Cette chronique raconte la petite et la grande histoire derrière nos aliments, plats ou chefs. Puissante arme de soft power, marqueur sociétal et culturel, l’alimentation est l’élément fondateur de nos civilisations. Conflits, diplomatie, traditions, la cuisine a toujours eu une dimension politique. Car, comme le disait déjà Bossuet au XVIIᵉ siècle, “c’est à table qu’on gouverne”.
Depuis toujours, Donald Trump applique sans relâche une règle simple : occuper tout l’espace, à n’importe quel prix. Son équipe de campagne a mis en scène, dimanche 20 octobre, le candidat républicain dans un restaurant McDonald’s de Pennsylvanie, fermé pour l’occasion, tablier autour du cou, servant des frites à des clients triés sur le volet par le Secret Service. Ce grand consommateur de fast-food – et aussi de Diet Coke -, qui donne des sueurs froides à tous les diététiciens américains, accuse Kamala Harris de mentir sur son passé d’employée au sein de cette chaîne de restauration rapide. Dans les médias américains, personne n’a jusqu’ici pu établir la véracité des faits…
Mais ce n’est pas ce qui intéresse Donald Trump. Pour lui, l’objectif de ce coup de com’ est atteint : s’afficher aux côtés de l’Amérique populaire qui travaille, dans un Etat-clé de la Rust Belt [NDLR : ceinture industrielle du nord du pays], indispensable à sa victoire le 5 novembre. Le candidat républicain reprend aussi à son compte l’emblème de l’American way of life (le McDo) et son plus célèbre sandwich (le hamburger).
300 hamburgers servis dans des assiettes en argent
Il est vrai que rien n’arrête Trump lorsqu’il a l’occasion de dévorer une aile de poulet frit ou un sandwich dégoulinant de ketchup. Quelle ne fut pas la surprise des vainqueurs du championnat universitaire de football américain lorsqu’ils débarquèrent en 2019 à la Maison-Blanche pour fêter leur titre et qu’ils trouvèrent dans la salle à manger de la résidence officielle du président des Etats-Unis un gigantesque buffet de… gras : frites, pizzas et près de 300 Royal Cheese et Big Mac servis dans des assiettes en argent. Si la Maison-Blanche n’est pas habituée à offrir des montagnes de fritures – encore moins à des sportifs censés faire attention à leur régime alimentaire -, Donald Trump s’est justifié par l’absence des cuisiniers restés à la maison pour cause de “shutdown”.
“C’est moi qui paye […] Je pense qu’ils vont préférer ça à tout ce que nous aurions pu leur offrir. […] Je veux voir ce qui restera quand on sera parti, mais je crois qu’il ne restera pas grand-chose”, fanfaronne-t-il. Interrogé sur son fast-food préféré, le magnat de l’immobilier esquive : “Si c’est américain, j’aime ça. Tout est américain.” “Plutôt McDonald’s ou Wendy’s ?”, insiste un journaliste. “Je les aime tous. Que des bonnes choses, de la super nourriture américaine !”, lance-t-il sans un mot sur le fléau de l’obésité qui touche une frange importante de la population américaine. Son amour inconditionnel pour la viande l’a même poussé par le passé à lancer sa marque (“Trump Steaks”) qui va connaître un échec retentissant… “Il n’y a rien de plus américain et de plus populaire que le fast-food […] Il peut être à bord de son jet à plusieurs millions de dollars et en même temps manger du KFC – et ce qui rend tout cela parfait, c’est qu’il le fait avec un couteau et une fourchette, tout en lisant le Wall Street Journal“, affirme Russ Schriefer, stratège et publicitaire républicain au New York Times.
Great afternoon in Ohio & a great evening in Pennsylvania – departing now. See you tomorrow Virginia! pic.twitter.com/jQTQYBFpdb
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) August 2, 2016
Preuve de l’importance du fast-food au sein de la société américaine, l’actuel président Joe Biden s’est retrouvé au cœur d’une polémique liée aux burgers en 2021. Un cercle de conservateurs, repris par des membres républicains du Congrès, des éditorialistes de Fox News et d’autres personnalités de la droite, a lancé l’idée que le président allait réduire de 90 % la consommation de viande rouge des ménages américains d’ici à 2030, au nom de la lutte contre le changement climatique. Soit l’équivalent d’un hamburger par mois ! Une fake news largement partagée sur les réseaux sociaux aux Etats-Unis.
Coffe devient l’homme qui a dit “non” à Carter
Barack Obama a lui aussi usé la carte politique du fast-food. Fraîchement élu en 2009, il se rend dans un Five Guys, claironnant qu’il s’agit des “meilleurs burgers du monde”. L’année suivante, alors que le président russe, Dmitri Medvedev, est en visite à Washington, le président américain s’offre une pause avec son homologue au Ray’s Hell Burger. Salade, tomate, oignons, pickles pour le locataire de la Maison-Blanche de l’époque. Oignons, poivrons verts mexicains et champignons en version épicée pour le chef du Kremlin. En 2001, à son départ de la présidence après deux mandats, Bill Clinton, connu pour son amour immodéré pour les hamburgers, a été contraint de subir un quadruple pontage coronarien. “Les choses auraient peut-être été différentes si je n’avais pas mangé autant de hamburgers et de steaks, et si j’avais eu moins de stress dans ma vie”, confie-t-il à la chaîne ABC, avant d’adopter un régime totalement végétalien.
L’histoire des Etats-Unis regorge d’anecdotes gastronomiques sur le régime des présidents. George H. W. Bush, locataire de la Maison-Blanche de 1989 à 1993, amateur invétéré de hamburger et de couenne de porc grillée, déclare en mars 1990 : “Je n’aime pas le brocoli. Je ne l’aime pas depuis que je suis petit garçon. Ma mère me forçait à en manger. Maintenant je suis président des Etats-Unis et je ne mangerai plus de brocoli.” Janvier 1979, Jimmy Carter, lui aussi fan de burger, se retrouve à Saint-François en Guadeloupe avec le chancelier allemand Helmut Schmidt, le Premier ministre britannique James Callaghan et le président français Valéry Giscard d’Estaing. Lors de ce séjour, le chef français Jean-Pierre Coffe a été missionné pour assurer les repas officiels. Dans son autobiographie Une Vie de Coffe, il raconte ce moment gastronomique avec le président américain dans son hôtel de luxe : “Je propose une coupe de champagne et leur présente la carte. Après en avoir pris connaissance, ils commandent trois hamburgers. Je rétorque que mon restaurant est français, que ma cuisine est française. Sans un mot, les Carter se lèvent et quittent les lieux. Dehors, une troupe de paparazzi les attend. Crépitements des flashs, explications, le lendemain, je suis à la Une, ou presque, de la presse américaine, et même mondiale. Mon surnom ? “L’homme qui a dit non à Carter”.”
Le hamburger vient… d’Allemagne
Bien avant d’envahir l’Amérique et le coeur de ses présidents, le steak haché cru était consommé en Russie sous l’appellation “steak tartare” en référence aux Tatars, ces nomades de Mongolie. En revanche, les historiens n’ont jamais vraiment tranché sur l’origine du premier burger. Certaines sources parlent d’une genèse dans la revue anglaise Art of cookery made plain and easy en 1747. D’autres racontent que c’est un boucher de Hambourg, en Allemagne, inspiré par le tartare, qui va avoir le premier l’idée de faire griller des steaks de viande hachée, servis avec des oignons et une sauce brune, raconte Marcelle Ratafia dans son livre Street food, Histoires et recettes de la cuisine de rue (éditions Marabout, 2024). Au XIXe siècle, des milliers de personnes traversent l’Atlantique afin de fuir la Révolution de mars qui éclate au sein de la Confédération germanique. Lors de la traversée sur le paquebot, ils vont manger des steaks hachés cuits dans du pain “dans le style de Hambourg”.
Reste que sa démocratisation n’aura pas lieu avant l’avènement d’une technologie américaine en 1870 : le hachoir à viande qui permet d’écouler à l’époque le boeuf un peu passé, détaille Elisabeth Debourse dans son livre American Appétit. Voyage dans le ventre des USA (éditions Nouriturfu, 2023). Mais en 1905, une enquête d’Upton Sinclair, intitulée The Jungle, va lever le voile sur les dessous peu ragoûtants des abattoirs de Chicago et provoquer un électrochoc au sein de la société américaine. Progressivement, l’industrie de la viande se structure et les Etats-Unis développent une hygiène draconienne. La première chaîne de burgers américains (White Castle) voit le jour en 1916. Alors que l’industrie automobile connaît parallèlement un essor sans précédent, Richard “Dick” et Maurice “Mac” McDonald ouvrent dans les années 1940, le long d’une route californienne, un petit stand très facilement accessible en voiture. Les deux frères vont considérablement bouleverser le système d’organisation des cuisines, appliquer les théories du “fordisme” et, sans le savoir, chambouler la restauration mondiale. Aujourd’hui, le fleuron américain pèse près de 25 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans le monde, et compte 41 822 établissements sur la planète, dont 1 560 en France.
La tendance du burger “gourmet”
Preuve de son succès planétaire : tout le gratin de la cuisine mondiale réserve maintenant une place de choix au burger sur ses cartes. Lors de la pandémie de Covid-19, le Noma de René Redzepi, élu plusieurs fois meilleur restaurant du monde, a transformé son restaurant en bar à vin et… hamburger à l’été 2020. En Espagne, moins d’un mois après avoir gagné une troisième étoile au guide Michelin, le chef Dani Garcia a fermé son restaurant étoilé pour y vendre des hamburgers à la place. Aux Etats-Unis, Daniel Boulud, le chef français le plus célèbre de New York, a créé “l’Original DB Burger” dans son établissement gastronomique de Park Avenue, lançant ainsi la tendance du “burger gourmet”. Sa recette : une épaisse boulette de surlonge hachée, enroulée autour d’une viande braisée au vin rouge qui enveloppe un morceau de foie gras sur un lit de laitue frisée et de confit de tomates. Le tout dans un pain de pomme de terre brioché garni de parmesan, de poivre concassé et de graines de pavot. En France, Anne-Sophie Pic, Yannick Alléno, Alain Ducasse et Hélène Darroze, tous triplement étoilés, ont eux aussi tous succombé au juteux marché du burger…
Donald Trump, qui n’a jamais montré d’intérêt quelconque pour cette “gourmétisation” du fast-food, a en revanche toujours suscité de nombreux doutes sur son poids réel. Au cours de l’humiliante séance de photo d’identité prise l’an passé dans la prison en Géorgie lors de son inculpation, le candidat républicain a été autorisé à fournir lui-même ses données anthropométriques. Sa taille : 1m90. Son poids : 97,5 kilos. Sur les réseaux sociaux, beaucoup d’anonymes affirmant peser 98 kilos ont réagi en publiant un cliché d’eux-mêmes, les montrant nettement plus sveltes que le milliardaire. Certains semblent convaincus que son poids réel est vraisemblablement plus proche de 115 ou 120 kilos. En janvier 2018, le médecin de la Maison-Blanche avait assuré que le président mesurait précisément 1m90 et pesait 108 kilos, soit une différence de 10 kilos. Donald Trump, que l’on voit rarement faire de l’exercice physique, aurait-il donc décidé d’être raisonnable ?
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