* . * . * .

Trump-Harris vu par Philip Bump, du “Washington Post” : “Pour la seconde fois, cela pourrait lui coûter son élection…”


Plus que quelques mètres à parcourir avant la ligne d’arrivée. Ce mardi 5 novembre viendra clôturer une campagne présidentielle américaine émaillée de rebondissements. Scandales politico-judiciaires, conflits internationaux, retrait de Joe Biden, double tentative d’assassinat contre Donald Trump… Philip Bump, chroniqueur au quotidien américain The Washington Post, est revenu pour L’Express sur cette folle course à la Maison-Blanche, dont l’issue demeure toujours très incertaine.

L’Express : Kamala Harris n’a eu que quatre mois de campagne. Donald Trump, deux années complètes. Pourtant, à quelques jours de la clôture des urnes, les deux candidats sont au coude-à-coude. Peut-on en déduire que Kamala Harris, très impopulaire avant le retrait de Joe Biden, a réussi en quelques mois à séduire l’électorat démocrate, et même peut-être au-delà ?

Philip Bump : Lorsque Joe Biden faisait face à de vives critiques après le débat avec Donald Trump, les sondages montraient une faible popularité de Kamala Harris, probablement influencée par son rôle de vice-présidente auprès de Biden, lui-même peu apprécié. Les analyses semblaient indiquer qu’elle ne ferait pas nécessairement mieux que Biden face à Trump. Cependant, en devenant la candidate officielle, sa cote de popularité a rapidement grimpé. Mais les premiers sondages ont fini par se révéler justes, puisqu’elle est aujourd’hui un peu au-dessus de Biden dans les intentions de vote, surtout car elle apparaît plus jeune et dynamique. Au-delà de cela, une grande partie de son soutien provient simplement du fait qu’elle ne soit pas Trump. Elle est parvenue à rester compétitive, ce qui est une amélioration par rapport à Biden, mais pas une garantie de victoire.

Le soutien historique au Parti démocrate des communautés juives et arabo-musulmanes semble s’être effrité avec la résurgence du conflit israélo-palestinien un an avant le scrutin. Moins de 30 % des arabo-musulmans envisagent de voter Kamala Harris alors que 64 % d’entre eux avaient voté Joe Biden en 2020, d’après les données d’Associated Press. La position jugée pro-israélienne de l’administration Biden, dont Kamala Harris fait encore partie, pourrait-elle lui coûter son élection ?

C’est tout à fait possible. Dans les Etats clés comme le Michigan où la communauté arabo-musulmane est importante, le vote de ces minorités pourrait être déterminant. Il est possible que certains électeurs, qui soutenaient lors des précédentes élections le candidat démocrate à la présidentielle, choisissent cette fois-ci de s’abstenir en raison de la manière dont l’administration Biden a géré le conflit à Gaza. Une abstention qui pourrait coûter son élection à Kamala Harris. En dehors du conflit à Gaza, les marges anticipées sont tellement faibles que de nombreux petits groupes ont le pouvoir de faire basculer l’élection.

Comment se fait-il que Kamala Harris n’ait pas fait plus d’efforts pour récupérer cet électorat ? Est-ce une erreur, selon vous, ou le prix à payer d’un changement de position aurait-il été plus lourd ?

Kamala Harris et son équipe ont tout de même mené certaines actions de sensibilisation, principalement par l’intermédiaire de porte-parole, pour tenter de renforcer le soutien de la communauté musulmane, notamment dans le Michigan. Ils ont essayé de rallier une partie de ce qui aurait normalement été sa base. Le problème est qu’elle reste “tenue” par le fait qu’elle soit toujours la vice-présidente de Joe Biden et qu’à ce titre, elle soit comptable de la politique nationale mais aussi internationale conduite par le gouvernement. Par ailleurs, beaucoup de démocrates n’auraient probablement pas vu d’un bon œil qu’elle se mette soudainement à critiquer la politique internationale de Biden. Ce n’est pas son rôle. Elle a donc tenté de faire ce qu’elle pouvait, mais il est difficile de dire si elle aurait pu faire autrement, compte tenu de son rôle au sein de l’administration. De façon générale, le fait qu’elle soit rattachée à Joe Biden a constitué l’un des principaux obstacles de sa campagne.

Certains s’inquiètent d’un “syndrome Hillary Clinton“. Existe-t-il vraiment des similitudes entre la campagne démocrate de 2016 et celle de 2024 ?

Très probablement. Harris cherche par exemple à séduire des républicains et des modérés inquiets de Donald Trump, de la même manière que Hillary Clinton l’avait fait. Elle fait face à certains des obstacles rencontrés par la candidate de 2016, notamment le sexisme. Et elle affronte une pression supplémentaire en tant que femme de couleur. Cela dit, la campagne de Harris est plus large et plus dynamique que celle de Clinton, et elle est aussi davantage stratégique dans le choix des endroits où elle se déplace pour des votes serrés.

Mais le point central, me semble-t-il, est que Kamala Harris a bénéficié des leçons tirées de 2016. Des études montrent que beaucoup d’électeurs de Hillary Clinton pensaient qu’elle était largement favorite et n’ont donc pas jugé nécessaire de voter. In fine, Trump s’est installé à la Maison-Blanche… Tout le monde est désormais conscient de ce qui pourrait arriver. De même, Hillary Clinton a été beaucoup critiquée pour avoir pris pour acquis des Etats comme la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan – le fameux “mur bleu” – qu’elle a finalement perdus. Kamala Harris semble en avoir compris l’importance et se montre plus proactive en y menant campagne.

Ces derniers mois ont donné l’impression d’une campagne ultra-localisée, avec des candidats concentrés sur les fameux swing states. N’y a-t-il pas le risque d’une démobilisation d’une partie de l’électorat dans les autres Etats ?

Il y a toujours un risque, bien sûr. Cependant, la nature d’une campagne présidentielle est que tout devient national. Même lorsque Harris se rend dans le Michigan ou que Trump fait campagne en Caroline du Nord, leurs déclarations sont reprises et diffusées par tous les médias nationaux. Trump a par exemple organisé un rassemblement à New York dimanche dernier, alors même qu’il sait qu’il n’a aucune chance de gagner cette ville. Chaque meeting est suivi, autant dans les swing states que dans les autres Etats. Par ailleurs, depuis 2016, les démocrates s’évertuent à mobiliser le plus largement possible afin qu’en cas d’égalité des voix dans le collège électoral – si la Chambre des représentants doit trancher – le candidat démocrate puisse arguer qu’il a recueilli des millions de voix supplémentaires au niveau national.

Le poing levé après avoir réchappé à une tentative d’assassinat, le tablier et le cornet de frites chez McDonald’s, le camion poubelle ou encore le mugshot au tribunal d’Atlanta… Avec la bataille des images, qu’il semble gagner, Donald Trump dispose-t-il d’une longueur d’avance sur Kamala Harris ?

Je ne pense pas. Il y a certes de nombreux petits éléments qui peuvent jouer un rôle, surtout si les scores sont très serrés dans les swing states, mais il est peu probable que la photo de Trump dans un camion poubelle fasse réellement la différence. [Rires.] Cela peut mobiliser sa base, mais pas au-delà. Aucun soutien de Kamala Harris ne va décider de changer de camp après avoir entendu Biden insulter d’ordures les électeurs de Trump. Cela dit, les campagnes consistent souvent à chercher des effets marginaux. Peut-être que dans certains Etats où le vote est extrêmement serré, ce genre d’images pourraient, en effet, encourager l’électorat républicain à se rendre aux urnes.

Le soutien d’Elon Musk a-t-il été un véritable atout pour Trump ou n’aura-t-il que des effets marginaux ?

Difficile à dire. Des études montrent, par exemple, que le rachat de Twitter a déjà bénéficié au camp républicain. Donc certainement que son soutien à Donald Trump peut influencer ou convaincre certaines personnes. Mais l’enjeu principal réside dans les millions de dollars que Musk consacre à encourager la participation électorale. Déterminer précisément quel électorat doit être convaincu sur la dernière ligne droite est très compliqué, surtout si on ne maîtrise pas entièrement la dynamique du terrain. Si des milliards de dollars sont investis dans une campagne pour inciter les gens à voter, cela pourrait en effet faire la différence dans une élection serrée. Mais il n’est pas certain que Musk dispose des moyens logistiques nécessaires pour parvenir à le faire de façon efficace. Ce n’est pas nouveau de voir des milliardaires injecter des millions dans une campagne. Ce qu’il l’est, en revanche, c’est la promesse de Donald Trump de lui donner un rôle dans son administration.

Double tentative d’assassinat contre Donald Trump, retrait de Joe Biden de la course à la Maison-Blanche, phénomènes climatiques extrêmes avec les ouragans Helene et Milton… Cette campagne présidentielle a été émaillée de nombreux rebondissements, mais aucun ne semble avoir eu de réel impact sur l’issue du scrutin. Comment l’expliquer ?

La polarisation extrême de ce pays en est l’une des principales raisons : la division partisane est telle que chaque camp voit l’autre avec une grande méfiance, voire comme une menace. De plus, il s’agit de la troisième élection consécutive où Donald Trump est présent. Les électeurs ont une opinion bien définie sur lui, et rares sont ceux qui se demandent encore quel genre de président il pourrait être. La seule question qu’ils se sont posée pendant cette campagne est : “Est-il un meilleur choix que Joe Biden et, avec le retrait de Biden, que Kamala Harris ?” Cette constance dans les opinions partisanes, et le fait que les électeurs soient désormais habitués à Donald Trump, explique en grande partie qu’aucun événement, aussi inédit qu’il puisse être, ne soit parvenu à véritablement bousculer la campagne.

Il reste quelques jours avant le 5 novembre. Un événement soudain pourrait-il encore renverser la table ?

Aucun en réalité. [Rires.] Mais je suis fermement convaincu que les efforts menés pour mobiliser les électeurs peuvent faire la différence. Le camp qui frappera le plus aux portes, qui appellera le plus d’électeurs pour les encourager à aller voter, augmentera ses chances de victoires, car ces efforts peuvent avoir un impact déterminant dans une élection aussi serrée.

Cette campagne est-elle aussi celle du déclin cognitif de Donald Trump ?

Son déclin cognitif pourrait devenir un enjeu majeur, même si je ne pense pas que les électeurs y prêtent beaucoup d’attention pour le moment ; ce qui joue probablement en faveur de Trump, car cela signifie qu’il subit moins de pressions. De plus, J. D. Vance, son ticket, est beaucoup moins populaire que lui. Les gens ne se projettent donc pas vraiment dans l’idée qu’en cas d’incapacité de Donald Trump, J. D. Vance pourrait accéder à la présidence.

D’aucuns voient en Kamala Harris une “Obama au féminin”. Les deux se connaissent depuis une vingtaine d’années. On a vu l’ex-président à de nombreuses reprises auprès de la candidate démocrate. Quel a été le poids réel de Barack Obama dans cette campagne ?

Je ne sais pas vraiment dans quelle mesure il a été impliqué. Mais il est certain que Barack Obama est un atout pour les démocrates. D’une part, il est encore très populaire. D’autre part, en tant qu’homme noir, il peut s’adresser à des électorats que d’autres présidents ne peuvent pas toucher. En outre, son image n’a pas été ternie de la même manière que Bill Clinton. De façon générale, Barack et Michelle Obama – qui est elle aussi extrêmement populaire – sont très efficaces sur le terrain. Pour Kamala Harris, c’est un atout considérable. D’autant que cela crée un contraste intéressant avec Donald Trump, qui est le seul ancien président à soutenir ouvertement Donald Trump. [Rires.] Même son propre parti ne veut pas vraiment être vu à ses côtés.

Ces derniers mois, deux éléments ont semblé briller par leur absence : les programmes politiques et les débats de fond. Est-ce caractéristique de cette campagne ?

Je pense qu’il s’agit d’une idée reçue. L’idée qu’il n’y aurait pas de plateformes est fausse. Kamala Harris a publié de nombreux plans politiques relativement détaillés. En revanche, il est vrai que Donald Trump a toujours évité d’avoir à expliquer son programme. Il le justifie en expliquant qu’il ira “négocier”, disant qu’il ne suffit pas d’arriver avec une liste de choses à faire pour bien gérer le pays. Je pense que cela cache le fait qu’il se soucie peu de la politique et préfère laisser cela aux autres.

La campagne touche à sa fin : une nouvelle peut-elle commencer au lendemain du 5 novembre si Donald Trump n’accepte pas sa défaite ?

Ne parlez pas de malheur ! [Rires.] Je pense que celui qui perd sera disposé à essayer de discréditer l’autre très rapidement. Si Donald Trump perd, il risque de passer quelques semaines ou mois à insister sur le fait qu’il aurait en réalité gagné. Ce qui sera probablement infructueux. Personnellement, je suis très curieux de voir ce qu’il se passera le 20 janvier 2025 si Kamala Harris est assermentée. Est-ce qu’il va simplement abandonner la politique et retourner à Mar-a-Lago ? Ou va-t-il continuer à être celui qui reste au centre de l’attention, omniprésent sur Fox News, critiquant Harris et diffusant de fausses allégations sur ce qu’elle fait en tant que présidente ? Je pense que le Parti républicain serait très heureux de la première option. [Rires.] S’il essaie de se représenter en 2028, le parti risque de tout faire pour lui barrer la route. Gagner une primaire lui serait très difficile. Et la dernière chose que Donald Trump voudrait faire, c’est se présenter et perdre, parce qu’il a toujours insisté sur le fait que les républicains l’adoraient. Donc je ne pense pas qu’il prendrait ce risque.

Selon vous, quelle erreur commise pendant la campagne pourrait coûter à chacun son élection ?

Kamala Harris et Donald Trump ont commis la même erreur : celle d’échouer à mobiliser au-delà de leur base. Ils ont tous les deux trop peu investi dans la mobilisation des électeurs, ce qui pourrait faire échouer l’un ou l’autre la semaine prochaine. Bien que certains affirment le contraire, je pense que Kamala Harris a fait une meilleure campagne. Elle écoute les sondeurs et ceux qui font réellement des recherches sur ces sujets, beaucoup plus que Trump. Mais aucun n’a eu véritablement une idée claire de la stratégie à adopter. Toutefois, si Kamala Harris perd, l’incapacité de l’administration Biden à juguler les problèmes d’inflation y sera certainement pour quelque chose aussi. Plus encore, l’impopularité de Biden pourrait coûter à Kamala Harris son élection. Quant à Donald Trump, son plus grand défi était d’étendre sa base au-delà de ce qu’elle a toujours été. Je ne suis pas certain qu’il y soit parvenu de façon suffisamment significative pour gagner. Il n’a jamais réussi à dépasser ce socle électoral, et pour la seconde fois, cela pourrait lui coûter son élection.




Source
Exit mobile version

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . %%%. . . * . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .