Une éternité diplomatique. Emmanuel Macron n’avait plus mis les pieds au Maroc depuis 2018, après une première visite réalisée dans la foulée de son arrivée à l’Elysée dès juin 2017. Le marqueur, à l’époque, de l’importance du royaume pour Paris et sa diplomatie. Le président français aura donc attendu sept ans pour revenir de l’autre côté de la Méditerranée, ce 28 octobre. “Ce retard significatif trahissait à lui seul une grande dégradation dans les relations entre la France et le Maroc sous l’ère Macron, note Aujourd’hui Le Maroc. Le jeune et fougueux président qui venait d’arriver au pouvoir en France avait nourri un tropisme algérien suffisamment prononcé pour que sa relation avec le Maroc n’en soit durablement et lourdement atteinte. Des divergences politiques majeures entre Paris et Rabat avaient maintenu leurs rapports dans une dangereuse congélation.”
Au-delà des différends personnels avec le roi Mohammed VI, la question de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, disputé à l’Algérie, constituait le principal point de friction entre Paris et Rabat. Mais le 30 juillet, l’Elysée s’est aligné sur la position marocaine, reconnaissant le principe d’autonomie du Sahara occidental. “Le président Emmanuel Macron est revenu de ses illusions algériennes, estime Aujourd’hui Le Maroc. Réalisme politique oblige, les intérêts économiques et stratégiques de son pays se trouvent plus du côté du royaume.” Après cette décision, le Maroc a sabré le champagne et relancé son invitation au président français. “Rabat et Paris semblent dès lors déterminés plus que jamais à écrire une nouvelle page de leur histoire singulière”, insiste le journal Le Matin, soulignant que la France reste le premier partenaire commercial du Maroc dans le monde.
“Un président commence par l’Algérie et finit par le Maroc”
A la une désormais, Maroc Hebdo célèbre de “chaleureuses retrouvailles”. Le magazine de Casablanca souligne lui aussi la rivalité qui se joue en coulisses derrière ce rapprochement franco-marocain : “Dans les couloirs lambrissés du quai d’Orsay, siège attitré depuis près de deux siècles du ministère des Affaires étrangères français à Paris, on a apparemment coutume de souffler qu”un président commence par l’Algérie et finit par le Maroc’. Sagesse irréfragable comme seuls les diplomates des vieilles nations peuvent détenir et qui, pour la énième fois dans l’Histoire des relations entre les deux pays maghrébins et la France, se confirme encore avec cette visite d’État.”
Dans ses bagages, Emmanuel Macron amène avec lui une large délégation politique et économique française au Maroc. Paris entend développer les partenariats économiques dans le secteur des nouvelles technologies, mais aussi dans des projets communs sur le continent africain. Le site d’information marocain Le Desk révèle ainsi un projet de “ville nouvelle” à Lagouira, tout au sud de la zone disputée du Sahara occidental, dans lequel la France pourrait investir. “Un projet à forte charge symbolique pour le Maroc”, soutient ce média, puisqu’il entérinerait la position française dans ce dossier diplomatique explosif. “Si entre le Maroc et la France un long chemin a été parcouru dans le cadre d’une relation dense et protéiforme, celle-ci se fixe aujourd’hui un nouveau cap en s’inscrivant dans une logique gagnant-gagnant, avec une dimension régionale, africaine et méditerranéenne insoupçonnée et totalement assumée”, écrit Le Matin.
Des projets économiques majeurs en Afrique
Maroc Hebdo s’interroge aussi sur les dessous économiques du revirement diplomatique français, après trois années d’une brouille particulièrement intense avec Rabat, marquée par l’espionnage potentiel du téléphone du président français via le logiciel israélien Pegasus. “Ce que l’on croit savoir, c’est que pour Emmanuel Macron, il existe une forte prégnance de l’élément économique, à un moment où dans moins de six ans le Maroc s’apprête à organiser, aux côtés de l’Espagne et du Portugal, la Coupe du monde de football, avance l’hebdomadaire marocain. Un événement qui, déjà, entraîne le lancement de nombreux chantiers d’infrastructures de par le pays et que, on peut s’y attendre, les entreprises françaises lorgnent avec force attention. […] Le Maroc s’est également lancé, on le sait, ces derniers temps dans une large initiative couvrant l’ensemble de la région du Sahel, en vue de la désenclaver en lui permettant d’accéder, à travers sa bordure maritime, à l’Atlantique, et cela nécessite bien évidemment différents grands travaux.”
Tout n’est pas rose pour autant entre Paris et Rabat. Les sujets de discorde restent nombreux, et la visite d’Etat ne résoudra pas tous ces dossiers. “Des sujets difficiles seront abordés, notamment la question de l’immigration devenue une obsession en France, pointe le quotidien Al Ahdhat Al Maghribia. Mais cette discussion difficile est surmontable.” Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, particulièrement offensif sur cette question migratoire, fait partie de la délégation à Rabat. En 2021, Paris avait réduit de moitié le nombre de visas attribués aux Marocains, avec l’objectif de faire pression sur les autorités marocaines pour qu’elles reprennent leurs ressortissants en situation irrégulière expulsés de France. Un échec, qui avait poussé la France à revenir sur cette politique dès 2022.
Après une soirée passée en compagnie de Mohammed VI, Emmanuel Macron doit s’exprimer devant le Parlement marocain mardi afin de dissiper les derniers nuages dans le ciel de plus en plus bleu de la relation franco-marocaine.
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