Les plus jeunes ne s’en souviennent peut-être pas, mais les Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio (une quinzaine de tomes de 1987 à 2015) furent un immense succès en librairies (ainsi qu’à la télévision et au théâtre grâce à Jean-Michel Ribes). Cet ancien de Charlie Hebdo et de Hara-Kiri avait eu la bonne idée de récolter les perles lancées par les habitués des zincs des bistrots, lieu de catharsis par excellence, traits d’esprit pleins de bon sens ou répliques un rien vulgaires. “La Chine, elle est millénaire, et ils nous vendent des chaussettes qui durent même pas une journée !”, “Vous savez, la mort, ça va, ça vient”, “Léonard de Vinci, le téléphone, la télé, la radio, il a rien vu venir !”. Bref, cet observateur épicurien était tout désigné pour nous offrir son Dictionnaire amoureux des cafés (Plon).
Soit près de 700 pages vaguement nostalgiques sur la France des PMU, des ballons de blanc matinaux, du menu “ouvrier”, du baby-foot, du flipper, du juke-box, du 421 et des “un-dernier-pour-la-route”. C’est que de 200 000 estaminets en 1954, on est passé à 30 000 aujourd’hui, s’émeut l’auteur qui pointe les vertus d’intégration du café de quartier ou du village. Comme dans tout bon dictionnaire, on apprend du vocabulaire : “Pousse tes abats !” signifie “Tire-toi !” ; “rhabiller les mômes”, “en remettre une” ; “se faire la cerise”, “se tirer sans payer ou sans remettre sa tournée”; “être en apnée”, “passer des heures accrochés au zinc”; ” être réchaud”, “rallumer sa cuite de la veille”… Certaines entrées intriguent, comme “Aaaaaaah !”, lorsque ouvre enfin le café suivi de “Quand même !”, “Attention à la marche”, “Chaussures à bascule” pour une personne ivre ne tenant plus débout ; ou “René Descartes”, du café Le Descartes, rue Thouin à Paris et son “Je suis au café, donc je suis”.
Gourio est intarissable, il peut vous parler sans fin du coup de lavette, du percolateur, du limonadier, des œufs durs, du vin de facteur… le tout en citant Aragon, Apollinaire, Verlaine, Queneau, Perec, Simenon, Fallet, Blondin ou encore Zola. Il peste aussi, contre le smartphone, “petit écran lumineux, froid, malin, hypnotique, irrésistible et ravageur” et contre la fin, en 1981, de l’opération “boissons pilotes” bloquant le prix du café, du verre de vin ou d’un bock de bière, “brin d’égalité entre les comptoirs des villes et ceux des campagnes, entre les cafés riches et les cafés pauvres”. En fait, Gourio sait tout. On conclura par cette belle figure de rhétorique de Raoul Ponchon, poète rabelaisien : “Quand mon verre est plein, je le vide ; quand mon verre est vide, je le plains.” A lire sans modération.
Dictionnaire amoureux des cafés, par Jean-Marie Gourio. Plon, 684 p., 28 €.
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