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Salaires : ce mythe tenace qui freine l’égalité hommes-femmes


Nous sommes en 2015. L’actrice Jennifer Lawrence, révélée par la saga Hunger Games et interprète de l’imprévisible Rosalyn dans le film American Bluff (2013), prend la plume pour la newsletter féministe branchée de Lena Dunham, créatrice de la série Girls. L’actrice y revient sur la découverte, à la faveur du piratage historique des données de Sony Pictures en 2014, du fait que ses camarades de jeu masculins dans American Bluff, Bradley Cooper et Christian Bale, étaient en fait largement mieux payés qu’elle. “Je n’étais pas en colère contre Sony, écrit-elle. J’étais en colère contre moi-même. J’avais échoué en tant que négociatrice parce que j’avais abandonné trop tôt”. A l’époque, certains commentateurs interprètent l’épisode comme l’illustration flagrante de ce que nombre d’ouvrages répètent inlassablement depuis des décennies : à savoir que les inégalités salariales entre les hommes et les femmes s’expliqueraient notamment par le fait que ces dernières “n’oseraient pas demander”.

A rebours du best-seller Women don’t ask : Negotiation and the gender divide (2003) ou du non moins connu Lean In, de la businesswoman Sheryl Sandberg (2013), trois chercheuses postulent dans une étude intitulée “Now, women do ask : a call to update beliefs about the gender pay gap” (publiée dans la revue Academy of Management Discoveries, 2023) que cette idée ne serait tout simplement plus d’actualité… Du moins, dans les faits. Car dans l’imaginaire collectif, la croyance demeure. Laura J. Kray, Margaret Lee (Université de Californie) et Jessica A. Kennedy (Vanderbilt University), ont ainsi demandé à un groupe de plusieurs centaines d’individus représentatif au niveau national d’estimer la part de femmes et d’hommes issus d’un programme de MBA (Master of Business Administration, un diplôme dans le domaine de la gestion et du management d’entreprises) qui auraient négocié leur offre d’emploi. En moyenne, le groupe pensait que 64 % des hommes avaient agi ainsi, contre 47 % de femmes. Laura J. Kray et ses coauteures ont ensuite examiné la propension réelle de femmes et d’hommes détenteurs d’un MBA qui ont effectivement négocié, en se penchant sur les questionnaires soumis à 990 jeunes diplômés (entre 2015 et 2019) par une administration universitaire. Résultat : 54 % des femmes ont déclaré avoir négocié contre… 44 % chez les hommes. Selon les chercheuses, “il est possible que les messages populaires des deux dernières décennies encourageant les femmes à s’affirmer davantage aient contribué à combler, voire à inverser, les écarts historiques entre les sexes en matière de propension à la négociation”.

Inégalités salariales

Les femmes demandent, mais les femmes obtiennent-elles gain de cause pour autant ? D’après un sondage réalisé auprès de plus de 2 000 anciens élèves de MBA mis en évidence dans l’étude, les femmes étaient certes plus nombreuses à déclarer avoir demandé une rémunération plus importante que les hommes, mais elles étaient également plus susceptibles de dire que les négociations s’étaient soldées par un échec.

Faut-il comprendre que les femmes échouent effectivement davantage que les hommes, ou seraient-elles simplement plus enclines que ces derniers à reconnaître un échec… Toujours est-il que les inégalités salariales demeurent. Comme le rappellent les chercheuses, des études portant sur les titulaires d’un master en administration des affaires ont montré que les femmes gagnent 88 % de ce que gagnent les hommes après avoir obtenu leur diplôme, et seulement 63 % dix ans plus tard. Laura J. Kray admet cependant auprès de L’Express ne pas avoir étudié si les résultats de l’étude (à savoir que les femmes négocient plus que les hommes) varient en fonction des différents secteurs professionnels.

Mais le travail des trois chercheuses est néanmoins éclairant à plus d’un titre. Celles-ci ont tenté de donner une estimation du moment auquel les femmes se sont effectivement mises à négocier plus que les hommes par le biais d’une méta-analyse. Ce qui, de façon surprenante, ne serait pas tout récent. “Il est possible que la différence entre les sexes ait disparu vers 1994, puis se soit inversée à partir de 2007, et cette tendance semble avoir continué à s’accentuer depuis lors”, écrivent les auteures. Autrement dit : si, par le passé, les hommes ont pu faire état d’une plus grande propension à négocier que les femmes, la tendance se serait inversée bien avant la publication de nombreux best-sellers validant le modèle du “women don’t ask” (les femmes ne demandent pas).

Selon les chercheuses, continuer à soutenir cette idée serait donc non seulement inexact mais aussi délétère, notamment car celle-ci accroît les stéréotypes de genre, “même concernant des aspects sans lien avec la négociation”. “Le stéréotype positif des hommes négociateurs légitime leur succès, perçu comme bien mérité et justifié. Le stéréotype négatif sur les femmes négociatrices laisse à penser qu’elles méritent ce qui leur arrive”, écrivent-elles. Les dernières expériences menées pour cette étude suggèrent par ailleurs que la perception erronée selon laquelle les femmes négocieraient moins que les hommes contribuerait à une plus grande justification du système, ainsi qu’à un soutien plus faible à une législation pour l’équité salariale. “Les femmes semblent disposées à faire leur part pour combler l’écart [avec les hommes], étant donné qu’elles sont de plus en plus nombreuses à entamer des négociations, mais cela ne suffit pas”, concluent les auteures. Incitant les chercheurs et la société en général à “réfléchir différemment aux leviers qui pourraient avoir un impact significatif sur l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes”…




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