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Abroger la réforme des retraites avec le RN : à gauche, chronique d’un cas de conscience


Un combat électoralement consensuel vaut-il mieux qu’un principe moral et identitaire – potentiellement – incompris ? Rien à dire : en ce début de semaine, la gauche a l’air bien “embêtée” – dixit le député écologiste Benjamin Lucas. Voilà un peu plus d’un mois qu’elle voit débouler le problème, avec l’enregistrement en septembre par le Rassemblement national, dans le cadre de leur niche parlementaire du 31 octobre, d’une proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites. Le temps file, si vite… Il presse désormais en vue de son examen en commission des affaires sociales, ce mercredi. Si le Nouveau Front populaire n’a eu de cesse de dénoncer la “manœuvre grossière” des frontistes, les parlementaires se seraient franchement passés de ce cas de conscience.

Car la difficulté à appréhender la contradiction entre ce double totem, ciment de l’union des gauches – le barrage républicain d’un côté, et l’abrogation de la réforme des retraites de l’autre – reste entière, et continue de traverser les groupes parlementaires. “Nous, députés de gauche, sommes tiraillés entre deux injonctions contradictoires”, souffle Benjamin Lucas, pas très emballé à l’idée de voter ce texte. Son collègue Emmanuel Maurel, assumant de longue date de soutenir la PPL synthétise le débat : “Chez nous, il y a ceux qui considèrent que le contenu est plus important que l’émetteur, et ceux qui considèrent que l’émetteur est plus important que le contenu.”

Jusqu’au bout, la gauche aura tenté de doubler le Rassemblement national dans sa quête d’abrogation de la réforme des retraites. Lundi, les commissaires du Nouveau Front populaire imputent un procès en insincérité aux frontistes après que ces derniers se sont opposés à leurs amendements, déposés dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale… Le chef de file du RN, Thomas Ménagé, arguait alors que ces amendements “ne servaient strictement à rien à part augmenter les cotisations”.

Le risque d'”induire l’idée que le RN peut faire des choses bien”

La gauche entière en a donc profité pour mener une ultime offensive de communication, dénonçant “l’imposture” de l’initiative portée par le RN. François Ruffin qualifie les frontistes de “Tartuffe” ; Mathilde Panot, elle, tente le retournement de stigmate en repatouillant un ancien visuel du RN : “En commission des Affaires sociales, les députés RN votent contre… l’abrogation de la réforme des retraites !”. “Nos amendements explicitaient des recettes. Leur opposition cache un débat de fond : peut-être sont-ils favorables à la retraite par capitalisation, ou à la retraite à 66 ans ?”, feint de s’interroger l’Insoumis Paul Vannier. Une bataille de récits, à date, peu fructueuse pour la gauche, contrainte d’affronter des lendemains houleux.

Le RN peine, en tout cas, à bouder son plaisir. Qu’importe la posture adoptée, le piège semble se refermer sur la gauche entière, membre de facto de cette majorité de rejet contre la réforme. Ceux qui oseront approuver cette proposition de loi se verront accusés de “normaliser” l’extrême droite. Et ceux qui s’y opposeront passeront, eux, sous les fourches caudines des lepénistes… Le plan com’ du parti à la flamme est bien rodé. Ici, un site mis en ligne ces derniers jours afin que les administrés puissent “interpeller les députés”, pour “respecter les engagements pris devant les électeurs”. Là, quelques visuels déjà conceptualisés sur InDesign, y intégrant progressivement – au rythme des révélations des positionnements des députés – les visages des futurs opposants de gauche à la PPL. Certains tracts sont déjà prêts à l’envoi sur les réseaux sociaux, ou à la distribution en circonscription… Comme ceux frappés des portraits d’Élise Leboucher, Jean-Hugues Ratenon ou Damien Maudet, commissaires aux affaires sociales insoumis, en cas d’opposition en commission mercredi. “Je les appelle à réfléchir, ricane Thomas Ménagé, vice-président RN de la commission des Affaires sociales. En vue de la prochaine dissolution, d’ici neuf à dix mois, il faudra être intelligent…”

Certains ont fait le choix de clarifier la situation au plus vite. “On a arrêté de se prendre la tête avec cette histoire”, assure un cadre du Parti socialiste, alors que certains députés avaient exprimé quelques atermoiements lors du dépôt de la proposition de loi. Dans un communiqué datant du 24 septembre, les roses ont rappelé un principe : “Nous ne votons ni ne nous associons à aucune initiative du Rassemblement national. En juillet dernier, nous avons toutes et tous été élus dans le cadre du front républicain. Nous restons fidèles à notre ligne de conduite et aux conditions de notre élection.” Les députés PS ne prendront pas part au vote, le 31 octobre. “Comment explique-t-on aux gens qu’il faut faire barrage si on induit l’idée que le RN peut faire des choses bien ?” interroge le député socialiste Laurent Baumel.

Révolution

Cette question de la “jurisprudence” traverse l’intégralité de la gauche. Sauf qu’elle peine toujours à trouver des réponses. Dans les travées du Palais Bourbon, les groupes parlementaires multiplient les réunions. Après avoir lui-même changé d’avis plusieurs fois, le président communiste du groupe GDR, André Chassaigne, l’assume : “Notre groupe est partagé. Dans l’évaluation de notre groupe mardi, c’est du 50-50. Certains ne souhaitent pas faire sauter la digue où, pour la première fois, on voterait un texte du Rassemblement national. Et il y en a d’autres, dont je suis, pour qui on ne peut pas ne pas voter ce texte.” Les membres bénéficieront de la traditionnelle liberté de vote. Le groupe Écologiste et Social “continue de discuter”. En leur sein, on dit les ex-frondeurs LFI, et notamment François Ruffin, “très chauds” à voter la proposition du Rassemblement national…

Les Insoumis sont largement divisés en interne. Certaines figures, cette semaine, s’étaient prononcées favorablement pour cette PPL, à l’instar d’Aymeric Caron ou Alma Dufour – qui s’était défendue d’avoir dit qu’elle voterait contre. Les députés n’ont cessé d’en discuter ces derniers jours. Une dernière réunion avait lieu mardi soir : on jure que le groupe s’est mis d’accord… tout en souhaitant rester discret sur la stratégie.

Ces atermoiements constituent en soi une révolution copernicienne au sein de l’union des gauches. Envisager de voter une loi du RN aurait-il été possible, sous la précédente législature ? “Ce serait clairement un renversement du principe qui animait la Nupes”, souffle la députée communiste Elsa Faucillon. D’autant qu’en l’absence de groupe parlementaire RN au Sénat, l’abrogation n’a aucune chance de faire la navette entre le Palais Bourbon et celui du Luxembourg. Et donc d’être réellement adoptée. “D’un point de vue juridique et législatif, on peut entendre cet argument. Mais les gens ne le comprendront pas” assume un cacique du RN, conscient de l’issue plus qu’incertaine de la démarche. Un soutien coûteux, pour une portée symbolique… à double tranchant. Un bilan somme toute peu rentable, alors que les Insoumis défendront, le 28 novembre durant leur niche parlementaire, leur propre proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites.




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