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Les nouveaux drones militaires de Thales, un espoir pour l’armée française : “C’est un game changer”


Leur bourdonnement ressemble à celui d’un essaim de frelons, dont la puissance sonore aurait été multipliée par dix. Sur la base aérienne militaire de Brétigny-sur-Orge, en plein coeur de l’Essonne, huit drones – ornementés pour l’occasion de scotch rose fluo – s’élèvent un à un dans les airs, sous la commande d’une équipe mobile restée au sol. Une fois la zone de recherche et les éventuelles interdictions de survol délimitées par les opérateurs, les appareils se lancent en mode automatique : le système d’intelligence artificielle (IA) et les capteurs haute définition installés à bord des drones leur permettront, en quelques minutes seulement, de réaliser de manière autonome une cartographie 3D extrêmement détaillée de cette zone boisée de plusieurs hectares – élévations réelles des bâtiments et de la flore, détails du relief et chemins accessibles compris.

En ce mercredi 16 octobre, le groupe Thales présente à la presse ses nouvelles solutions technologiques permettant aux drones de voler en essaim, avec différents degrés d’autonomie débloqués par l’intelligence artificielle. Le programme, baptisé “Cohésion”, permet notamment aux appareils de percevoir et d’analyser leur environnement, de partager entre eux des informations sur les cibles potentielles, d’analyser l’intention de l’ennemi, de mettre en oeuvre des tactiques militaires collaboratives ou d’optimiser leur trajectoire. Sous les yeux des spectateurs, trois drones décollent ainsi en essaim dans le but d’infiltrer et d’analyser plusieurs zones de guerre fictives.

Trois minutes après son décollage, l’un d’eux découvre un objet hostile au coeur des bois, potentielle cible à abattre. Il transmet le message au reste de l’essaim, qui dévie de sa trajectoire sans que les équipes au sol n’aient à le commander. Un drone chargé du relais radio se rapproche, un second appareil suspend sa mission pour appuyer son “camarade” avec une munition et une caméra supplémentaire. Au moment de tirer, les équipes au sol reprennent la main, et autorisent l’opération.

“La terreur du fantassin”

Sur le front, ces innovations technologiques peuvent tout changer. “Cela permet non seulement d’accélérer les missions de reconnaissance, mais aussi de créer un effet de saturation avec un essaim qui peut se répartir tactiquement et rapidement de manière autonome, se reconfigurer automatiquement et attaquer massivement sur décision humaine”, résume le général Bernard Barrera, conseiller du groupe Thales. Le militaire est catégorique : en zone de guerre, l’utilisation de tels drones est un véritable “bouleversement”. “Ces appareils sont la terreur du fantassin et du char, parce qu’ils peuvent rentrer très profondément à l’intérieur d’un dispositif ennemi. Optimisés et bien utilisés, ils sont un vrai game changer“, confie-t-il à L’Express. Le conflit russo-ukrainien en est le meilleur exemple : chaque jour, des milliers de drones sont utilisés sur le terrain par les deux armées pour des missions de reconnaissance ou des opérations “kamikazes”, durant lesquelles des explosifs accrochés aux drones explosent dans le camp ennemi. Au point, selon le général Barrera, que “300 appareils” tomberaient chaque jour sur le front.

Les technologies développées par Thales permettraient notamment à la France de rattraper son retard sur le sujet de l’utilisation des drones par l’armée. Dans un rapport d’information publié en 2017, la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées faisait ainsi le constat que “la France, à l’instar des autres pays européens, avait pour une large part manqué le tournant décisif des drones”. Le contexte était alors celui de l’achat en urgence de drones de moyenne altitude et de longue endurance (MALE) Reaper aux Etats-Unis, afin de combler les besoins de surveillance aérienne au Sahel, faute d’une solution souveraine. “En France, nous avons mis l’accent sur le développement de drones plus massifs comme le Neuron de Dassault, furtif et très efficace. Mais en attendant, nous avons pris du retard sur les drones tactiques et les mini-drones, issus du civil et qui sont arrivés sur le marché très rapidement”, résume Cédric Perrin, sénateur (LR) du Territoire de Belfort et co-auteur de plusieurs rapports sur le sujet.

“Reconquête de souveraineté”

“Les Français ne se sont pas intéressés tout de suite à l’utilisation de ces drones civils comme arme de guerre – leur développement a été tellement rapide qu’il y a désormais un retard à combler sur le sujet. Mais c’est maintenant l’une des priorités du ministère et des états-majors”, assure le général Barrera. En mars dernier, le ministre des Armées Sébastien Lecornu indiquait ainsi avoir commandé “2000 munitions télé-opérées [MTO, aussi appelés “drones kamizakes”] de conception française”, dont une partie serait destinée à l’Ukraine. Hasard du calendrier, le ministre a annoncé ce mercredi 16 octobre la mise sur le marché de ces MTO en publiant sur X la vidéo d’un essai réalisé avec “succès”. “Reconquête de souveraineté sur ce segment clé pour nos armées, en moins de deux ans”, a-t-il ajouté, précisant que des livraisons à l’Ukraine et aux forces françaises auraient lieu dans “les prochaines semaines”.

Dans un second rapport d’information publié en 2021, Cédric Perrin et ses co-auteurs assurent en effet que depuis 2019, un “rattrapage capacitaire est en cours” sur l’utilisation des drones dans l’armée. Les forces françaises disposeront de “plusieurs milliers de drones d’ici 2025, contre quelques dizaines seulement il y a quatre ans”, précise-t-il, estimant que “l’accent a été mis sur l’acquisition de drones de contact […], désormais indispensables dans tous les volets de l’activité militaire”. L’autonomisation croissante des drones est également saluée par le rapport, qui prévoit “un développement considérable” de cette dernière grâce aux progrès de l’intelligence artificielle, le développement de la 5G et de la navigation inertielle. Une accélération technologique qui permettra “aux hommes de se concentrer sur les tâches à haute valeur ajoutée […] et de réduire la vulnérabilité des drones et robots au brouillage, dans la mesure où elle supprime la dépendance aux liaisons, nécessaires au télépilotage et à la navigation”, prévoyait déjà le document.

Ligne rouge sur la décision de tuer

Une telle autonomisation sur un terrain de guerre soulève quelques questionnements éthiques. Dès 2013, la possibilité même d’armer les drones entraîne quelques débats, clos en 2017 par la décision de la ministre Florence Parly d’armer ces appareils face à des “menaces de plus en plus variées et pernicieuses”. Selon le rapport rendu par Cédric Perrin en 2021, l’armement des drones MALE Reaper a ainsi “contribué à assurer 58 % des frappes aériennes contre les terroristes au Sahel”. En revanche, la France a très clairement fixé une ligne rouge sur la capacité létale de ces drones : le ministère des Armées exclut de renoncer au contrôle de l’homme en ce qui concerne la décision de tuer.

“La France, contrairement à d’autres pays, suit une doctrine selon laquelle un homme restera toujours dans la boucle en cas de tirs. Cette ligne rouge est également assurée par Thales : le but n’est pas d’envoyer un drone qui aurait la permission de tirer sur tout ce qui bouge, y compris des enfants qui jouent ou des civils qui se baladent”, garantit le général Barrera. Un engagement fort, néanmoins nuancé par le sénateur Cédric Perrin dans son rapport de 2021. “Il existe un risque que nous soyons un jour débordés par nos adversaires si eux décident de s’en remettre totalement à la machine. […] Notons, à cet égard, qu’un récent rapport de l’ONU a fait état, pour la première fois, d’attaques de systèmes d’armes létaux autonomes (SALA) contre des cibles humaines en Libye en mars 2020”.





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