrait en outre perdre le vote de la communauté arabe, très critique vis-à-vis de la politique de l’administration Biden en Israël.

Ce “syndrome Hillary Clinton” est renforcé par une caractéristique évidente de Kamala Harris : elle est une femme. Et une femme noire, dont le père est jamaïcain et la mère indienne. “Cela reste un handicap dans les Etats-Unis de 2024, pointe Jennifer Nicoll Victor, professeure de sciences politiques à l’Université George Mason. Kamala Harris se trouve à l’intersection de deux caractéristiques démographiques, de genre et de race, qui constituent encore des désavantages politiques dans notre pays. En face, la campagne de Donald Trump n’hésite pas à s’appuyer sur des ressorts racistes et sexistes pour l’attaquer.” Une stratégie qui fonctionne en partie : 52 % des hommes voteraient pour Trump, 40 % pour Harris, selon un sondage de NBC.

Le camp démocrate n’a pas oublié sa faillite historique de 2016. Sa convention nationale s’est d’ailleurs ouverte par une vive piqûre de rappel, administrée par Hillary Clinton en personne, le 19 août : “Ne vous laissez pas distraire et ne vous reposez pas sur vos lauriers. Pendant les 78 prochains jours, nous devons travailler plus dur que jamais.” A la tribune, l’ancienne candidate n’a pourtant pas pu s’empêcher de revenir à son obsession personnelle : “En novembre, vous pouvez briser le plus haut, le plus difficile des plafonds de verre en votant Harris.”

Appeler à voter pour une candidate à la présidentielle avant tout parce qu’elle est une femme résonne comme un rappel de son propre échec. “Pendant sa campagne de 2016, Clinton insistait beaucoup sur le côté révolutionnaire d’avoir une femme dans le bureau Ovale, se souvient Jennifer Nicoll Victor. Mais Kamala Harris a retenu la leçon : elle ne dit jamais qu’elle serait la première femme présidente des Etats-Unis ou la première femme noire présidente des Etats-Unis. En cela, son message ressemble bien davantage à celui de Barack Obama qu’à la campagne d’Hillary Clinton : Obama a été élu pour ses compétences et non parce qu’il était un homme noir, plutôt malgré le fait qu’il était un homme noir.”

Ce n’est pas la seule leçon retenue par Kamala Harris. Cette fois, hors de question de négliger des Etats comme le Wisconsin, où Clinton n’avait pas mis un pied pendant la campagne de 2016, ou de ne s’adresser qu’aux électeurs déjà convaincus de CNN ou de MSNBC. Dans cette dernière ligne droite, Harris ose se rendre sur des podcasts populaires et populistes, comme le Howardq Stern’s Show, et même sur Fox News, le temple cathodique du trumpisme. Des prises de risque indispensables au regard des sondages. En espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard.




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