Dans le monde moderne, la pauvreté reste une question complexe, souvent définie et mesurée de différentes manières selon les contextes sociaux et politiques. Alors que certains la perçoivent comme une réalité financière absolue, d’autres considèrent la pauvreté en termes de qualité de vie globale. Parallèlement, le libéralisme économique, et particulièrement sa version néolibérale, est souvent accusé de creuser les inégalités. Mais si l’on observe les tendances globales, ce modèle économique a surtout permis à des millions de personnes de sortir de la pauvreté, en particulier dans des pays auparavant considérés comme en voie de développement.
La pauvreté est un terme omniprésent, mais dont la définition varie largement. On parle parfois de pauvreté absolue lorsque les individus ne disposent pas des ressources nécessaires pour satisfaire leurs besoins de base en alimentation, santé, et logement. À l’échelle mondiale, cette définition se traduit par le seuil de pauvreté fixé à 1,90 dollar par jour par la Banque mondiale. Cependant, de nombreux pays adoptent aussi des définitions de pauvreté relative, en prenant en compte des indicateurs comme l’accès à l’éducation, les conditions de logement et les inégalités locales de revenus. En Europe, par exemple, on considère comme pauvres les ménages dont les revenus sont inférieurs à 60 % du revenu médian de la population.
Deux personnes vivant avec le même revenu dans deux contextes différents peuvent connaître des conditions de vie radicalement distinctes. La pauvreté, doit être comprise comme l’incapacité de participer pleinement à la société et de se projeter dans l’avenir avec des perspectives d’amélioration. Ainsi, notre analyse ne se limite pas à l’aspect financier, mais explore les dimensions de la santé, de l’éducation et de l’accès aux services publics, qui influencent fortement les perspectives d’amélioration des individus.
Politiques d’ouverture économique
Depuis les années 1980 avec l’avènement du néolibéralisme, de nombreux pays ont adopté des politiques d’ouverture économique, de privatisation et de dérégulation des marchés. Ces changements ont suscité des critiques, souvent fondées sur l’idée que le libéralisme exacerbe les inégalités. Pourtant, les données montrent que la mondialisation et la croissance économique associée ont permis une réduction significative de la pauvreté mondiale. Selon les chiffres de la Banque mondiale, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté extrême a chuté de près de 1,9 milliard en 1990 à environ 700 millions en 2023 et ce malgré une croissance de la population mondiale.
La République populaire de Chine est l’exemple le plus frappant de cette dynamique. Sous l’impulsion des réformes économiques entamées à la fin des années 1970 par Deng Xiaoping, la Chine a progressivement intégré les mécanismes du marché dans son économie planifiée. L’ouverture au commerce international et aux investissements étrangers a permis au pays d’afficher des taux de croissance économique élevés sur plusieurs décennies. En conséquence, plus de 800 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté absolue. Ce succès n’aurait pas été possible sans une adhésion partielle aux principes de libéralisation économique, qui ont permis au pays de moderniser ses infrastructures, de stimuler la production industrielle, et de renforcer la productivité agricole.
Sentiment de frustration
Le libéralisme est souvent critiqué pour ses effets sur les inégalités. Dans de nombreux pays dits développés, la croissance économique ne s’est pas toujours accompagnée d’une redistribution équitable des richesses entre les différents acteurs économiques. Les écarts de revenus se sont creusés, alimentant un sentiment de frustration parmi les classes moyennes et défavorisées. Cet écart est notamment mesuré dans les pays de l’OCDE, avec une évolution en presque trois décennies. Dans les années 80, les 10 % les plus riches dans les pays de l’OCDE gagnaient sept fois plus que les 10 % les plus pauvres : ils en gagnaient près de dix fois plus en 2018.
Ainsi, l’accentuation des inégalités ne veut pas dire forcément qu’il y a une augmentation de la pauvreté puisque ce qui importe est l’évolution de la richesse de l’ensemble de la population. Aux États-Unis, la concentration de la richesse entre les mains de quelques-uns est fréquemment mise en avant comme la preuve que le modèle libéral aggrave les disparités. Pour autant, leur PIB par habitant, soit la richesse produite en moyenne par chaque Américain, a augmenté de manière conséquente de 48 570$ en 2008 à 81 695$ en 2023 selon la Banque mondiale. De plus, pour être plus représentatif de la population, le salaire médian, soit le salaire que touche au moins 50% de la population, a fortement augmenté. Selon BLS (the Bureau of Labour Statistics), Il est passé de 32 390$ par an en 2008 à près de 48 060$ par an en 2023 soit +48% de hausses de salaire sur la période.
Nous pouvons nous féliciter qu’en moins de vingt ans, plus d’un milliard de personnes soient sorties de la pauvreté grâce à une croissance économique développée pendant l’ère néolibérale. Cette prouesse inédite dans notre Histoire montre que le libéralisme conduit à une hausse des inégalités mais peut réduire la pauvreté. Ce processus d’enrichissement permet non seulement de relever le niveau de vie global, en entrainant un nivellement par le haut de l’ensemble de la population.
*William Thay est président du think-Tank indépendant Le Millénaire, spécialisé en politiques publiques. Hugo Spring-Ragain est analyste des questions économiques pour le Millénaire.
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