Devant la 17e chambre du tribunal de Paris, porte de Clichy, il n’est pas difficile de distinguer les visages des soutiens d’Elias d’Imzalène. Ce sont les mêmes que l’on croise lors des manifestations pour la Palestine. Arborant leur keffieh, ils se rassemblent ce mercredi 23 octobre devant la salle 422. Il est 13h30, la salle est presque pleine. Les policiers nous font entrer. Fondateur du site Islam & Info, l’influenceur islamiste, de son vrai nom El Yess Zareli, se retrouve au tribunal du fait de ses déclarations lors de la manifestation du 8 septembre à Paris. J’avais filmé son appel à l’intifada dans Paris et diffusé la vidéo sur X.
L’association LEA (Lutte pour l’égalité dans l’antiracisme), une organisation universaliste et laïque, a porté plainte pour incitation à la haine et à l’antisémitisme. D’Imzalène a été placé en garde à vue le 22 septembre. Le lendemain, le tribunal de Paris m’a contacté ; je m’y suis rendu pour remettre l’ensemble des vidéos et témoigner. J’ignorais alors qu’un mois tard, j’allais recevoir tant de menaces de la part de son entourage.
L’angle de défense principal de d’Imzalène s’est concentré sur le caractère pacifique d’Urgence Palestine. Conseiller politique de ce mouvement, il a assuré qu’aucune violence n’a été constatée depuis la création de l’association, qui appelle régulièrement à manifester depuis le 7 octobre 2023. Cela prouve, selon lui, le pacifisme de ses propos, ainsi que le caractère non belliqueux du terme”intifada”. Plusieurs appels à la haine ont pourtant été entendus au cours des manifestations. Le 15 octobre, place de la République, Omar Alsoumi, dirigeant de cette association, a appelé à la “résistance armée du peuple palestinien”. Le rassemblement s’est terminé par une attaque contre un restaurant McDonald’s rue du Temple, où plusieurs manifestants ont tenté de brûler le local. Le 27 septembre, des manifestants ont scandé en arabe “On te supplie, Hassan Nasrallah, va encore plus loin”. Ce jour-là, Urgence Palestine a appelé à la libération de Georges Abdallah, terroriste libanais reconnu coupable du meurtre de deux diplomates, l’un américain et l’autre israélien, à Paris en 1982. Le 5 octobre, lors d’une manifestation à l’occasion du premier anniversaire du massacre du Hamas, Omar Alsoumi a aussi déclaré : “Ils pensaient avoir écrasé notre résistance, mais aujourd’hui encore, à Gaza, les hommes de la résistance et les enfants de cette terre affrontent l’armée coloniale génocidaire et continuent de faire tomber, avec leurs armes, les chars de l’armée coloniale. Nous sommes aux côtés de cette résistance.” Juste à côté, une femme portait une pancarte indiquant “La Shoah de Gaza : Hitler a été stoppé dans sa folie ? Alors stoppez Netanyahou. Israël, État sadique”.
“On va parler dehors”
La juge a ensuite fait diffuser deux vidéos de la manifestation du 8 septembre, en citant mon nom, accompagnées de mon témoignage dans lequel j’accuse d’Imzalène de créer un chaos islamique en France. Il s’est défendu en se présentant comme un militant pour la paix et le vivre-ensemble, affirmant que certains de ses amis sont juifs et qu’il lutte pour le bien de tous, en tant que citoyen français, se concentrant sur la cause palestinienne et la justice. J’ai alors croisé des regards tendus et hostiles. A mes côtés, un jeune homme m’a demandé si les propos de d’Imzalène me dérangent. Ne voulant pas répondre, il m’a lancé avec agressivité : “On va parler dehors”. Pendant la pause, j’ai dû supporter des insultes (“connard”, “bâtard”, “on va le retrouver”…). De retour dans la salle, les avocats de d’Imzalène comme ceux des parties civiles citent mon témoignage. Un homme, régulièrement présent lors des manifestations pour la Palestine et connu comme garde du corps de Rima Hassan, se bagarre avec les policiers qui finissent par l’expulser de la salle. L’avocat de d’Imzalène prend ensuite la parole pour m’accuser d’appartenir à l’extrême droite.
“C’est un génocide, et avec les génocidaires, il y a des complices ; ils s’appellent Biden ; ils s’appellent Macron. Le voleur des élections, on connaît les voleurs qui habitent à l’Elysée. Est-ce qu’on est prêt à les virer, eux aussi ? Est-ce qu’on est prêt à amener l’intifada à Paris ? Dans la banlieue, dans nos quartiers. Pour leur montrer que la voix de la libération vient de nous.” Pour justifier ces propos tenus le 8 septembre, d’Imzalène a accusé les avocats de Léa d’être ignorants sur le sujet, assurant qu’ils n’avaient pas fait un travail de document suffisant. Selon le militant fiché S, les moteurs de recherche comme Google, ainsi qu’un site comme Wikipédia, seraient islamophobes car ils ne mettent en avant que l’aspect violent du mot “intifada”. Pour lui, il s’agit d’un soulèvement pacifique, cohérent avec les valeurs de la République française, et qui peut même passer par les élections démocratiques.
Evacué par quatre policiers
D’Imzalène s’est également défendu en insistant sur le fait qu’il faisait référence à “la guerre des pierres”, des enfants palestiniens ayant jeté des pierres contre les soldats israéliens à Gaza et en Cisjordanie. Ces enfants ont été présentés dans les médias arabes comme des héros. Mais en réalité, ce terme a été utilisé pour la première fois, pour décrire la révolte populaire palestinienne, dans un communiqué du Hamas diffusé à Gaza le 11 décembre 1987. Contrairement à ce qu’affirme d’Imzalène, la révolte n’avait rien de pacifique : 1 000 Palestiniens ont été tués par le Hamas, accusés d’être des “agents” d’Israël, ainsi que 160 Israéliens, soldats et civils. Cette première intifada a, pour le Hamas, représenté un exercice militaire lui permettant de développer ses armes. Elle a duré jusqu’en 1993, avec la signature des accords d’Oslo. Bien que cet accord était le préalable à un État palestinien, le Hamas ne l’a jamais accepté, notamment du fait du statut de Jérusalem.
En 2000, le Hamas a déclenché la deuxième intifada, avec des attentats-suicides commis pour faire exploser des restaurants et des bus en Israël. Le Hamas a également détruit 50 chars Merkava de Tsahal. Ces actes ont été niés par d’Imzalène, qui s’est concentré sur le fait qu’un enfant palestinien, Mohammed al-Durah, avait été tué aux côtés de son père, répétant que l’intifada n’était qu’un soulèvement pacifique. C’est ainsi qu’il a justifié son hommage, lors de la manifestation du 8 octobre, à ceux qui renversent les Merkava aujourd’hui, insistant sur le fait qu’il s’adressait aux enfants palestiniens qui résistent à la colonisation israélienne. Pourtant, les seuls qui le font aujourd’hui sont les brigades d’Izz al-Din al-Qassam, la branche armée du Hamas.
L’avocat d’Imzalène a pris la parole à la fin du procès. Tout comme son client, il s’est concentré sur l’aspect linguistique de l’intifada. Il a reproché aux avocats des parties civiles d’être ignorants de la langue arabe, et m’a également accusé de donner un sens religieux à ce mot. En sortant du procès à 22h, les partisans d’Imzalène me font signe : “On t’attend dehors”. Un sentiment de grande solitude m’envahit, celui d’être un individu seul face aux dizaines de militants prêts à régler leurs comptes avec un traître et apostat. Les forces de l’ordre perçoivent l’ambiance violente. Après avoir attendu quinze minutes pour que les soutiens du “militant pour la paix” d’Imzalène partent, quatre policiers me font exfiltrer par une autre porte, et m’accompagnent jusqu’au métro. Sans doute un avant-goût de l’intifada pacifiste et démocratique vanté par Elias d’Imzalène…
* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.
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