L’électrocardiogramme de la campagne présidentielle américaine aura montré de nombreux pics de fréquence. Mais aucun n’aura été suffisamment important pour plier l’élection. Voilà la moitié du mois passée, et toujours pas de “surprise d’octobre”, ces événements qui essoufflent les candidats sur les derniers mètres de la course à la Maison-Blanche. Affaires de corruption, mensonges d’Etat, prises d’otages, attentats, catastrophes climatiques, crises financières, et scandales en tout genre. La “surprise d’octobre” peut revêtir pléthore de formes.
L’expression remonte au début des années 80, et a été pour la première fois utilisée publiquement par William Casey, le directeur de campagne de Ronald Reagan alors candidat du Grand Old Party (GOP). “J’ai bien peur que Jimmy Carter nous réserve une surprise d’octobre”, lâche à la presse William Casey. Nous sommes à l’été 1979. Le camp républicain craint que le président des Etats-Unis, candidat à sa réélection, attende la toute fin de la campagne pour libérer les 52 otages retenus depuis un an par l’Iran. Un succès diplomatique qui aurait été perçu par l’opinion publique comme un coup de maître, et aurait pu créer autour du président sortant un effet d’halo susceptible d’assurer sa victoire.
Mais la libération n’ayant été acceptée par le régime des mollahs qu’au début de l’année 1980, Jimmy Carter n’a pas pu bénéficier d’un tel état de grâce aux derniers instants de la campagne. In fine, c’est donc Ronald Reagan qui a pris ses quartiers dans le bureau Ovale. Il faut toutefois attendre 2004 et la vidéo inédite d’Oussama Ben Laden, pour qu’un candidat – John Kerry en l’espèce – tienne publiquement pour responsable de sa défaite une surprise d’octobre. “S’il n’a jamais été scientifiquement établi que le candidat démocrate ait perdu à cause de cette October surprise, il est vrai que les attentats ont tendance à pousser les électeurs à voter pour le parti conservateur”, concède Françoise Coste, professeure de civilisation américaine à l’Université de Toulouse.
La perte d’influence de l’October surprise
Ce précédent est-il toutefois suffisant pour tirer la conclusion suivante : un attentat perpétré à la veille du scrutin, suffirait-il à garantir l’élection de Donald Trump ? Selon, Lauric Henneton, maître de conférences à l’université Versailles St-Quentin-en-Yvelines, pas nécessairement. “En 2017, un attentat a eu lieu quelques jours avant une élection en Angleterre, et le parti conservateur, qui pensait élargir sa majorité, l’a en fin de compte perdu”, pointe-t-il. Ce, pour une raison simple. Dans des sociétés dans lesquelles la polarisation tend à s’accroître, des événements qui, autrefois, avaient l’effet de véritables électrochocs, voient leur impact s’affaiblir.
Double tentative d’assassinat contre Donald Trump, retrait de Joe Biden de la course à la Maison-Blanche, phénomènes climatiques extrêmes avec l’arrivée début octobre des ouragans Helene et Milton. Ce, sans compter la grève des dockers. Aussi nombreux, et significatifs soient-ils, les événements qui ont émaillé la campagne présidentielle américaine ces derniers mois n’ont jusqu’alors pas réussi à faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. “Depuis quelques années, on est entrés dans une sorte de campagne permanente : boules puantes et révélations se font non-stop et surtout, n’attendent pas les dernières semaines de la campagne pour être dégainés”, décrypte Françoise Coste.
La primauté du réflexe partisan
Ainsi, bien que pertinente jusqu’au début des années 2010, la notion d’October surprise semble comme dépassée en raison du triple effet combiné du lissage du temps, de la polarisation de la société américaine, mais aussi de la crise de défiance à l’égard de l’information. “On a atteint un tel degré de polarisation que les électeurs sont campés les pieds bien enfoncés dans leur camp, observe depuis trois élections présidentielles Françoise Coste. Si un scandale éclate demain, il y a très peu de chances que les électeurs modifient leur vote, parce que le réflexe partisan prime sur l’analyse comparative des programmes”.
En outre, une déconnexion entre le réel et la perception des événements par les électeurs semble avoir été actée ces dix dernières, dopée par un scepticisme croissant à l’égard des institutions étatiques, des oppositions politiques et de la presse traditionnelle. “Si une vidéo de Donald Trump dansant dans une fête néo-nazi sort sur les réseaux sociaux ou dans les médias, il y a de fortes chances pour que ses partisans n’y accordent pas le moindre crédit, ils agiteront simplement le fait qu’il s’agisse d’une vidéo truquée par l’intelligence artificielle, ou d’un coup monté du camp démocrate”, estime le spécialiste Lauric Henneton.
Trump, “l’intouchable”
De façon plus générale, de nombreux observateurs s’accordent sur l’imperméabilité du candidat républicain vis-à-vis des October surprise. “Quoi que Donald Trump fasse, ça ne suffira pas à démobiliser son électorat, assure Anne Deysine, professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, juriste et américaniste, auteure de l’ouvrage Les Etats-Unis et la démocratie (éd. L’Harmattan). Il suffit de remonter à 2016 et à ses propos orduriers à l’encontre des femmes, qui n’ont guère eu d’impact sur le scrutin puisqu’il a été élu face à Hillary Clinton”.
D’autant que contrairement au miliardaire, la candidate démocrate d’alors bénéficiait d’un soutien nettement inférieur au sein même de son électorat. “L’affaire des courriels a beaucoup plus pesé sur le scrutin parce que Hillary Clinton était très impopulaire aux Etats-Unis”, rappelle Lauric Henneton. Raison pour laquelle cette surprise d’octobre pourrait avoir coûté à l’ancienne sénatrice son élection, “d’autant que le scrutin était très très serré”, insiste Françoise Coste. Aussi, moins le candidat parvient-il à susciter auprès de son électorat une forte adhésion, plus ses chances de voir sa candidature s’effriter sont grandes. Kamala Harris, qui pendant ses quatre années à la vice-présidence a souffert d’un déficit patent de popularité, survivrait-elle à une October surprise ? Rien n’est moins sûr.
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