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Voitures électriques : “L’Europe s’est sans doute montrée trop ambitieuse”


Il fabrique des conteneurs permettant de stocker de l’électricité et de recharger les véhicules équipés de batteries. Jean-Christophe Kerdelhué, fondateur et dirigeant de NW, la seule licorne française du secteur de l’énergie, jette un regard objectif sur la transition écologique : sur le déploiement des modèles électriques, l’Europe a sans doute fait preuve d’un peu trop d’ambition, estime l’entrepreneur dont le modèle économique semble résister à tous les aléas. La décarbonation des transports aura bien lieu, car c’est le sens de l’histoire. Mais alors que les constructeurs chinois mettent la pression sur leurs concurrents en présentant leurs nouveaux modèles électriques à l’occasion du salon de l’auto, mieux vaut favoriser l’innovation plutôt que les taxes, juge celui qui vient de lever 430 millions d’euros sous forme de prêts bancaires.

L’Express : A l’image de Luca de Meo, les constructeurs européens invitent Bruxelles à lever le pied sur le déploiement des véhicules électriques. Va-t-on vraiment trop vite en n’autorisant à la vente que des modèles n’émettant aucun CO2 dès 2035 ?

Jean-Christophe Kerdelhué : Je dirais plutôt que nos objectifs sont peut-être trop ambitieux. Dire que l’on va commercialiser 100 % de véhicules électriques à partir de 2035, c’est un engagement fort. En 2020, cela pouvait paraître réalisable. Mais à mesure que l’horizon de temps rétrécit, on se rend compte des difficultés. Entendons-nous bien : je pense que l’électrification se fera. Elle va dans le sens de l’histoire. Le secteur des transports représente 30 % des émissions mondiales de CO2. Il faut donc le décarboner. Le problème, c’est que nous ne vivons pas dans un monde fermé centré sur l’Europe.

En Chine et aux États-Unis, les objectifs en matière de déploiement des véhicules électriques ne sont pas les mêmes, ce qui introduit un différentiel de compétitivité. Les constructeurs européens subissent même une double contrainte, puisqu’ils sont exposés à des amendes si les objectifs climatiques ne sont pas réalisés. Attention donc à ne pas nous tirer une balle dans le pied. D’autant que nous faisons face à d’autres difficultés.

Si on continue de dire aux citoyens que le véhicule électrique coûte plus cher que le modèle à essence pour la recharge, cela ne fonctionnera pas.

Le véhicule électrique a récemment fait l’objet de nombreuses critiques. On peut même parler de désinformation. On nous dit que ce moyen de transport coûte plus cher à recharger qu’un véhicule à essence, ou encore qu’on nous impose le basculement vers l’électrique. Chez NW, les JBox que nous installons partout sur le territoire permettent à nos clients de bénéficier d’un coût de recharge de 5 euros pour 100 km. Un montant nettement inférieur à ce que paient les possesseurs de véhicules thermiques.

Les bénéfices que nous tirons du stockage de l’électricité dans nos conteneurs – un service qui contribue à la stabilité du réseau national et pour lequel RTE nous rémunère – couplés aux recettes issues de nos activités de trading sur les marchés de l’énergie, nous permettent de maintenir des prix avantageux pour nos clients. Mais si on continue de dire aux citoyens que le véhicule électrique coûte plus cher que le modèle à essence pour la recharge, cela ne fonctionnera pas. N’oublions pas non plus ce qu’il s’est passé pour l’éolien. Les premiers modèles ont été installés sans véritable concertation. Il fallait “aller vite”. Le résultat ? Vingt ans plus tard, la contestation reste vive pour une partie de la population. Il faut donc prendre le temps de bien appréhender les problèmes.

Au-delà de la bataille de chiffres sur le coût de la recharge, le prix des voitures électriques reste élevé. Comment faciliter leur adoption dans ces conditions ?

Par le déploiement des services. Je suis persuadé que les constructeurs vont faire des efforts dans ce domaine. En matière de leasing par exemple. De moins en moins de Français achètent des véhicules au comptant. On peut imaginer des offres de location avec assurance ou énergie comprise. Nous voyons bien qu’un constructeur comme Tesla n’est pas simplement un vendeur de voitures mais aussi un fournisseur de services. Cette tendance va se développer. On voit aussi qu’avec ses derniers modèles électriques, Renault donne déjà la possibilité à ses clients de réinjecter l’énergie restant dans le véhicule vers le réseau électrique.

L’autre moyen de favoriser le déploiement des véhicules n’émettant pas de CO2, c’est de poursuivre les investissements en matière d’infrastructures. Les bornes de recharge se développent. Mais on oublie encore souvent les 15 à 20 millions de personnes qui vivent loin des grandes villes, au plus profond de notre territoire. NW s’attaque justement à ce problème puisque nos containers ont vocation à couvrir les zones reculées. En fait, je n’installe pas une station parce qu’il y a du passage mais parce que celui-ci viendra. Et je reste optimiste pour la suite. Peut-être qu’en 2035, l’Europe et la France n’atteindront pas 100 % des objectifs qu’elles s’étaient fixés. Mais au moins, nous sommes loin de l’immobilisme.

Les arbitrages budgétaires ne favorisent pas non plus le passage à l’électrique. Au plus haut niveau de l’Etat, l’économie prime encore sur l’écologie.

On peut s’en sortir sans subvention de l’Etat ou bonus écologique ! NW a réussi à émerger sans avoir recours aux aides gouvernementales. Nous avons effectué deux levées de fonds auprès d’Rgreen, une société d’investissement française, et nous venons d’obtenir un nouvel apport de 430 millions d’euros sous forme de prêt bancaire. Il est vrai qu’en France, il peut être tentant de demander une subvention pour développer une activité innovante. C’est pour ainsi dire une vieille tradition d’avoir recours à ce mode de financement. Mais dans la période actuelle, où l’Etat cherche plutôt à économiser, c’est aussi l’occasion de réfléchir : “Si je n’ai plus le bonus écologique, comment est-ce que je peux faire un produit gagnant pour le client, la planète et l’industrie ?”

C’est en misant sur l’innovation que l’Europe pourra résister. Plus qu’en mettant en place des subventions ou des taxes sur les véhicules chinois. Certes, cette dernière mesure peut se comprendre si on regarde ce qu’il s’est passé sur les panneaux solaires. Il y a vingt ans, les Allemands et les Américains dominaient ce marché. Aujourd’hui, la Chine n’a plus de rival en la matière. Mais taxer s’apparente à une politique de court terme. Battons-nous avec nos armes. Nous avons un pays extrêmement créatif. Dans mon activité, les fabricants de batterie sont chinois. Mais notre société a développé tous les logiciels d’interface avec le réseau. Cette propriété intellectuelle, nos concurrents ne l’ont pas. C’est ce savoir-faire qu’il faut développer et protéger à l’échelle européenne.




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