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Avec son polar “Leo”, le Sud-Africain Deon Meyer pleure sa nation arc-en-ciel


Deon Meyer fait partie des valeurs sûres du polar, de ceux dont on attend la nouvelle production, partagé entre envie d’un rituel réconfortant et espoir d’une surprise narrative. En 2017, L’Année du lion, dystopie postapocalyptique, avait déstabilisé certains lecteurs. En 2021, La femme au manteau bleu, court roman destiné à faire patienter ses aficionados plus qu’à enrichir sa bibliographie, avait déçu. Pas de mauvaise surprise, cette fois, avec Leo, sorti au début du mois d’octobre. S’y croisent deux histoires : une enquête menée par ses héros traditionnels, Benny Griessel et Vaughn Cupido, sur un avocat tué à coups de mousse expansive propulsée dans sa gorge et la préparation d’un braquage visant à intercepter une énorme quantité d’argent et d’or sur un aérodrome. Deon Meyer y déploie le savoir-faire qui a fait son succès dès ses premiers titres, Jusqu’au dernier et Les soldats de l’aube.

Une nouvelle fois, il imprime à Leo son formidable sens du rythme et sa capacité à bâtir des scénarios haletants. Le livre, comme souvent chez Meyer, est un pavé, mais ses 600 pages se lisent en quelques jours. Dans la première partie du roman, l’auteur joue d’incessants allers-retours entre le présent et le passé, obligeant le lecteur à s’interroger sur la temporalité de l’action en cours. Puis il termine sur les chapeaux de roues. Les cent dernières pages, occupées par une mémorable scène de braquage quasi cinématographique, reprennent un procédé déjà utilisé – et apprécié – dans 13 heures, d’une narration très resserrée dans le temps et d’autant plus intense. Le minutage des mouvements des braqueurs accentue encore cette impression.

Derrière la fiction, l’ombre de l’ancien président Jacob Zuma

Mais Deon Meyer n’est pas qu’un écrivain de l’action à la manière d’un Lee Child et de son Jack Reacher. Depuis près de trente ans, il ambitionne de raconter son pays. Et dans Leo, l’Afrique du Sud se porte mal. Certes, il en livre une version moins sombre et moins violente que ses compatriotes Mike Nicol et Roger Smith, mais il semble cette fois avoir perdu l’optimisme qu’il a longtemps revendiqué sur la capacité de l’Afrique du Sud à sortir la tête haute de l’après-apartheid. Dans Leo, il exprime sa colère contre ceux qui se revendiquent comme les “héritiers” de Nelson Mandela mais qui n’en sont pas, contre les élites qui n’en finissent plus de piller l’Etat, contre la corruption généralisée dont chacun essaie de profiter. Il a renommé ses protagonistes, mais on reconnaît aisément l’ancien président Jacob Zuma et les frères Gupta, tous au cœur de la “capture d’Etat”. Les polars se nourrissent rarement de sociétés qui vont bien, Deon Meyer va, cette fois, un cran plus loin dans sa critique du système politique sud-africain.

Longtemps, il a compensé la noirceur de la situation par la très grande humanité de ses personnages et son talent à en brosser des portraits nuancés et attachants. Dans Leo, comme dans les plus récents de ces romans, il se concentre sur deux d’entre eux, le fameux duo, Benny Griessel et Vaughn Cupido. Hier membres d’une unité d’élite, aujourd’hui rétrogradés sur des enquêtes de seconde zone, rêvant toujours de revenir au premier plan, les deux hommes ont leurs failles : le premier est un ex-alcoolique sans cesse sur le point de trébucher, le second, obsédé par la nourriture, essaie perpétuellement de maigrir, les deux tentent de se tenir droit dans le but de plaire à leurs femmes respectives. Est-ce parce qu’on les a trop souvent vus ? Cette fois, le tandem peine à convaincre. Pire, il lasse avec ses perpétuelles interrogations autour du mariage de l’un et du prochain repas de l’autre.

Deon Meyer, qui a longtemps fait partie de la mythique équipe du Seuil des années 1990-2000 publiant les Michael Connelly, Henning Mankell, Lawrence Block et bien d’autres, a rejoint Gallimard depuis quatre ouvrages. L’équipe marketing de la maison ne ménage pas ses efforts en proclamant en bandeau jaune sur fond noir “Plus de 1 million de lecteurs en France”. Sans doute pas complètement faux tant, depuis le début des années 2000, l’auteur s’est imposé dans l’Hexagone comme le représentant de son pays dans l’univers du noir. Dès lors, fort de ce succès, peut-être peut-il s’autoriser une légère infidélité à ses deux compagnons de papier ? On se souvient avoir croisé avec un certain bonheur dans ses premiers romans Mat Joubert, un ex-flic devenu détective privé, ou Lemmer, ex-garde du corps devenu homme des missions secrètes. Il ne nous déplairait pas de rencontrer, demain, de nouveaux protagonistes de la nation arc-en-ciel.

Leo par Deon Meyer, Trad. de l’afrikaans par Georges Lory, Gallimard, 626 P. , 23 €




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