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Un temple juif à la place de la mosquée al-Aqsa, ce projet qui fait trembler le monde


Comme chaque matin, après s’être immergé dans un bain rituel, le rabbin Elisha Wolfson se rend au mont du Temple, l’esplanade des Mosquées. Comme tout non-musulman, il y accède par la porte des Maghrébins, qui surplombe le Mur des Lamentations, dans le quartier juif de la vieille ville de Jérusalem. Autour de ce vigoureux trentenaire aux yeux clairs et à la barbe fournie se pressent une dizaine d’Israéliens. Une majorité de sionistes religieux identifiables à leur kippa tricotée, mais aussi deux orthodoxes en redingote noire et un traditionaliste sépharade accompagné de son fils. “Le petit va bientôt être bar-mitsva [NDLR : 13 ans, la majorité religieuse]. Je voulais qu’il grimpe sur le mont du Temple avant qu’il ne soit reconstruit”, glisse malicieusement ce père de famille venu de Sdérot, une ville populaire proche de la bande de Gaza.

Avant d’emprunter la passerelle de bois qui mène à l’esplanade, le groupe doit écouter les consignes du policier encadrant la visite. “Interdiction de vous éloigner du groupe. Interdiction de brandir un drapeau d’Israël et, surtout, interdiction de prier”, prévient l’agent. Ces consignes s’inscrivent dans le statu quo en vigueur depuis la conquête de l’esplanade des Mosquées par Israël lors de la guerre des Six-Jours, en juin 1967. Le lieu saint musulman se trouvait jusqu’alors sous contrôle jordanien. Soucieux d’éviter toute confrontation avec le monde islamique, les Israéliens confient l’esplanade au Waqf, une fondation musulmane chargée d’administrer les mosquées. Le statu quo stipule que les juifs peuvent visiter l’esplanade à des horaires précis mais doivent s’abstenir d’y pratiquer toute forme de culte. Jusqu’à ces dernières années, cette règle était strictement respectée. Des employés du Waqf surveillaient attentivement les mouvements des lèvres des juifs et exigeaient leur expulsion à la moindre prière clandestine. Les choses ont bien changé.

En ce matin de septembre, l’esplanade baigne dans une lumière envoûtante. Sur la droite se dresse la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam. Sur la gauche, l’édifice emblématique de Jérusalem : la sublime Coupole du Rocher, dorée à l’or fin. “C’est exactement à cet endroit que se trouvait le saint des saints, l’endroit le plus sacré du Temple de Jérusalem”, nous explique Elisha Wolfson. Le groupe s’oblige à longer les contours de l’esplanade afin d’éviter de profaner les vestiges du deuxième temple, jadis centre spirituel du judaïsme, détruit en l’an 70 par l’empereur romain Titus.

Après quelques minutes de marche, toujours cornaqués par la police israélienne, les fidèles juifs s’assoient sur un muret face à la Coupole du Rocher. Ils prononcent des prières à haute voix, en violation du statu quo. Mais la police ne dit rien et les hommes du Waqf ne se montrent pas. Radieux, le rabbin Wolfson prononce son allocution quotidienne. Filmée au téléphone portable, elle sera diffusée aux milliers d’abonnés du groupe WhatsApp “Connectons-nous au Temple”. “Dieu nous dit : ‘Si vous n’êtes pas véritablement reliés à cet endroit, alors cela veut dire que vous n’êtes pas complètement certains de ne pas être des voleurs.’ Récemment, j’ai entendu Ofer Winter – que Dieu fasse qu’il dirige bientôt l’armée d’Israël –, qui disait que si nous ne venons pas ici avec la force de la Bible, alors nous sommes des voleurs. Nous n’avons rien à faire ici”, assène le rabbin.

“Le Temple est la source de toute notre identité”

Ofer Winter. L’hommage rendu par le rabbin Wolfson à ce général de brigade, héraut de la droite sioniste religieuse et candidat au commandement suprême de Tsahal, en dit long sur la porosité entre le pouvoir israélien et les visiteurs du mont du Temple. Ces derniers disposent désormais de solides relais au sein du gouvernement. A commencer par Itamar Ben Gvir, le sulfureux ministre de la Sécurité nationale. Le 13 août dernier, lors du 1 954e anniversaire de la destruction du Temple – un événement commémoré chaque année par des millions d’Israéliens –, Ben Gvir est monté sur l’esplanade d’où il a publié une vidéo retentissante sur son compte X : “Je constate de très beaux progrès dans l’application de notre souveraineté ici. Notre politique consiste à permettre la prière [des juifs].” Une déclaration aussitôt qualifiée de “provocation inacceptable” par les chancelleries occidentales. Ce jour-là, le record d’affluence a été battu : plus de 2 000 Israéliens ont foulé l’esplanade. Déjà plus de 50 000 visiteurs pour l’année 2024. Du jamais-vu.

“Nous assistons à un véritable réveil du peuple d’Israël, qui commence à se reconnecter au mont du Temple”, se félicite Ofira Halevy, une journaliste de Maariv qui récolte régulièrement plus de 100 000 vues sur les vidéos de son compte TikTok consacré au Temple. Pas particulièrement pratiquante, cette Israélienne d’origine yéménite constate un engouement populaire inédit autour de l’esplanade et de la reconstruction du Temple. “L’ambiance a complètement changé ces dernières années. Les juifs n’ont plus peur de manifester leur attachement au mont du Temple, de prier, de chanter, de brandir des drapeaux d’Israël. C’est essentiel, car le Temple est la source de toute notre identité, et je suis convaincue qu’il nous permettra de surmonter toutes nos divisions.”

Les visites militantes sur l’esplanade visent à ancrer dans l’opinion israélienne l’urgence de reconstruire le troisième temple de Jérusalem en lieu et place des mosquées. Jusqu’au début des années 2010, ce projet mobilisait une poignée d’exaltés. Aujourd’hui, une foule d’organisations citoyennes œuvrent concrètement pour hâter la reconstruction du sanctuaire. Financée par de richissimes mécènes, l’association Third Temple ambitionne de coordonner toutes les initiatives : conception des plans architecturaux, formation des futurs prêtres, résolution des questions juridiques, etc. Le site Thirdtemple.org revendique 620 000 visiteurs uniques dans le monde entier, dont près de 130 00 en Israël et 50 000 aux Etats-Unis. Il est disponible en cinq langues (hébreu, anglais, français, russe et espagnol). “A ce stade, notre priorité est de sensibiliser le maximum d’Israéliens au sujet du Temple. J’entends par là l’opinion publique mais aussi les décideurs politiques, qui doivent prendre des mesures concrètes pour permettre la construction du troisième temple “, confie à L’Express l’un des principaux financiers du mouvement, sous couvert d’anonymat.

L’arrivée de vaches rousses à Tel-Aviv

En septembre 2022, une drôle de nouvelle a euphorisé le petit milieu des activistes du troisième temple. Un avion en provenance du Texas a atterri à l’aéroport de Tel-Aviv avec, dans ses cales, cinq vaches parfaitement rousses. Historique, l’arrivée des bovins en Israël a donné lieu à une vibrante cérémonie religieuse dans un des hangars de l’aéroport. Car l’obtention d’une vache rousse, sans le moindre poil d’une autre couleur, constitue un préalable essentiel à la reconstruction du Temple. Selon le texte biblique, les cendres de la vache rousse forment la base d’une mixture dont les fidèles doivent obligatoirement être aspergés avant de pénétrer dans l’enceinte du Temple. Actuellement, les vaches sont placées sous bonne garde à Shilo, une implantation juive de Cisjordanie où se dressait jadis un sanctuaire hébraïque. “Il subsiste encore quelques problèmes religieux à régler pour sacrifier les vaches et procéder à la purification, mais cela pourrait se faire très rapidement. Cela marquera une étape cruciale vers la reconstruction du Temple”, affirme l’historien Haïm Berkovits, très au fait du dossier.

L’élevage des vaches rousses au Texas a été financé par des évangélistes américains. Le soutien de ces groupes politico-religieux tient une place centrale dans le dispositif du troisième temple. Aux Etats-Unis, la cause compte des partisans au plus haut niveau. Un temps prétendant à la Maison-Blanche, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, s’affiche régulièrement aux côtés d’activistes du troisième temple. En 2014, il était monté sur l’esplanade en compagnie d’un membre du Congrès, Andy Harris, qui avait déploré “l’accès si limité et la discrimination contre les juifs par rapport aux autres religions pour visiter le mont du Temple”. Proche des milieux évangélistes, David Friedman, ambassadeur des Etats-Unis en Israël sous Donald Trump, s’efforce de plaider la cause auprès du milliardaire. “Il essaie de convaincre Trump de monter sur le mont du Temple avant l’élection présidentielle. Nous travaillons aussi avec les Américains pour tenter de convaincre les Saoudiens de permettre la reconstruction du Temple”, confie le financier anonyme.

Toute cette agitation n’échappe pas aux Palestiniens. La défense d’Al-Aqsa devient même le principal combat des groupes armés, comme l’indique le nom de l’attaque du 7 octobre, baptisée “Déluge d’Al-Aqsa” par le Hamas. Le soir même des massacres, Ismaïl Haniyeh, le chef de la branche politique du mouvement, assassiné depuis par Israël, déclarait dans un discours télévisé : “Nous les avions prévenus et nous avons prévenu tout le monde de ce qui se passe à Jérusalem et dans la mosquée Al-Aqsa. Nous leur avons dit : ‘Ne jouez pas avec le feu. Ne franchissez pas la ligne rouge.'” En janvier dernier, pour les cent jours de la guerre à Gaza, une vidéo d’Abou Obaïda, un des porte-parole du Hamas, démontrait une parfaite conscience de l’avancée du projet : “Ils ont introduit la vache rousse pour concrétiser un mythe religieux détestable”, accusait le militant islamiste.

Quand on interroge les activistes du troisième temple sur les risques d’une déflagration mondiale, ils formulent systématiquement le même type de réponse : “Le Temple est une œuvre de paix. Il permettra d’unifier toutes les nations vers un même but : vivre en harmonie avec la volonté divine. Nous ne devons pas avoir peur”, assure Ofira Halevy. En attendant, les tensions autour d’Al-Aqsa font trembler le monde.




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