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Présidentielle américaine : aux Etats-Unis, on vote en anglais, mais pas seulement…


Que les membres du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat sujets à des fragilités cardiaques ne lisent surtout pas cet article : ils risqueraient d’être pris d’un malaise. Et pourtant, ce qui suit est l’exacte vérité. Aux Etats-Unis, le 5 novembre prochain, au moment de choisir entre Kamala Harris et Donald Trump, les électeurs disposeront bien sûr de bulletins de vote en anglais, mais ils en trouveront d’autres en espagnol et d’autres encore en mandarin ou en arabe. Pourquoi ? Tout simplement parce que, outre-Atlantique, le vote est considéré comme un pilier de la démocratie. Le matériel électoral est donc traduit en plusieurs langues afin que les citoyens mal à l’aise avec la langue nationale puissent choisir leurs dirigeants en toute connaissance de cause.

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Et ne croyez pas que seules les “grandes langues” soient privilégiées. En Californie, en 2020, les bulletins et les professions de foi étaient disponibles en arménien, en coréen, en hmong (Chine), en persan, en syriaque ou encore en tagalog, la principale langue des Philippines. Entre autres ! Quant au comté de Cook, dans l’Illinois, où 35 % de la population est d’origine étrangère, on pouvait y voter en arabe, en polonais ou en ourdou (pratiqué en Inde et au Pakistan)… Les langues amérindiennes sont elles aussi autorisées dans certains Etats. Ne croyez pas non plus que la “grande” présidentielle ait droit à un traitement de faveur. La règle vaut également pour les primaires, les référendums et même la désignation de représentants au conseil d’administration des districts scolaires !

C’est en 1975 que le Congrès a inclus ce type de dispositions à travers l’article 203 du Voting Rights Act. Depuis, les pouvoirs publics sont tenus de fournir ce service si plus de 10 000 citoyens ou 5 % de la population en âge de voter appartiennent à un groupe linguistique minoritaire. “Plus on aide les gens à comprendre les mécanismes du vote, plus il leur est facile de devenir un membre à part entière de notre société”, estime Whitney Quesenbery, directrice du Center for Civic Design. “C’est là une excellente manière d’assurer l’accès égalitaire à la participation pour des citoyens dont la langue première n’est pas l’anglais. Imposer une seule langue constituerait au contraire une pratique discriminatoire”, commente pour L’Express Fernand de Varennes, ancien rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités.

Certains vont encore penser que les journalistes sont des gens impossibles (ce en quoi ils n’auront pas forcément tort…), mais transposons cette situation en France et supposons que, dans un bureau de vote de Vénissieux, les bulletins soient désormais disponibles en français et en arabe ; qu’à Montreuil, où réside une importante communauté malienne, on fasse de même avec le bambara ; que le turc soit en usage en Alsace ; que Marseille prévoie à l’intention des Mahorais des bulletins en shimaore et en kibutchi, les deux langues traditionnelles de Mayotte. Poursuivons cette transposition avec les langues dites régionales et imaginons que l’on trouve un matériel électoral rédigé en basque à Espelette et à Biarritz ; en breton à Quimper et à Morlaix ; en occitan à Toulouse et à Montpellier ; en corse à Bastia et à Ajaccio ; en catalan à Perpignan, en créole martiniquais à Fort-de-France…

Et réfléchissons. Notre démocratie serait-elle fragilisée parce que le français aurait perdu son monopole ou serait-elle renforcée parce que les valeurs de notre République seraient compréhensibles par tous et respectueuses de la diversité culturelle ?

Je pose la question mais je ne suis pas (encore ?) complètement demeuré. Je sais parfaitement qu’aujourd’hui une telle idée serait sans doute rejetée par une partie de la population. Et c’est logique. Ne sommes-nous pas biberonnés depuis l’enfance dans une culture monolingue ? Et ne nous répète-t-on pas à satiété que “la langue de la République est le français”, depuis un alinéa ajouté à la Loi fondamentale en 1992 et que le Conseil constitutionnel utilise systématiquement pour s’opposer aux autres langues parlées sur le territoire ?

Alors, rappelons en premier lieu que cet article ne dit pas que le français est la “seule” langue de la République. Rappelons ensuite qu’il a été introduit par les parlementaires dans l’objectif unique de lutter contre l’anglais et de ne jamais être utilisé contre les langues régionales. Rappelons enfin un épisode un peu trop vite oublié de l’histoire de France. Dans les premières années de la Révolution, les lois et les textes étaient traduits dans les différentes langues du territoire au nom d’un objectif simple : faire en sorte que tous les citoyens puissent avoir accès aux nouveaux textes. Le pouvoir était alors tolérant et le multilinguisme considéré comme un excellent moyen de propager les idées révolutionnaires et de rompre avec la langue des rois.

Cet état d’esprit, hélas, disparut rapidement. Dès le 2 Thermidor an II (20 juillet 1794), Robespierre rédigea un décret stipulant que tout fonctionnaire ayant recours à une langue autre que le français serait “condamné à six mois d’emprisonnement et destitué”. Et pour faire bonne mesure, la Convention décida d’élever l’adhésion au seul français au rang de signe lui permettant de “reconnaître ses amis et ses ennemis”. Ce qui, en ces temps où les bourreaux ne connaissaient pas le chômage, n’était pas exactement une menace en l’air…

La première période s’appelait la Ire République. La seconde, la Terreur. Ce fameux décret du 2 Thermidor est encore en vigueur aujourd’hui et a récemment été utilisé pour empêcher une famille du Finistère de prénommer son enfant Fañch, avec un tilde sur le n, conformément à l’orthographe bretonne. Le juge a estimé qu’il en allait de “l’unité du pays”.

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