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H.R. McMaster, ex-stratège de Trump : “D’une certaine façon, Biden a donné son feu vert à Poutine”

Stratège, historien militaire, enseignant à Stanford, commandant en Irak et en Afghanistan, le général Herbert Raymond (dit H. R.) McMaster a passé trente-quatre ans au service de l’U.S. Army avant d’entrer à la Maison-Blanche au poste clef de conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Avec ce dernier, les relations furent fraîches dès le départ. C’est ce qui apparaît dans En guerre contre nous-mêmes (en mission dans la Maison-Blanche de Trump)*, le dernier ouvrage du “général intello” qui s’est fait connaître par ses écrits autant que par ses faits d’armes. En 1997, il avait publié Dereliction of Duty (“Manquement au devoir”), l’un des ouvrages les plus lus par les officiers du Pentagone. Il y expliquait que la guerre du Vietnam n’avait pas été perdue au combat ni dans la presse mais à Washington, par les mauvaises décisions du président Lyndon B. Johnson, de son cabinet et de l’état-major militaire.

Spécialiste du “red teaming”, qui consiste à “penser comme l’ennemi”, et inventeur du concept de “narcissisme stratégique” – la propension des Etats-Unis à ne voir le monde qu’à travers son propre prisme –, le jovial McMaster a la réputation de dire les vérités qui dérangent. Recruté par Trump en 2017, l’apolitique “H. R.” n’a pas tardé à agacer son nouveau boss, qui le trouvait “condescendant”. Avec les généraux Jim Mattis (ministre de la Défense) et John Kelly (chef de cabinet), McMaster faisait partie de ceux que l’on a appelés les “adults in the room” et qui servaient de garde-fous au président républicain. Cela n’a guère duré : au bout de treize mois, Trump s’est débarrassé de son conseiller à la réputation impeccable qui, par ailleurs, tient Barack Obama (2008-2016) pour le grand responsable du déclin américain sur la scène géopolitique.

L’Express : Les Etats-Unis dominent-ils encore le monde, comme au temps de la guerre froide ?

H.R. McMaster : L’Amérique reste une superpuissance mais rappelons qu’elle n’a jamais “dominé le monde”. Aujourd’hui sa capacité de dissuasion est clairement amoindrie : les Etats-Unis n’ont pas découragé la Russie d’attaquer l’Ukraine ni empêché le déclenchement des hostilités au Moyen-Orient. Il faut bien comprendre que le concept de “dissuasion” se résume à une équation simple : c’est la capacité militaire d’un pays multipliée par sa volonté de se battre. Or nos adversaires sont arrivés à la conclusion que notre volonté de se battre se situait proche du zéro. Ceci est en partie lié à l’auto-défaite que nous nous sommes infligé en Afghanistan et à notre retrait humiliant de Kaboul en 2021. Il y a en effet un lien direct entre cette démonstration de faiblesse et l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie en février 2022.

De son côté, l’Iran a lui aussi perçu notre manque de détermination. Résultat, Téhéran a jugé que le moment d’activer sa stratégie du “cercle de feux” était venu. Celle-ci consiste à multiplier les fronts autour d’Israël : Hezbollah au nord (Liban), Hamas et Djihad islamique au sud (Gaza), milices syrienne et irakienne à l’est, Houthis au sud-est (Yémen) et différents groupes palestiniens en Cisjordanie. Toutefois, la Russie et l’Iran ont commis une légère erreur de calcul parce que les États-Unis ont malgré tout démontré une volonté – limitée, il est vrai – de soutenir les Ukrainiens. Et l’administration Biden est restée solidaire des Israéliens, même si le contexte électoral américain a compliqué sa tâche.

Une chose semble claire : Vladimir Poutine n’a pas peur des Etats-Unis…

Les gouvernements américains successifs se sont trompés sur ses motivations, ses objectifs et sur les limites qu’il se fixe. Nos dirigeants ont essayé de le rassurer et de répondre à ce que nous percevions comme ses inquiétudes en matière de sécurité. Cette manière d’agir n’était pas la bonne. Ce qui a été négligé, c’est que les aspirations de Poutine vont au-delà de ce que nous pouvons faire ou dire. Il veut redonner à la Russie sa grandeur, rétablir l’Empire russe, démanteler l’Otan et, en définitive, tirer tout le monde vers le bas avec sa guerre en Ukraine en partant du principe qu’à la fin des fins, il sera le dernier survivant encore debout sur le champ de bataille.

Dans votre livre, vous suggérez que Barack Obama a détérioré la capacité de dissuasion américaine…

Nombre de problèmes actuels découlent du mantra de l’époque selon lequel il fallait se désengager du Moyen-Orient. Le rapport de force a commencé à changer après notre retrait complet de l’Irak fin 2010. Quiconque connaissait un tant soit peu ce pays savait que ce désengagement entraînerait la résurgence d’Al-Qaeda, dont la branche irakienne a donné naissance à l’Etat islamique. Trois ans plus tard, en Syrie, Barack Obama a, comme on le sait, renoncer à faire respecter la fameuse “ligne rouge” qu’il avait lui-même tracée en affirmant que toute attaque chimique entraînerait une réponse américaine. Or le régime de Bachar el-Assad a employé du gaz sarin dans la Ghouta en août 2013 et du chlore ailleurs en 2014 sans réponse de la part des Etats-Unis.

Il y raconte les coulisses de la Maison-Blanche sous Donald Trump du temps où il était son conseiller à la sécurité nationale.

Téhéran et son réseau d’organisations terroristes et djihadistes ont déduit que le champ était libre

H.R. McMaster

Constatant cette pusillanimité, la Russie s’est sentie encouragée à annexer la Crimée et envahir le Donbass en Ukraine en 2014. Cela a aussi incité la Chine, à partir de fin 2013, à construire et militariser des îles artificielles en mer de Chine méridionale pour étendre son espace maritime à proximité de Taïwan. Enfin, à partir du moment où les Etats-Unis ont renoncé à faire preuve de fermeté vis-à-vis de l’Iran, Téhéran et son réseau d’organisations terroristes et djihadistes ont déduit que le champ était libre.

Selon vous, l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015 entre Téhéran et les grandes puissances (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne, UE) était une erreur ?

L’idée du “JCPoA”, ou “Plan d’action global commun”, visait à apaiser la dictature théocratique en lui faisant miroiter une prospérité grâce à un allègement des sanctions. Nos diplomates ont fait concession sur concession. Au point qu’initialement, les Français n’étaient pas d’accord pour signer : ils estimaient que le régime de vérification [de la dénucléarisation] était trop faible. Il est vrai que, par exemple, les sunset clauses ou “clauses d’extinction” [qui gelaient les activités de recherche et de développement dans le domaine nucléaire jusqu’à 2025-2030] excluaient la production de missiles qui, comme chacun sait, sont le vecteur des armes nucléaires. De plus, à peine l’accord signé, les Iraniens ont publié une liste de tous les sites qui ne pourraient être inspectés, y compris des sites militaires. Personne ne devrait jamais faire confiance au régime de Téhéran.

Autre faiblesse du “JCPoA” : il ne prenait pas en compte la guerre par procuration menée par l’Iran depuis quatre décennies contre les États-Unis, Israël et ses voisins arabes. Une fois signé, le gouvernement iranien a poursuivi son programme nucléaire tout en profitant des avantages financiers liés à l’allègement des sanctions. Et devinez où est allé l’argent ? Directement dans les caisses du Corps des gardiens de la révolution islamique et dans celles des organisations terroristes et milices de la région, en Irak, au Yémen, en Syrie, à Gaza, au Liban, etc.

Donald Trump affirme qu’avec lui au pouvoir aucune guerre n’aurait été déclarée. Votre avis ?

C’est exact. En quittant l’accord sur le nucléaire iranien, il n’a pas seulement rétabli le train de sanctions contre Téhéran, il en a aussi imposé de nouvelles. En Syrie, il a maintenu pendant un certain temps notre présence, ce qui a perturbé le passage des trafics de l’Iran vers la Méditerranée. Au Yémen, nous avons par ailleurs soutenu la coalition arabe (dirigée par l’Arabie saoudite) qui menait des raids contre les milices houthis pro-iraniennes.

Enfin – et c’est probablement le plus important –, Donald Trump a adressé un avertissement clair à Téhéran en éliminant, en janvier 2020 à Bagdad, le général iranien Qassem Soleimani, commandant de la force d’élite Al-Qods du Corps des gardiens de la révolution.

Pensez-vous vraiment que Poutine, comme l’affirme Trump, se serait abstenu d’envahir l’Ukraine si ce dernier avait été au pouvoir ?

Poutine a déclaré la guerre parce qu’il a perçu la faiblesse de l’administration Biden. Lors du sommet Biden-Poutine de Genève en juin 2021, le président américain a détaillé devant son homologue la liste des limites que s’était fixées Washington. Quelle mauvaise idée ! Cela revenait à lui accorder un feu vert pour faire tout ce qui ne figurait pas sur cette liste. Ensuite, il a retiré les navires américains de la mer Noire et suspendu l’assistance militaire létale aux Ukrainiens. Ce n’est pas tout. Nous avons aussi évacué nos conseillers en poste en Ukraine et sabordé notre ambassade à Kiev en retirant le personnel qui s’y trouvait. D’une certaine façon, Joe Biden a donné son feu vert à l’invasion russe. En tout cas, Poutine l’a compris ainsi. Cerise sur le gâteau : une fois l’invasion russe commencée, Washington a proposé à Zelensky de quitter son pays, s’attirant cette réponse : “J’ai besoin de munitions, pas d’un chauffeur.” Ce n’est pas du tout ainsi que l’on projette l’image de la puissance.

Joe Biden ne visait-il pas l’apaisement ?

Le problème de l’administration Biden a été de croire à l’illusion de la “désescalade”. Penser que les conflits peuvent être gérés depuis Washington, à des milliers de kilomètres du terrain, et s’imaginer que la “désescalade” peut se décréter est naïf. La règle de base, c’est qu’on ne peut rien négocier depuis une position de faiblesse. Bien au contraire, il n’existe aucune solution négociée favorable qui ne reflète les réalités des rapports de force militaires. Nous avons sous les yeux l’exemple flagrant d’une erreur d’appréciation.

La destruction du Hamas est le préalable à tout progrès vers une paix durable. Ensuite seulement, les diplomates entreront en scène

H.R. McMaster

Il s’est produit la même chose en Afghanistan, où les administrations américaines successives négociaient leur retrait avec les Talibans tout en répétant qu’il n’y avait pas de solution militaire. J’observe hélas que la même rhétorique est à l’œuvre au sujet d’Israël. Il y a continûment des appels au cessez-le-feu et à une paix durable en vue d’une solution à deux États. Mais il y a très peu de gens suffisamment lucides pour comprendre l’évidence : la destruction du Hamas est le préalable à tout progrès vers une paix durable. Ensuite et seulement, les diplomates entreront en scène.

Parlons de l’arsenal américain. Quelles devraient être les priorités du Pentagone ?

L’une des leçons de la guerre en Ukraine est que la puissance “dure” reste un facteur déterminant. Chaque nation alliée doit se doter d’une capacité d’opération à une échelle suffisante et pendant une durée suffisante afin d’être à même de vaincre un ennemi potentiel. C’est la seule manière d’être dissuasif. Je préconise que les États-Unis consacrent l’équivalent de 5 % du PIB à la Défense [contre 3,5 % actuellement] parce que nous nous trouvons dans une période de grand danger. Qui plus est, la modernisation de l’armée a pris du retard par rapport aux dernières innovations technologies.

Stratège respecté et historien militaire, il fut le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche sous Trump en 2017-2018.

Nous devons investir dans les drones aériens, maritimes et sous-marins, mais aussi dans la défense antimissile, dans les missiles de précision à longue portée, dans les moyens de guerre électromagnétique et enfin dans une gamme de moyens défensifs visant à contrer les drones par l’utilisation des énergies dirigées [NDLR : laser, ondes, micro-ondes, faisceaux de particules]. Il faut aussi recruter davantage. Nos forces armées ne sont pas assez nombreuses pour pouvoir exercer une dissuasion efficace sur plusieurs “théâtres” à la fois ni pour répondre à plusieurs crises simultanément. Quand je dis “nous”, je parle des États-Unis et de l’OTAN mais aussi des pays avec qui nous avons des alliances bilatérales : Japon, Corée du Sud, Australie, Philippines.

Parmi les priorités, vous ne mentionnez pas les porte-avions…

D’aucuns pensent que l’âge des groupes aéronavals [porte-avions avec leur escorte] est révolu. Je ne partage pas cet avis. Aujourd’hui, les Etats-Unis en possèdent onze, ce qui est suffisant pour l’instant. Les porte-avions sont utiles dans certains scénarios. Quoi qu’il en soit, il faut disposer d’un éventail de moyens militaires suffisamment larges pour disposer de nombreuses options et être capable d’exploiter les faiblesses et vulnérabilités de l’ennemi dans tous les cas de figure, qu’il soit terrestre, maritime, aérien, spatial, cybernétique ou informationnel.

La fin de la guerre en Ukraine est-elle proche ?

Non. D’abord, il faut que Vladimir Poutine soit convaincu qu’il a été vaincu. Si les rapports actuels sont exacts et que les Russes subissent effectivement 1 200 pertes par jour [NDLR : un record de morts quotidiens depuis le début du conflit], le moment est venu de redoubler notre soutien aux Ukrainiens en termes d’armes et de munitions. Il faut aussi frapper en Russie les cibles militaires d’où partent les attaques continues contre les infrastructures et les civils ukrainiens.

Comment évaluez-vous le danger de l’axe Russie-Chine-Iran-Corée du Nord ?

Leur coopération est profonde et de plus en plus poussée, comme le montre l’utilisation de drones Shahed et de missiles iraniens qui tuent les civils ukrainiens. Mais l’Iran n’est pas le seul fournisseur de la Russie, tant s’en faut. Selon certaines estimations, la Russie s’approvisionnerait à 60 % en artillerie made in Corée du Nord. En retour, la Russie apporte une assistance technique aux programmes de missiles et probablement aux programmes nucléaires de l’Iran et la Corée du Nord. La Chine, pour sa part, soutient l’effort de guerre russe en alimentant sa trésorerie via ses achats d’énergie. Pékin fournit en outre du matériel qui entre dans la fabrication d’armes utilisées contre l’Ukraine.

La Chine ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre avec, d’un côté, de faux appels à la désescalade et, de l’autre, une aide concrète à la guerre de Poutine

H.R. McMaster

La Chine ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre avec, d’un côté, de faux appels à la désescalade et, de l’autre, une aide concrète à la guerre de Poutine. Pékin mène, via Moscou, une guerre par procuration contre l’Europe et les démocraties occidentales. Nous devons prendre des mesures maintenant pour empêcher que les guerres en Europe et au Moyen-Orient ne s’étendent à l’Indo-Pacifique. Pour cela, nous devons améliorer la résilience de nos chaînes d’approvisionnement afin de devenir entièrement indépendants en matière énergétique et technologique.

Les États-Unis pourraient-ils faire face à une guerre à Taïwan ?

Je pense que oui parce qu’envahir Taïwan ne sera pas, pour la Chine, une tâche facile à accomplir. La question est de savoir si et comment les Etats-Unis répondraient. La réponse américaine n’est volontairement pas claire parce que, vis-à-vis de la question taïwanaise, la stratégie est celle de la “politique l’ambiguïté délibérée”. A ce stade, la priorité est d’acheminer à Taïwan les 21 milliards de dollars d’achats d’armes en souffrance. C’est la plus grande urgence. Tout cela suppose que tous les alliés – la France, l’Allemagne, le Japon – renforcent leurs industries militaires et consolident leurs chaînes d’approvisionnement.

Kamala Harris ou Donald Trump sera le prochain président américain. Quelles conséquences pour l’avenir du monde ?

Difficile à prévoir, parce que la vice-présidente Harris a, pendant la campagne, changé d’avis. L’un des sujets d’inquiétude concerne évidemment la continuité de la politique américaine au Moyen-Orient : l’administration, sous Harris, se tiendrait-elle aux côtés d’Israël comme elle l’a toujours fait jusqu’à présent ? Quant à Donald Trump, il ne parviendra pas à arrêter la guerre en Ukraine en vingt-quatre heures, comme il l’affirme. C’est juste de la rhétorique trumpienne. En Europe, les dirigeants devront s’adapter, sachant qu’ils pourraient trouver des points de convergences avec Washington sur les questions de sécurité énergétique, de concurrence avec la Chine, de renforcement industriel. S’il est élu, ils devront faire avec.

* At War with Ourselves, My Tour of Duty in the Trump White House, non traduit.




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