Raconter comment se termine une série policière tirée d’une histoire vraie qui a déjà donné lieu à pas moins de 17 documentaires, trois téléfilms, deux mini-séries et trois podcasts, est-ce encore spoiler ? C’est la question que je me pose au moment de vous parler de Monstres. L’histoire de Lyle et Erik Menendez, minisérie de neuf épisodes réalisée par Ryan Murphy, diffusée en ce moment sur Netflix. Si vous ne savez pas encore que les deux frères Menendez ont assassiné leur père et leur mère à coups de carabine, le 20 août 1989, dans le salon télé de leur luxueuse villa de Beverley Hills, alors qu’ils étaient respectivement âgés de 21 et 22 ans, sachez que vous êtes, comme moi, passé à côté d’une des affaires criminelles les plus passionnantes de l’histoire des Etats-Unis, qui en compte pourtant un sacré nombre.
Il est donc temps de vous y mettre. Mais, si je peux me permettre de vous donner un conseil d’utilisation, regardez cette série en résistant le plus longtemps possible à l’envie de filer sur Wikipédia pour savoir comment les deux frangins ont fini. Pour ma part, j’ai tenu jusqu’à la fin du cinquième épisode, je voulais savoir si ces frères Menendez avaient vraiment existé, je finissais par en douter, comme je doutais qu’il existe des scénaristes capables d’inventer de tels personnages, embringués dans des mensonges aussi énormes. Le doute aiguisant ma nervosité de cinéphage, j’aurais pu continuer à souffrir délicieusement devant cette famille de très riches immigrés cubains (José, le père, est devenu directeur de RCA Records), chacun rivalisant de bêtise et de méchanceté.
Trente-cinq minutes d’un plan (presque) fixe
Pourquoi ai-je craqué au cinquième épisode ? Parce que c’est le plus extraordinaire. Genre insoutenable. C’est le plus court : trente-cinq minutes. Au cours d’une conversation au parloir de la prison, face à son avocate, Erik Menendez, le plus jeune des frères, beau comme un surfeur californien, livre le récit des tortures psychologiques et des abus sexuels qu’il a subis de la part de son père durant toute son enfance. C’est tourné en un seul plan, sans la moindre coupe, pas de contrechamp sur l’avocate dont on ne voit que les volumineuses bouclettes blondes. L’orphelin assassin est assis devant une table, il vide son sac pendant plus de trente-cinq minutes de ce plan que l’on croit fixe, mais qui, lentement, très lentement, s’approche du visage d’Erik Menendez, qui obtient, avec cette confession, le bon Dieu.
Au cours de cette approche imperceptible, rien ne nous est épargné, en tout cas pas le génie de l’acteur, Cooper Koch, littéralement fondu dans la peau de ce pauvre Erik qui raconte à son avocate comment son père (incarné par Javier Bardem) poussait le vice incestueux et pédophilique jusqu’à se faire sodomiser par son fils. Je n’avais jamais entendu ça, et si je me permets de vous en faire part, c’est qu’en fait, ne craignez rien, tout est bidon. Enfin, il est fort probable que ce récit pathétique ne soit qu’une fable, suggérée par l’avocate pour lui permettre de plaider la légitime défense des accusés face à un père qui s’apprêtait à tuer ses enfants pour les empêcher de tout révéler à leur mère, à leur psy, à la terre entière, comme ils l’en auraient prétendument menacé.
Répété à l’audience, le numéro d’Erik emporte la compassion du jury. Mais c’est sans compter avec son frère, qui est allé se vanter à une journaliste venue l’interroger et feindre de tomber amoureuse de lui : “On a tout inventé.”
Aujourd’hui, comme je l’ai donc découvert dans mon encyclopédie préférée, les deux frères sont toujours en taule, un nouveau procès doit avoir lieu trente-cinq ans après le double meurtre, de quoi donner matière à quelques nouveaux produits dérivés.
Que l’on croie ou non à la perversité du père Menendez, le fait que ses enfants aient inventé un tel récit montre une fois de plus que c’est la bêtise et rien d’autre qui mène à la méchanceté. Et c’est quand même lui qui les a élevés dans le culte de la performance sportive et scolaire. Performants, ils l’auront été dans le crime.
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