Il était une fois une civilisation qui s’était confortablement installée dans un fauteuil. L’Occident. A l’orée du XXIe siècle, elle vivait dans la certitude douillette de “la fin de l’Histoire” : c’était écrit, nos principes allaient diffuser partout dans le monde du fait de l’attractivité de l’Etat de droit d’une part, et de la société de consommation d’autre part. Mais depuis quelques années, l’Histoire semble de nouveau souffler par rafales à nos fenêtres.
Bourrasques géopolitiques, d’abord : l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le pogrom du Hamas en Israël, la spectaculaire montée en puissance de la Chine – dont on n’a pas encore mesuré la bascule qu’elle constituait -, les rodomontades du “Sud Global” etc. Ces pressions multiformes exercées “du dehors” attestent que les sociétés libérales avaient pris leurs rêves pour des réalités. A l’échelle globale, la démocratie ne va pas bien et n’a pas le vent en poupe : l’attrait incontestable que nous offrons d’un point de vue matériel est désormais contrebalancé, dans la propagande anti-Occident, par la mise en avant de nos faiblesses politiques et des effets repoussoir de la “postmodernité”.
A la menace exogène s’ajoute une menace endogène : depuis quatre décennies, l’essor de la mondialisation – qui impose ses contraintes de l’extérieur – combiné à l’avènement de l’individualisme – dont les aspirations sans limite brouillent les repères depuis l’intérieur – mettent nos sociétés sous fortes tensions.
L’Occident dans son intégralité traverse une crise de la démocratie, dont on peine à pronostiquer les conséquences. C’est le philosophe Marcel Gauchet qui le résume le mieux : “Plus personne ne remet vraiment en cause le régime en lui-même mais, dans le même temps, plus personne ou presque ne comprend ce qu’il faut pour qu’il fonctionne. Nous vivons dans une démocratie sans démocrates. Nous n’assumons plus le ‘nœud’ qui lie étroitement des choses qui coexistent difficilement et qui doivent pourtant aller ensemble, la liberté des personnes, avec la contradiction des points de vue qu’elle implique et la nécessité de prendre des décisions ensemble qui s’imposent à tous. On s’aperçoit que la démocratie n’est pas seulement ‘le pire régime à l’exception de tous les autres’ pour reprendre la fameuse formule de Churchill, mais surtout le plus difficile à faire fonctionner.”
Spectacle consternant
Cette crise dans la démocratie peut-elle se résoudre par un mécanisme d’ajustements aiguillonnés par les urnes ? C’est un scénario qui implique des décennies de jeu électoral – en gros : alternance entre coups de boutoirs “populistes” et correction, en réponse, des libéraux. Mais les urgences diverses qui nous assaillent laisseront-elles le temps à ces adaptations au long cours ?
Demeure un scénario plus optimiste : l’émergence “par fatigue” devant le spectacle consternant qu’offre la vie publique dans tous nos pays, d’une génération d’entrepreneurs politiques comme il en a existé par le passé, qui ont su prendre conscience des nouveaux problèmes qui se posaient à eux. Il était une fois une civilisation qui allait devoir se lever de son fauteuil, se secouer les jambes, mobiliser son sens de l’Histoire et son intelligence.
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